A Douar ” Bransia” à Ain Draham, où Hiba Allah Brinsi, jeune éco-entrepreneure de 34 ans, a grandi, le paysage est paradisiaque et la nature garde son aspect sauvage.
Ses yeux couleur de miel, pétillent quand elle parle de ses rêves pour sa communauté à Ain Draham, à l’Agence TAP, cette région défavorisée du nord-ouest de la Tunisie, dont le nom signifie paradoxalement, ” source d’argent “. Car, l’argent semble être ce qui manque à cette belle région montagneuse, pour pouvoir sédentariser ses jeunes, leur faire aimer son potentiel naturel et les empêcher de partir.
Dans ce havre de paix et de verdure, les jeunes, condamnés, pour la plupart, au chômage et à la pauvreté, ne rêvent que de partir sous d’autres cieux. Selon la Carte de la pauvreté en Tunisie (INS), le taux de pauvreté à la délégation d’Ain Draham est l’un des plus élevés à l’échelle nationale (24,8%). Elle est caractérisée par la prépondérance du milieu rural, la faiblesse de l’infrastructure de base, le taux d’analphabétisme élevé et le problème de décrochage scolaire.
Pour Hiba, aujourd’hui propriétaire d’un restaurant écologique et présidente d’une ONG active dans le développement et l’environnement, tout cela n’empêche d’entreprendre et de monter des projets rentables. ” Il ne faut jamais baisser les bras, il y a des milliers de rêves à réaliser “.
Sa tête vibrait déjà, depuis son enfance, de milliers d’idées de projets, dont certaines ont vu le jour grâce à sa volonté d’acier et aussi, au support de sa famille. Diplômée de l’Ecole Nationale des sciences de l’informatique (ENSI) , Hiba a passé ses premières années de chômage, à se former au sein d’associations de la société civile et à entreprendre des actions de volontariat. “J’ai voulu profiter de toutes les opportunités de formation qu’offrent les ONG au lieu de rester oisive et attendre d’être employée “, lance fièrement, cette jeune à la silhouette fine et au regard perçant.
De 2011 à 2015, elle affirme avoir passé tout son temps à se former dans diverses thématiques de l’entrepreneuriat vert et autres. Elle a beaucoup appris sur le terrain et est parvenue à maîtriser les astuces nécessaires pour écrire une idée de projet ” pitcher “, postuler pour des appels à candidature et accéder aux financements.” Contrairement aux jeunes filles de mon âge, je ne suis pas une shopaholic (personne accro au shopping) et je ne m’intéresse pas à l’apparence. Ce que j’ai toujours voulu c’est apprendre et d’améliorer mes connaissances surtout dans l’entrepreneuriat vert, social, économique et solidaire “, affirme-t-elle.
En 2014, elle a obtenu le visa pour sa propre association d’Appui à l’investissement, au développement et à l’environnement ” AIDE ” avec pour slogan “Ensemble, on peut changer “. ” A partir de ce moment, j’ai commencé à travailler pour de bon et pour la première fois avec un salaire fixe. J’ai voulu changer les conditions de mon entourage et de ma communauté “, dit-t-elle, déterminée. En parallèle, elle n’a pas arrêté de postuler pour financer des projets qu’elle avait en tête, dont celui de ” Megdia “, une entreprise sociale et solidaire destinée aux femmes rurales actives dans la fabrication et la promotion de produits de terroir.
“Je suis une férue de la nature de Ain Draham et j’y vois un potentiel énorme de développement et de création d’emplois et de sources de revenus, contrairement à mes concitoyens”, enchaîne Hiba, qui avoue avoir échoué à transmettre aux autres son énergie et sa motivation d’entreprendre.
