L’événement a été, en ce mois de mars 2022, l’explosion sociale qu’a connue le pays à travers les grèves déclenchées dans des secteurs sensibles pour l’écrasante majorité des Tunisiens. Ces grèves, menées sous la houlette de la centrale syndicale (UGTT), ont été observées dans divers services publics : sécurité sociale (CNAM, CNSS, CNRPS), Poste, municipalités, STEG…

Abou SARRA

Ces arrêts de travail, déclarés scandaleusement “grèves ouvertes“ (une aberration tunisienne), ont généré plusieurs désagréments aux usagers et suscité de vives interrogations sur la véritable mission sociale dévolue à l’UGTT.

Ce qui interpelle le plus, c’est leur timing et leur simultanéité. En effet, ces grèves sont intervenues à un moment où les Tunisiens sont confrontés, à la veille du mois sacré de Ramadhan, à une grave pénurie de produits de base essentiels (farine, sucre, riz, huile végétale subventionnée…) et à l’aggravation de la situation économique par l’effet de l’augmentation du cours du pétrole importé par l’effet de la guerre russo-ukrainienne. La Tunisie étant un importateur net de pétrole.

Le timing de ces grèves pose problème

Plus grave encore, ces grèves viennent s’ajouter aux régulières coupures d’électricité et d’eau potable (la dernière a duré près de cinq jours, au cours du même mois de mars, dans le grand Tunis), provoquant auprès des citoyens irritation, colère et rage…

Ces grèves ont eu également lieu au mauvais moment, c’est-à-dire à la veille de négociations cruciales entre le gouvernement Bouden et le Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention de facilités de paiement devant soulager et oxygéner des finances publiques sous forte pression.

La centrale syndicale entend exploiter ce rendez-vous crucial et mettre la pression sur le gouvernement d’autant plus que le FMI exige sa validation pour l’octroi de futurs crédits.

C’est ce qui a amené certains observateurs à percevoir dans ces grèves des relents politiques et un règlement de comptes entre la présidence de la République et la centrale syndicale, plus précisément entre le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, et le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi.

Un bras de fer entre Saïed et Taboubi qui ne dit pas son nom ?

Taboubi n’aurait pardonné au locataire du Palais de Carthage, maître absolu du pays après le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021,  d’avoir rejeté la proposition de dialogue que lui avait soumise la centrale syndicale pour sortir de la crise, d’avoir engagé en solo la consultation nationale et surtout d’avoir ordonné la fameuse circulaire n°20 émise par Najla Bouden, cheffe du gouvernement.

Cette circulaire, dont l’annulation a été l’une des revendications des grévistes, fixe les conditions de négociations sociales entre syndicats et les chefs des entreprises publiques ou les responsables de la fonction publique, négociations qui doivent, selon la circulaire, obtenir l’aval de La Kasbah avant de démarrer.

L’UGTT, qui s’est permise de “diriger“ le pays (en quelque sorte) au cours des dix dernières années, par l’effet de l’absence d’un Etat fort et de contrepouvoirs crédibles, voit dans cette circulaire, tout autant que dans sa marginalisation par la présidence, une perte sèche non seulement de son pouvoir politique mais également du mécanisme de négociation le plus rémunérateur pour ses adhérents.

Ce même mécanisme qu’elle utilise pour soutirer aux gouvernements d’importants avantages. La technique est toujours la même : négocier, obtenir des promesses, conclure des conventions et les faire prévaloir ultérieurement par tous les moyens y compris la grève.

C’est ce qui donne aux grèves de l’UGTT une certaine légitimité et explique qu’une des principales revendications des grévistes soit, justement, l’activation et l’application des accords conclus.

Depuis dix ans, la centrale recourt à cette méthode pour tenir en laisse les gouvernements du pays et pour obtenir, ensuite, des augmentations salariales et autres avantages.

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