Maintenant que le président de la République a promulgué ses deux décrets sur la réconciliation pénale – promis lors de sa campagne électorale – et sur la spéculation – très controversé du reste -, le gouvernement pourrait-il plancher sur le mal profond qui gangrène l’Etat ? Le déficit budgétaire structurel, que nous ne pouvons pas et que nous ne pourrons pas résorber en l’absence d’un accord avec le FMI.
Cette semaine encore, les déclarations hostiles de l’UGTT écartant toute possibilité d’entente avec le président et le gouvernement sur les réformes et la guillotine des notations souveraines viennent de décapiter tout espoir de trouver une issue à la crise budgétaire. Une crise qui étouffe la Tunisie, annonçant la possibilité de cessation de paiement même si Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale, écarte cette éventualité.
« Quoiqu’il en soit, je ne pense pas que demain, nous aurons la possibilité de lever des fonds à l’international et indépendamment des conditions d’endettement qui vont être spéculatives avec des taux d’intérêt situés entre 20 et 30%, nous risquons de ne pas trouver preneurs même en bradant nos titres, car les informations véhiculées à l’international sur la situation en Tunisie font que leurs acquéreurs ont peur de ne pas pouvoir les revendre et en tirer profit » nous a déclaré un haut fonctionnaire de l’Etat.
Compter sur le marché interne peut être une alternative mais cela fait des mois que l’Etat y puise des ressources financières pour combler ses trous budgétaires. Cela fait aussi 2 ans que la Tunisie n’arrive pas à avoir des financements extérieurs, à l’exception des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international et des 300 millions de dollars prêtés par l’Algérie.
Il y a aujourd’hui un sérieux problème de liquidités sur le marché intérieur, et la marge de manœuvre de recours aux ressources financières nationales est de plus en plus réduite sauf intervention de la Banque centrale qui pourrait user du mécanisme de création monétaire, ce qui la mettrait en porte à faux avec le FMI.
Le plus inquiétant est le fait que sans financements extérieurs, les réserves en devises se réduiront comme peau de chagrin. Il ne faut pas oublier que c’est l’apport en emprunts extérieurs qui alimente la balance des devises. Nos exportations ainsi que les transferts des TRE (Tunisiens résidents à l’étranger) ne pourront pas couvrir le volume de nos importations. D’où l’importance de ces emprunts pour combler le déficit des devises.
D’un autre côté, la baisse des réserves en devises, due à une demande de plus en plus croissante, devrait susciter, à terme, une dépréciation du dinar dont inflation qui pourrait être de deux chiffres au train où vont les choses.
Quelle piste de sortie ?
Elle est seule et unique, c’est le FMI et les mots magiques pour que les portes du fonds s’ouvrent sont REFORMES structurelles !
Au train où vont les choses et en raison de l’envolée des prix du pétrole et des céréales, les besoins budgétaires pourraient s’élever à 20 milliards de dinars. Et il n’y a que l’accord avec le FMI qui pourrait nous faciliter l’accès aux financements internationaux. Déjà que la Tunisie est traitée très durement par les agences de notation qui n’y vont pas de main morte, dégradant systématiquement ses notes souveraines, ne nous attendons donc pas à un geste de compassion de la part du Fonds, exaspéré qu’il est par l’incapacité du gouvernement à engager des réformes et ne faisant plus confiance à un Etat qui ne respecte pas les accords conclus.
Le gouvernement Youssef Chahed, le pire depuis 2011, a été pour beaucoup dans la rupture du contrat de confiance avec le FMI.
Risque de défaut de paiement
Le dernier rapport de la banque d’investissement Morgan Stanley n’est pas des plus optimistes s’agissant de notre pays. « En supposant que la Tunisie se débrouille en 2022 et sans réformes substantielles, la probabilité de défaut de paiement en 2023, en raison des besoins de financement élevés, est de plus en plus plausible », écrit la banque d’investissement basée à New York dans le rapport qui vient d’être publié. On y mentionne la pression croissante qui pousserait probablement le gouvernement à finaliser un nouvel accord avec le FMI en 2023, quoique cela pourrait être trop tard pour éviter une restructuration de la dette.
