Simplifier et digitaliser les procédures administratives, éviter l’éparpillement des textes juridiques, améliorer le système fiscal, appliquer strictement la loi, revoir la législation relative à la propriété des terrains agricoles par les sociétés anonymes, telles sont quelques pistes de réforme préconisées par l’avocat d’affaires, Mohamed Chorfi, dans une interview accordée à l’Agence TAP.
Ce spécialiste en droit des affaires, qui accompagne certaines grandes entreprises internationales et tunisiennes, rappelle aussi que l’article 52 de la loi de finances 2022 a eu un très mauvais écho auprès des sociétés étrangères installées en Tunisie.
Quelle est votre évaluation du climat des affaires en Tunisie ? Quels en sont, à votre avis, les points positifs et les points négatifs ?
Mohamed Chorfi : Les attentes des investisseurs étrangers pour ce qui est du climat des affaires en Tunisie sont, notamment, la suppression du dogme “ce qui n’est pas permis est interdit”, l’exécution stricte des lois, la simplification des procédures administratives car leur complexité est source de coûts supplémentaires, et la réduction des délais de réponse par les administrations.
L’article 52 de la loi de finances 2022 a eu un très mauvais écho auprès des entreprises étrangères. Ces dernières espèrent encore, la suppression de cet article relatif à la suppression du régime suspensif de la TVA pour les sociétés de commerce international et les sociétés de services totalement exportatrices.
Par ailleurs, la révision de la législation relative à la propriété des terrains agricoles par les sociétés anonymes dont le capital est détenu par des personnes morales, est également, une attente des investisseurs car jusqu’à présent les sociétés anonymes dont le capital est détenu par des personnes morales, ne peuvent qu’exploiter ces terrains et non les acquérir.
Toutefois, le climat des affaires en Tunisie est porteur de perspectives, de potentiel et d’ambitions. A ce propos, l’environnement juridique des affaires contient un nombre de textes juridiques très incitatifs à l’investissement, comme la loi transversale sur l’amélioration du climat des investissements en Tunisie du 29 Mai 2019, qui est un texte très important dans la batterie des textes juridiques afférents à l’investissement en Tunisie.
Le startup act est également, un texte fondateur pour l’évolution et le développement de l’écosystème startup.
Outre l’environnement juridique très incitatif, le potentiel humain, la proximité à l’Europe, la main d’oeuvre qualifiée et les liens de plus en plus étroits avec l’Afrique, font que la Tunisie a d’indéniables points forts en matière de climat des affaires.
Cela n’occulte pas le fait que des points négatifs qui peuvent être des écueils sont là. A ce sujet, la digitalisation lente, la bureaucratie, la logistique encore moyenne outre l’impact terrible de la pandémie, font que le climat des affaires est affecté.
Quelles sont, d’après vous, les raisons de la chute des investissements dans le pays, depuis 2010-2011 ?
Les raisons de la chute des investissements depuis la révolution, sont diverses et variées mais initialement c’était l’instabilité politique avec ses répercussions sur le climat social et sur la confiance dans le site Tunisie.
En outre, l’absence de vision stratégique en matière de promotion des affaires en Tunisie, a impacté le volume des investissements…
Il est à noter également que le climat des affaires internationales a perturbé considérablement, le flux des investissements.
Suite à tous ces éléments, la fragilité économique tunisienne a favorisé l’émergence d’une concurrence économique régionale et l’amélioration de l’attractivité des autres sites par rapport à la Tunisie.
Pour ce qui est des contraintes juridiques qui entravent l’investissement étranger, elles concernent surtout l’éparpillement des textes juridiques et l’absence de vision juridique claire ainsi que la rigidité et parfois la mauvaise interprétation des textes juridiques par l’administration tunisienne.
Il existe aussi, une certaine réticence des directeurs juridiques dans les administrations à prendre les décisions, outre le manque de stabilité juridique des textes juridiques et lois. A ce propos, il faut légiférer mais d’une manière cartésienne et sur le long terme, en tenant compte du contexte international et des business models des investisseurs étrangers en Tunisie.
Quelles réformes préconisez-vous pour améliorer l’environnement juridique des affaires en Tunisie et relancer les investissements ?
Les réformes que je vois nécessaires pour améliorer l’environnement juridique et relancer les investissements tournent autour de 5 pôles.
1er pôle :Eviter l’éparpillement réglementaire et faire en sorte que les textes juridiques soient regroupés et synthétisés pour permettre à l’investisseur étranger d’avoir une idée claire.
2ème pôle :Améliorer et simplifier le système fiscal pour plus d’efficacité et de transparence.
3ème pôle :Repenser la réglementation de change et l’intégrer dans les nouvelles tendances technologiques comme les monnaies virtuelles et la fintech. Nous travaillons dans un monde fondé sur la rapidité, la réglementation de change en matière de transfert de dividendes et d’octroi d’autorisations par la Banque centrale doit suivre et s’adapter à cette rapidité.
4ème pôle :La simplification administrative (la digitalisation des procédures), la bonne gouvernance et la lutte anti-corruption, la fraude fiscale et la fuite de capitaux.
5ème pôle : Renforcer l’infrastructure et moyens logistiques pour une meilleure attractivité du site Tunisie (améliorer les services portuaires, les services de transport, les réseaux informatiques d’internet, etc.). Pour cela, il faut s’appuyer sur le PPP, qui est l’alternative la plus importante qui permette un grand financement pour moderniser l’infrastructure et la logistique.
Il est également, important d’attirer les sociétés étrangères en matière de logistique par de grandes incitations englobant même une fiscalité zéro. Il y a encore la bonne gouvernance qui dans sa triple composante transparence, équité et responsabilité, permet la création de valeur. Elle permet de sécuriser l’investissement, rassurer l’investisseur et assainir le climat d’affaires à travers la lutte contre la corruption.
A ce propos, améliorer les prérogatives du commissaire aux comptes en matière de contrôle des sociétés anonymes (SA), est une nécessité. Soumettre certaines décisions du Conseil d’administration de la SA à la ratification par l’assemblée générale et l’approbation par le commissaire aux comptes est également, une nécessité.
Enfin, Il faudrait imposer un comité d’audit dans certaines sociétés anonymes dont le capital dépasse un certain seuil…