C’est la première fois qu’un lobbyiste reconnu pour être l’un des acteurs du monde de la Cyber Influence en Afrique intente un procès contre Facebook en Tunisie. Il s’agit de Lotfi Bel Hadj, le fondateur d’UReputation, représenté devant la justice tunisienne par Me Lamjed Nagati et Me Mohamed Boussama. Une première affaire dont l’audience est fixée pour le 5 mai est introduite devant les tribunaux tunisiens à l’encontre de la multinationale Facebook pour rupture abusive de relations contractuelles.
Désinformation et ingérence politique sont les raisons évoquées par FaceBook pour sanctionner UReputation, l’agence d’intelligence et de communication digitale sise à Tunis. 446 pages, 182 comptes Facebook, 96 groupes, 60 événements et 209 comptes Instagram ont tout simplement été fermés en 2020 par Facebook. Il y a même des comptes personnels sans aucune relation avec les activités de UReputation.
Non mais quelle mouche a donc piqué Marc Zuckerberg ?
C’est le think tank Atlantic Council américain spécialisé dans les relations internationales qui aurait saisi Facebook affirmant que UReputation exploite les données personnelles des utilisateurs du réseau social pour orienter leurs choix lors des campagnes électorales effectuées dans des pays africains. Le rapport a été soumis au think tank par son laboratoire DFR Lab chargé d’étudier et d’identifier les phénomènes de désinformation pour dénoncer les fausses informations et soutenir les efforts US fort nobles pour construire une résilience mondiale numérique.
L’accusation porte sur la création de faux comptes, faux sites d’information, manipulation de l’opinion et la création d’audiences larges, favoriser tel ou tel candidat ou écartant d’autres en les médisant. Pour FaceBook, Lotfi Bel Hadj aurait, via son agence, adopté des «comportements inauthentiques coordonnés» (CIB, Coordinated inauthentic behaviour). On lui reproche l’absence de cohérence idéologique et la recherche d’intérêts pécuniers.
Bizarre lorsque l’on sait que FB a réalisé des bénéfices de l’ordre 39,370 milliards de dollars en 2021, soit une progression de 35% par rapport à 2020 où ils s’élevaient à 29,146 milliards justement avec pour seule cohérence idéologique l’augmentation des bénéfices et en usant sans vergogne d’algorithmes permettant de profiler et de manipuler les utilisateurs à des fins commerciales et même de renseignements.
La cohérence idéologique de Facebook et de Zuckerberg porte le nom de bénéfices et d’argent, pourquoi pas URepurtation ? UReputation qui exerce des activités dûment réglementées et qui est liée par un contrat qui permet à FB de contrôler, de valider et de surveiller en amont les contenus des pages et des sites qu’elle gère.
Le fondateur de l’agence estime la perte à plus de 12,5 millions de dinars, et se demande sur les raisons de cette attaque contre une agence active sur l’ensemble du continent africain et reconnu en tant que spécialiste de la cyber-influence.
Lotfi Bel Hadj menacerait-il les intérêts de grands cabinets de lobbying anglo-saxons ?
Expert dans la gestion des crises, la communication économique, la promotion de l’image de marque d’un pays, l’analyse et la constitution de bases de données ainsi que la cyberinfluence, Lotfi Bel Hadj est omniprésent en Afrique.
Que le think tank Atlantic Council concentre ses efforts via son laboratoire sur UReputation ne paraît pas innocent au vu de la place qu’il prend de plus en plus auprès des premiers décideurs africains dans un continent considéré comme le moteur de croissance du monde pour les prochaines décennies.
Atlantic Council s’indigne des faits et gestes de Lotfi Bel Hadj et ceux de son agence pour des raisons éthiques, dit-elle, ignorerait-il le rôle joué par le milliardaire Georges Soros, fomenteur de révolutions assassines dans de nombreux pays avec des centaines de milliers de vies de perdues et financier de supports numériques endoctrinants et dogmatiques ? Vies perdues et réputations « salies » revêtent-elles la même importance ?
Lorsque l’on sait que la guerre en Irak avec ses centaines de milliers de victimes a été engagée suite à une vaste campagne de désinformation, on est en droit de demander à Atlantic Council où était son sens éthique à l’époque.
A s’approfondir dans le monde des GAFA, on comprend aisément que réputation ou orientation des voix électorales n’occupent pas le haut des préoccupations. En témoignent les campagnes de manipulation des opinions publiques opérées par des acteurs politiques américains et leurs chefs de campagnes depuis les maires jusqu’aux présidents en passant par les sénateurs et qui jouissent de l’indulgence des think tank objecteurs de conscience US.
Bataille juridique et mise à nu des pratiques des GAFA
Aujourd’hui, la bataille juridique que compte mener Lotfi Bel Hadj via ses avocats depuis Tunis ne vise pas seulement à exiger de FaceBook des dédommagements pour toutes les pertes engendrées par sa rupture abusive du contrat avec UReputation, le but est la mise à nu des pratiques des GAFA et en prime FB dans l’usage et l’exploitation des données personnelles des adhérents et les deux poids deux mesures dans le traitement des informations diffusées à travers le réseau social. Les dernières campagnes autorisant les messages violents à l’encontre de l’armée et de l’Etat russes prouvent l’absence de préoccupation d’ordre moral chez FB, et du coup rejettent tout argument éthique venant de FB.
Aussi bien pour Lotfi Bel Hadj que pour ses avocats, il s’agit de gagner la bataille de la souveraineté numérique. Les GAFA doivent accepter que les Etats abritent les bases de données des utilisateurs sur place. Les données personnelles des citoyens du monde ne peuvent plus être stockées dans des bases de données sises aux Etats-Unis d’Amérique offrant aux autorités américaines toute latitude de les exploiter et d’en user afin de servir l’ordre mondial numérique venant des USA.
La dépendance aux nouvelles technologies et aux entreprises qui les contrôlent via des algorithmes, des objets connectés, ou l’intelligence artificielle représentent des menaces sérieuses pour les pays qui en usent sans se protéger. Le droit au respect de la vie privée et à la protection de données hautement confidentielle dont les coordonnées bancaires, les informations de santé ainsi que les données financières relèvent de la souveraineté de tout pays et ne peuvent plus être soumis au diktat des multinationales qui règnent sur les réseaux numériques.
La prochaine bataille est celle de la préservation des données personnelles en défendant l’implantation de bases de données nationales, la gestion locale de l’espace numérique et la régulation des activités des réseaux sociaux et du net par des ingénieurs informatiques qui adoptent les normes juridiques édictées par les pays d’appartenance, affirme Lotfi Bel Hadj.
La guerre vient tout juste de commencer, elle promet d’être passionnante.
Attendons de voir.
Amel BelHadj Ali