L’Afrique est un continent systémique. Il lui appartient de faire bon usage de son potentiel systémique.

A la veille de la 5ème édition du FITA 2022, nous avons interrogé Nizar Yaïche, commissaire général, ancien ministre des Finances, et Partner membre de la leadership team mondiale de PwC (PricewaterhouseCoopers).

WMC: En votre qualité de Commissaire Général de FITA 2022 , dans quelles conditions se présente FITA ? L’affluence a-t-elle été au niveau de l’audience de l’événement?

Nizar Yaïche : Nous sommes plus d’un millier à être accourus des quatre points cardinaux de ces terres bénies de l’Afrique, en réponse à l’effet d’appel de FITA, vent debout pour mieux insérer notre continent à la dynamique de croissance de la planète.

Je suis ravi et honoré de saluer cette auguste assemblée et je salue notre volonté singulière en tant qu’Africains à appuyer l’exubérance naturelle de notre continent et à lui procurer l’audience qui lui sied dans le concert des nations.

C’est avec fierté et ravissement que nous accueillons nos invités de marque, responsables politiques de premier rang, décideurs économiques de premier plan, chefs d’entreprise, managers, experts et speakers de la plus haute compétence rivés sur la ligne la plus avancée de la pensée économique, de la gestion des affaires et du management.

J’observe une volonté unanime de servir l’élan d’émulation et cet objectif de convergence des pays du continent.

Comment résumer l’esprit de FITA ?

La conférence annuelle de FITA initiée par TABC ressemble à un pari sur l’intelligence des opérateurs économiques du continent, et je trouve cet esprit de challenge motivant. Je partage le crédo des organisateurs dont la finalité est de décloisonner le continent à l’effet d’en faire un “Open Space” d’échanges faisant de l’Afrique la terre promise de l’investissement.

L’alchimie des quatre éditions précédentes a pleinement opéré. J’observe avec ravissement que l’engagement renouvelé et amplifié d’une année sur l’autre avec un éventail varié de réalisations sur terrain confère à cette manifestation une portée prometteuse qui connaît un essor encourageant.

Comment se déroulera la 5ème édition ?

Nous avons veillé à ce que la 5ème édition de FITA 2022 aborde le plus large spectre de débats, déployés sur huit panels de haute tenue, animés par des speakers instruits des réalités du terrain, des dysfonctionnements de nos systèmes d’organisation nationaux peu aguerris aux standards sévères de la compétition à l’international.

Nous appuyons leurs efforts à faire aboutir la volonté du continent de se surpasser. Et je sais d’expérience, ne serait-ce qu’en référence aux exploits spectaculaires de nos sportifs ou à l’audience de nos artistes et gens de culture, que nous autres Africains en possédons le mental.

Le contexte mondial troublé vous contrarie ?

FITA se tient dans un contexte mondial où les risques s’ajoutent aux incertitudes. A peine remise des méfaits de la pandémie de Covid-19, revoilà l’économie mondiale confrontée à un risque de convulsion généralisé. Cela distend nos fragilités et remet à l’épreuve nos efforts de développement. En tant qu’ancien ministre des Finances (de la Tunisie, ndlr), je pèse le poids des contraintes qui brident les finances publiques limitant les marges de manœuvre des gouvernements. Le stress budgétaire, le fantôme de la pénurie, les ravages de l’inflation importée bousculent leurs prévisions.

Dans ce sillage durant ces deux jours, nous examinerons les perspectives du développement économique, les horizons des finances publiques, les potentialités de la finance de marché, le déploiement du secteur privé, les possibilités des transitions écologiques et énergétique, l’expansion des échanges commerciaux, les promesses de la digitalisation, l’engagement en faveur de la diversité et le basculement vers une Afrique 4.0.

De la sorte, nous nous ferons notre propre opinion quant au cadre de choix relatif aux principaux ressorts de la croissance et des intrants de la création de richesses de demain.

L’esprit de FITA est-il en ligne avec la pensée économique du moment ?

Je dirais que face à un système trop gagné à la rigidité de la rationalité économique, une autre approche du développement est possible, et ensemble nous travaillons à l’explorer et à la formaliser pour mieux plaider la cause de l’émergence du continent.

L’option pour la triangulation, véhiculée par TICAD… est une option vertueuse. Elle doit nous interpeller.

Il est possible de déborder la stricte rigueur du calcul économique et du rendement financier. L’ascendant du système financier, principal pourvoyeur du financement de nos politiques de développement, nous maintient dans une asymétrie lourde de conséquences.

