Sans rompre, totalement, avec la méthode « quick win » et le court-termisme qui ont prévalu toute la décennie écoulée, le gouvernement Bouden semble aussi privilégier la planification stratégique sectorielle pour résoudre, du moins sur le moyen terme (10 à 15 ans), les problèmes structurels auxquels buttent certaines activités économiques.
Parmi ces stratégies sectorielles, figure celle qui porte sur l’industrie à l’horizon 2035. La ministre de l’Industrie, de l’Energie des Mines, Neila Nouira Gongi, a esquissé, lors d’un entretien accordé à la radio privée Express Fm, les grandes lignes de cette stratégie.
Par Abou SARRA
Dans l’immédiat, il s’agit de relever, à court terme, le défi de la relance en cette période difficile. La ministre de l’Industrie évoque une série de mesures urgentes visant à simplifier les procédures d’investissement, supprimer certaines licences, raccourcir les délais d’aménagement des zones industrielles et parcs technologiques.
Nouira Gongi fait une mention spéciale pour la numérisation des services relatifs à l’investissement et à l’administration. Il s’agit particulièrement des prestations fournies par l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII) et par d’autres institutions qui sont en rapport direct avec les investisseurs.
Elle évoque également la révision incessante du décret relatif aux conditions d’attribution des avantages fiscaux et financiers en vue d’assouplir ces conditions dans la mesure où le principe est la liberté, et l’exigence des licences l’exception. Dans la même perspective, le ministère de l’Industrie projette de remplacer plusieurs licences par des cahiers des charges.
Et ce n’est pas tout. D’autres pourraient voir le jour, entre autres une révision du cadre juridique applicable à l’investissement. Dans cette optique, la fameuse loi 72 ferait l’objet de modification. Parallèlement, d’autres lois consacrant la liberté d’entreprendre seront promulguées.
Parmi les nouveautés attendues, l’élaboration d’une étude stratégique sur l’intelligence artificielle, la mise en place de nouveaux mécanismes de travail et la révision des méthodes de travail. Ces révisions s’imposent suite à la crise sanitaire du coronavirus.
Cap sur les pactes sectoriels
La ministre de l’Industrie a également abordé ce qu’elle a appelé « des pactes sectoriels ». Il s’agit de l’élaboration de conventions sectorielles fixant les outils, engagements et objectifs de chaque secteur, et ce dans le cadre de partenariat entre le secteur public et le secteur privé (PPP), d’une part, et entre le patronat et les syndicats des travailleurs, d’autre part.
Concrètement, en vertu de ces accords, l’administration s’engage et à simplifier les procédures et à les actualiser. De son côté, l’investisseur s’engage à créer de l’emploi et à investir davantage dans l’objectif de consolider le tissu industriel tunisien.
Ces conventions sectorielles, qui visent à garantir le positionnement du secteur industriel tunisien à l’horizon de 2035, seront fin prêtes, d’après la ministre, d’ici le mois de juin 2022.
Pour l’histoire, c’est Afif Chelbi – ancien ministre de l’Industrie de Ben Ali, membre fondateur du Cercle Kheireddine et ancien président du Conseil d’analyses économiques dans le gouvernement de Youssef Chahed – qui a parlé le premier de ces pactes.
Dans plusieurs entretiens et interviews accordés à des médias de la place, Afif Chelbi estime que ces pactes de partenariat et de compétitivité économique et d’équité sociale sectoriels sur lesquels il avait travaillé lorsqu’il était à la tête du Conseil d’analyses économiques, s’ils sont bien encadrés et bien suivis, sont à même de relancer la croissance dans le pays et de faire oublier aux Tunisiens la désindustrialisation du pays depuis 2011.
Ces pactes sont centrés sur les secteurs productifs, et 14 pactes de filières associés : composants automobiles, composants aéronautiques, TIC, textile, industrie pharmaceutique, huile d’olive, dattes, BTP, logistique, environnement, énergies renouvelables…
On y trouve également, au plan qualitatif, un pacte contre la pauvreté et la précarité, un pacte pour la restructuration des entreprises publiques, un pacte pour la maîtrise des grands équilibres macroéconomiques…
Pour Afif Chelbi, l’ultime objectif de ces pactes est de protéger le secteur productif et les entreprises qui seraient les seules entités à créer emplois, valeurs et richesses dans le pays.
L’enjeu est de taille, selon lui, car si la Tunisie perd aujourd’hui son tissu productif, il lui faut trois à quatre générations pour le reconstruire.