Fitch Ratings a abaissé la note de la dette souveraine de la Tunisie de B- à CCC, traduisant ainsi des risques accrus pour la levée des fonds sur le marché international en raison de retards dans la conclusion d’un nouvel accord avec le FMI.
Le gouvernement a déclaré, en février dernier, qu’il espérait parvenir à un accord avec le FMI en avril prochain, mais cela ne sera pas chose facile, en tout cas en entendant les déclarations de Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l’UGTT, qui ne vont pas dans le sens d’une entente avec le gouvernement sur les réformes à entreprendre ; une entente pourtant exigée par le FMI pour la conclusion d’un nouvel accord.
Même conclu, ledit accord ne ressemblera en aucun cas à ceux qui l’ont précédé. « Je suppose que si accord il y a, le FMI distillera les montants du prêt à accorder sur 6 fois, en ne dépassant pas à chaque fois les 200 millions de dollars, le temps de vérifier si les réformes ont réellement été engagées et de voir le résultat sur terrain », nous explique Hedi Larbi, éminent économiste.
Le danger sera-t-il écarté si les réformes sont entreprises malgré la posture des partenaires sociaux ? Il est pratiquement sûr que si les réformes sont imposées, c’est à une suite de troubles sociaux qu’il faut s’attendre, d’autant plus que le SG de l’UGTT est exaspéré par l’absence de coordination avec le gouvernement.
Aux dernières nouvelles, les agents municipaux ont d’ores et déjà entrepris une grève depuis mercredi 23 mars, exigeant de l’Etat des primes spécifiques et l’amendement du Code du travail. Les agents de la Poste ont eux aussi entamé une grève de 3 jours, les 21, 22, 23 et 24 mars.
Pendant ce temps, le premier souci du président de la République, qui a reçu mercredi 23 mars la chef du gouvernement, et après avoir chargé le gouvernement d’un pays en crise à concentrer ses efforts sur la consultation nationale, est l’activation de la promulgation des textes d’application des deux décrets controversés qu’il a signés le 20 mars sur la réconciliation pénale et la spéculation.
La visite du représentant du FMI a été citée au quatrième paragraphe dans le communiqué publié par la présidence. Du coup, si nous suivons le principe de la pyramide inversée opté dans l’écriture journalistique, nous dirons que pour le président, ses décrets-lois sont plus importants qu’un probable accord avec le FMI. Accord qui, lui, pourrait sauver le pays.
Par ses discours menaçants et ses invectives permanentes qu’il pense nuancées mais lesquelles, à les entendre, ne le sont pas, mettant presque tous les opérateurs privés dans la case des “affairistes véreux“, le président de la République n’aide pas à rétablir la confiance et la sérénité des investisseurs potentiels, aujourd’hui presque tous en situation d’attente. Le climat d’affaires n’est pas des plus encourageants en Tunisie.
Mais pourquoi s’inquiéter ? Du moment que Sigma Conseil assure que les 66% qui soutiennent le président et les 31% qui font confiance à une CDG dont ils n’ont même pas entendu la voix, tiennent le coup face à la pénurie des denrées de base, à la cherté de la vie et à l’inflation galopante à laquelle nous devons nous attendre les prochains mois.
Et comme on dit dans le dialecte tunisien « Idha habbouk irteh », si vous êtes aimé, ne faites pas plus d’effort qu’il n’en faut. A partir du moment où on peut emprisonner un spéculateur à perpétuité et où on peut imposer la réconciliation pénale à pratiquement toute la communauté d’affaires du pays, la Tunisie n’aura pas à se soucier d’un accord avec le FMI.
Ce qui nous renvoie à la citation de Bernard Willems-Diriken : « Un politicien vulgaire suit le peuple, l’homme d’Etat le précède ».
Amel Belhadj Ali