Il nous appartient de convaincre nos partenaires internationaux et les institutions multilatérales de la nécessité et de l’utilité de politiques publiques plus généreuses, plus clémentes, plus attentives à la résorption des inégalités et autres injustices. Cette connotation sociale prononcée est, nous le pensons, un bouclier de stabilité favorable au développement du secteur privé.

Vous avez fait la promotion d’autres événements également, comme la TICAD. Qu’en est-il exactement ?

FITA 2022 s’ouvre sous les meilleurs augures et je suis heureux que des responsables de TICAD 8 nous rejoignent dans un panel qui sera consacré à cette manifestation. Les organisateurs de TICAD et notamment la Chambre tuniso-japonaise nous présenteront leur Livre blanc, soit le catalogue de projets qui sera présenté lors de la tenue de cette manifestation à Tunis au mois d’août prochain. Nous espérons pouvoir contribuer à enrichir ce document par vos propositions de projets.

L’option pour la triangulation, véhiculée par TICAD en vue d’un partenariat économique et technologique entre le Japon, la Tunisie et le reste du continent africain, est une option vertueuse. A tous points de vue, elle doit nous interpeller.

Nous sommes fiers et enchantés de voir que la Corée du Sud, attirée par cette même finalité et gagnée par l’esprit de la triangulation, entende nous rallier. Nous accueillons parmi nous une délégation d’une centaine de représentants sud-coréens. Elle comprend des personnalités politiques et des représentants du monde des affaires de ce grand pays ami auquel nous lie une longue tradition de coopération.

Nous sommes également heureux d’accueillir des membres du Comité d’organisation du XXVIIIème Sommet de la Francophonie qui se tiendra au mois de novembre prochain en Tunisie.

Naturellement nous renforcerons l’initiative de l’Union européenne, notre partenaire historique, empreinte du même esprit et qui nous conforte dans notre rôle si valorisant de Global Gateway pour le continent.

Je forme le vœu que l’esprit et la démarche de FITA nous conduiront à faire des choix forts, à l’effet d’acter le désir d’avenir du continent.

Que sera le message de FITA à l’adresse des institutions multilatérales ?

J’observe avec satisfaction que les pays africains ne souhaitent plus travailler en ordre dispersé. Fragmenté, le continent réduit les possibilités de son dynamisme économique même si de-ci, de-là il enregistre quelques poussées avantageuses.

Les tenants de la pensée économique dominante ne nous prédisent pas une émergence économique prometteuse. L’oracle de la dérive du continent menace notre devenir, soyons à la manœuvre, sachons tracer notre avenir. Sans nous départir de l’efficacité économique mais sans verser dans la rigidité de la rationalité pure et dure.

Donnons vie à un modèle de société aux standards des exigences de nos concitoyens mais qui soit étalonné aux postulats de l’efficacité économique

Notre dépendance financière et technologique nous pénalise, le croît démographique plombe notre émancipation. L’ordre financier mondial ne nous offre pas un angle de salut et ses caprices nous coûtent tant. L’inflation nous ponctionne aveuglément et nous la subissons, impunément. La logique financière est sourde à nos soucis. Ne nous exonérons pas, cependant, de notre part de responsabilité et convenons qu’un sursaut pour une gouvernance avisée et une discipline économique effective nous serviraient avantageusement.

Sachons, avec l’expertise, nécessaire trouver des politiques de ruptures. Un policy mix économiquement efficace et socialement clément est possible. Donnons vie à un modèle de société aux standards des exigences de nos concitoyens mais qui soit étalonné aux postulats de l’efficacité économique. La nécessité rend ingénieux, dit-on.

Apprenons à nous servir des vents contraires d’une globalisation aveugle et de la menace d’une démondialisation qui menace. Recalibrer nos possibilités d’ancrage des chaînes de valeurs qui se réinventent au gré de ces oscillations est à notre charge.

Refonder une pensée économique pour un développement plus inclusif, mais économiquement performant, optimisant les rôles et répartissant les périmètres d’intervention de l’Etat et du secteur privé, c’est dans nos possibilités. Avec ce qu’il faut de pouvoir de persuasion, on peut faire entendre raison aux tenants de la pensée dominante qui n’est pas taillée pour nos besoins. Aucun pays ne peut gagner durablement dans un monde.

Qu’attendez-vous, en retour à vos appels aux marchés et surtout aux communautés d’affaires internationales ?

