L’événement écologique, en ce mois de Ramadhan, a été le naufrage, dans la matinée du samedi 16 avril 2022 dans le Golfe de Gabès (côte sud-est de la Tunisie), d’un cargo transportant 750 tonnes de gazole.
Battant pavillon équato-guinéen, transitant par l’Egypte et à destination de Malte (selon des sources officielles), le pétrolier de taille moyenne (58 mètres de long sur 9 mètres de large) était en difficulté depuis vendredi soir (15 courant), en Méditerranée.
Les autorités tunisiennes et méditerranéennes craignent une catastrophe écologique au cas où la cargaison du cargo se déverserait dans les eaux du golfe et menaçant ainsi la faune maritime et le littoral de la ville d Gabès, réputée déjà être la ville la plus polluée de la Méditerranée par l’effet du déversement en mer de plus de 8 millions de tonnes par an de phosphogypse, résidu très polluant des industries chimiques phosphatières.
Impact catastrophique redouté
L’enjeu est de taille pour deux raisons principales : le golfe de Gabès est connu pour être une frayère de la Méditerranée. Mieux, il golfe abrite la seule oasis maritime de la Méditerranée, une oasis qui est considérée comme un patrimoine de l’humanité, voire comme un patrimoine du bassin de toutes les civilisations de la Mare Nostrum.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’Italie, bien consciente des éventuels incidences sur la mer Méditerranée, a été le premier pays à proposé son aide. Les Italiens ont fait état de leur disposition à envoyer, en urgence, une barge pour aider les Tunisiens à contenir la catastrophe et à pomper le gazole.
L’impact socioéconomique serait, également, à craindre. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) se dit inquiet d’une éventuelle “nouvelle catastrophe environnementale dans la région” et invite les experts “à étudier l’ampleur de l’impact de l’incident sur l’activité de pêche maritime et les revenus des marins”.
L’ONG WWF souligne que le site du naufrage est “une zone de pêche pour 600 marins” et que le golfe de Gabès “abrite environ 34 000 pêcheurs qui souffrent d’agressions chimiques polluantes depuis des décennies”.
L’armée prend le commandement des opérations
Côté officiel, les autorités tunisiennes se veulent rassurantes. « Pour l’instant, les fuites sont minimes, la situation est sous contrôle. Pour l’instant, nous sommes en mesure de juguler la situation seuls, mais on va voir comment la situation évolue dans les heures à venir. Si nous avons besoin de soutien, nous ferons alors appel à l’aide internationale », a déclaré Leila Chikhaoui, ministre de l’Environnement.
Pour la ministre, même au cas où il y aura des fuites incontrôlables, le gazole, contrairement au fuel, présente l’avantage de s’évaporer et de ne pas affecter outre mesure la faune sous marine.
Aux dernières nouvelles, faisant fi des propos apaisants de la ministre, le président de la République a ordonné l’armée nationale de prendre les commandes des opérations dans le golfe de Gabès, pour tenter de circonscrire les risques de pollution.
L’armée va donc, d’après le communiqué publié, coordonner avec toutes les parties concernées au niveau régional, national et international, pour mettre à la disposition des opérations toutes les ressources possibles.
Des zones d’ombre à éclaircir
Abstraction faite de ces mesures et propos apaisants, plusieurs observateurs s’interrogent sur les circonstances dans lesquelles le Xelo a coulé dans le Golfe de Gabès.
Selon le député gelé basé en Italie, Mejdi Karbaï, se référant à des données satellitaires (GPS), le pétrolier Xelo n’a pas fait l’itinéraire Port Damiette (Egypte) – Malte mais plutôt Malte – Tunise – Egypte (Sfax – Gabès – Damiette). Il demande en conséquence aux autorités tunisiennes d’enquêter sur le sujet.
Pour sa part, Ghazi Moalla, spécialiste des relations tuniso-libyennes, voit dans l’aventure du cargo Xelo – qui l’a mené au port de Sfax puis au Golfe de Gabès – des relents de contrebande et de trafic international. L’expert appelle à vérifier si le Xelo, lors de son accostage au port de Sfax, transportait ou non les 750 tonnes de gazole et s’il a été approvisionné après au large.
L’expert fait apparemment allusion à des informations publiées dans plusieurs pays européens (Suisse, Italie…) à propos d’une entreprise de contrebande de pétrole entre la Libye, Malte et l’Italie et de vastes opérations pour blanchir l’argent du pétrole.
D’autres observateurs se sont interrogés sur la facilité avec laquelle ce cargo, en service depuis 45 ans, a été autorisé à entrer dans les eaux territoriales tunisiennes.
A défaut de la disponibilité en Tunisie de législations fermes incriminant l’accueil des bateaux-poubelles dans les ports du pays, des armateurs véreux auraient trouvé dans cette faille une opportunité pour s’en débarrasser et recevoir la prime d’assurance, et ce avec la complicité, peut-être, d’importateurs tunisiens…
Les bateaux-poubelles et le littoral tunisien
Pour mémoire, deux exemples édifiants. Au mois décembre 2019, l’Hamada S, cargo polyvalent battant pavillon togolais en service depuis 43 ans et appartenant à l’armateur turc Sayoss Shipping Ltd a échoué sur la plage de Rimel (Bizerte). Les remorqueurs mobilisés à cette occasion n’avaient pas pu le déséchouer.
A l’époque, le bateau était arrivé de Bejaia (Algérie). Son commandant avait prétendu qu’il était attendu au chantier de réparation de Menzel Bourguiba. L’accès au port lui a été interdit après le refus par le commandant de payer les services d’un remorqueur qui lui permettrait de franchir en sécurité le pont de Bizerte et le chenal du port et d’atteindre Menzel Bourguiba de l’autre côté de la lagune. Dans la nuit, l’Hamada S chasse sur ses ancres et va s’échouer sur la plage de Rimel. Le motif serait un problème de prime d’assurance.
Le deuxième exemple remonte au 28 août 2021. Il s’agit du naufrage, en mer d’Egée (Grèce), du cargo vraquier céréalier « Sea Bird », âgé de 36 ans contre une norme internationale de 27 à 32 ans. Propriété d’une société libanaise, le Sea Bird est un « cargo poubelle ». Il transportait 7 000 tonnes de blé ukrainien à destination du port de Sousse en Tunisie.
La question qui se pose dès lors sur l’identité de l’importateur tunisien (s’il y en a) qui aurait donc conclu un contrat avec les propriétaires de ce cargo, les circonstances dans lesquelles ce contrat aurait été conclu et le degré de responsabilité du ministère tunisien du Transport qui aurait avalisé la conclusion d’un tel contrat.
Cela pour dire au final que ces cargos poubelles n’ont pu fréquenter les ports tunisiens et faire courir à notre écosystème de graves risques que grâce à l’absence de textes dissuasifs et grâce aussi à des importateurs cupides qui ne cherchent que le gain facile.
Abou SARRA