“C’est vrai que j’ai grandi dans un environnement favorable à cette action de la société civile dans le domaine de l’environnement et de la nature. Ma famille pratique l’apiculture, mon frère est ingénieur agronome, mes oncles sont des agriculteurs et ma mère est active dans la distillation. Même si autour de moi beaucoup ont le même potentiel, ils n’ont pas la passion d’entreprendre”, regrette Hiba, qui a foi dans le travail de groupe. Hiba est parvenue aujourd’hui, à ouvrir son restaurant écologique baptisé ” Eco Explore “, qui se veut aussi, une aire de repos érigée sur une colline qui surplombe les forêts verdoyantes de la région.
Cet endroit qu’elle entretient avec amour, est situé dans un lieu de passage vers des circuits d’écotourisme où chênes, plantes de sous-bois, gorges d’oueds, cascades, tourbières sont au rendez-vous. Même si son offre gastronomique n’est pas régulière, elle reçoit souvent, des groupes de randonneurs et de férus de la nature d’Ain Draham, essentiellement curieux de découvrir le parc naturel d’Oued Zen et les tourbières de Dar Fatma.
Elle sert avec sa mère et d’autres femmes de son entourage, des repas typiquement tunisiens dont le Couscous, la salade Mechouia et la Tabouna, un pain cuit le long des parois d’un four traditionnel en terre cuite. ” Je rêve de rendre mon offre gastronomique entièrement écologique et issue de notre terre. Pour cela, j’œuvre pour former des femmes pour pouvoir cultiver ensemble notre potager”, déclare la jeune éco-entrepreneure, sur un ton rêveur.
Sa famille est d’un grand apport moral et affectif, mais elle déclare avoir du mal à gérer tout aujourd’hui, toute seule. Fraîchement mariée, Hiba compte sur le soutien de son mari Stephen, pour continuer à monter ensemble, des projets rentables dans cette zone rurale de Ain Draham. Elle envisage surtout de développer davantage des activités de valorisation des produits de terroir (patrimoine culturel et naturel), de promouvoir de petits projets de gestion de déchets et aussi de contribuer à l’amélioration de la gestion des parcs naturels à proximité, qui continuent d’être gérés d’une manière classique et sans valeur ajoutée.
Encore un rêve reporté !
Hiba Brinsi a encore un rêve d’enfance qu’elle reporte faute de moyens. ” J’ai toujours rêvé de créer une maison de retraite où les personnes âgées et les orphelins seront sous le même toit. Je crois que les deux auront besoin les uns des autres et je voudrais prendre soin des deux. C’est mon rêve reporté pour l’instant, je le réaliserai quand je serai riche “, lance-t-elle souriante et confiante.
Pour l’instant, elle a réussi à décrocher des subventions dans le cadre du projet ” Tounes wejhatona ” (La Tunisie, notre destination), un programme de 5 ans financé par l’Union européenne moyennant une enveloppe de 50 millions d’euros, et mis en œuvre en collaboration avec le ministère tunisien du Tourisme, dans l’objectif de promouvoir le tourisme alternatif.
L’argent qu’elle a reçu, elle l’a investi pour l’achat de 10 vélos ” VTT “. Son objectif est de créer une piste cyclable au profit des randonneurs et de valoriser le circuit du parc national d’Oued Zen, les Tourbières de Dar Fatma, la réserve de Ain Zen à travers un parcours cyclable qui va jusqu’à Tabarka. L’entrepreneure ne compte pas baisser les bras, même si ses projets ont été terriblement touchés par la pandémie du Covid-19. Elle continue à croire qu’à Aïn Draham, la mise en valeur des produits artisanaux fabriqués à partir des ressources forestières permet de créer des emplois, attirer les visiteurs et animer la région.
De multiples bailleurs de fonds et ONG internationales, dont WWF et COSPE (Coopération pour le développement des pays émergents), continuent de débloquer de l’argent pour cette région du nord-ouest de la Tunisie. Mais, ce qui manque, ce sont les idées viables de projets à effet d’entrainement et aussi la bonne gouvernance qui continue d’être un problème en Tunisie.