Je commencerais par rappeler que les économies avancées prélèvent sur le continent de nombreuses ressources qui tirent vers le haut leur croissance économique. Et en retour, le continent pourrait faire prévaloir son appel à un juste appoint de financement. Car plus l’Afrique investira, mieux le monde se portera. L’heure est venue pour que l’Afrique se prenne en mains et hisse son ambition au niveau de son appétit de développement.

Plaider en faveur d’un impôt mondial qui doperait la tonicité de notre secteur privé est une initiative recevable. Cet impôt aurait pour assiette certaines activités spéculatives non point par esprit de représailles dogmatiques ou doctrinaires, mais simplement en parade aux méfaits de la volatilité que comportent ces activités, serait de notre point de vue tout à fait possible à mettre sur pied. Un consensus mondial sur cette question nous paraît plausible.

Sur le continent africain, des cimes majestueuses de l’Atlas et du Kilimandjaro ne nous laissons pas décourager par le relèvement de notre ambition. Notre quête du meilleur est légitime. Il nous faut grimper vers les hauteurs et les enseignements de l’histoire glorieuse de notre continent nous instruit d’enseignements précieux.

Léopold Sedar Senghor appelait à ce que nous assumions notre africanité comme composante de la culture universaliste.

La Tunisie a opté irréversiblement pour la démocratie quoiqu’il lui en coûte. Elle triomphera des caprices de la transition.

Cette démarche doit être empreinte de réalisme et de l’intelligence des contraintes de l’instant, ajoutait Habib Bourguiba qui appelait à faire le distingo entre l’essentiel et l’important.

Ibn Khaldoun appelait à domestiquer le génie des modèles complexes pour mieux apprivoiser l’avenir.

Et Nelson Mandela nous éveillait au culte de la persévérance et au déni du découragement affirmant “je ne perds jamais, j’apprends tout le temps”. C’est cette ontologie africaine de la pensée du développement qui nous prédisposera à peser sur le cours de l’histoire et la marche du temps.

Vous appelez à un “Up Grading” à l’ambition du continent africain. Au concret, qu’est-ce que cela signifie ?

Les visions tunnels et les objectifs étriqués nous brident et nous inhibent. Donnons du champ à nos visions et de l’imagination à notre planification. Ne pas laisser notre avenir hypothéqué par le seul calcul économique austère.

FITA est la matrice où pourront s’exercer les décideurs africains à composer avec le meilleur de l’innovation financière, à tester les apports des Publically Assisted Projects (PAT), à renforcer les termes du libre échange intra-africain avec la ZLECAF.

Comment exposer le contexte actuel que traverse la Tunisie aux invités de FITA 2022 ?

Il m’est agréable de rappeler que la Tunisie, qui a cédé son identité au continent “Ifriqya”, est honorée d’accueillir les illustres invités de FITA. Tunis vibre au tempo de la capitale de l’Afrique, de point de rencontre continentale et de matrice à notre inspiration de refondation économique. Faire dialoguer les Africains entre eux en vue de leur quête de la performance économique est un motif de fierté pour notre pays.

La Tunisie a opté irréversiblement pour la démocratie quoiqu’il lui en coûte. Elle triomphera, j’en demeure persuadé, des caprices de la transition. La démocratie finira par s’imprégner du parfum du jasmin dont on a fait notre fleur de lys nationale.

Cette terre d’accueil à travers les siècles, a été une zone de confluence et de fécondation des courants de pensée et de l’esprit de tolérance et d’ouverture sur l’autre. Elle a su se redresser après avoir subi les foudres de Caton qui, dans sa rage déraisonnable, a ordonné sans appel “Dalenda Carthago”.

Etre ou ne pas être, en compétition et dans la course, sachons que la jeunesse est dans l’attente de notre résolution

Elle s’est relevée des hostilités et des invasions par vague des Normands ainsi que des Vandales, et s’émanciper des méfaits de la colonisation venue de tous côtés.

Terre de bonne saveur, elle s’emploie à cultiver un art de vivre, privilégiant le dialogue des civilisations, s’arrimant à la marche du temps au sein du concert des nations est notre penchant naturel.

J’appelle tous les participants à la 5ème édition de FITA à la nécessité de travailler à amener l’Afrique à se donner l’ambition de prendre un rendez-vous avec l’Histoire, et notre devoir serait de l’y amener. Exprimé en termes simples, le défi pour le continent africain serait de notre point de vue : “Etre ou ne pas être, en compétition et dans la course, sachons que la jeunesse est dans l’attente de notre résolution”.

Ali Abdessalem