A l’horizon 2030, l’économie de la mer génèrera, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 3 000 milliards de dollars. Elle représente actuellement la deuxième activité économique mondiale après celle de l’agroalimentaire.
En Tunisie, le développement de l’économie bleue, qui représente 12 % du PIB, est freiné par l’inadaptation et le dysfonctionnement de la logistique dont celle portuaire, regrette Mongi Lahbib, ancien directeur Europe (Union Européenne). La Tunisie fut classée en 2019 par le World Economic Forum au 105ème rang mondial sur un total de 140 pays.
Ne pas tourner le dos à la mer mais y voir un gisement important de croissance, d’innombrables ressources et de multiples opportunités, justifie amplement l’organisation du Symposium de l’économie bleue en marge de la Saison bleue tenue les 19 et 20 mai à La Marina de Gammarth.
Abdelaziz Dargouth, organisateur de cette première édition consacrée à l’économie de la mer, y voit l’Eldorado dans un contexte de croissance mondiale réduite et de recherche de nouvelles sources de développement économique par de nombreux gouvernements. « La croissance est particulièrement attendue dans l’aquaculture marine, l’énergie éolienne offshore, la transformation du poisson et la réparation et le démantèlement de la construction navale ».
La croissance est particulièrement attendue dans l’aquaculture marine, l’énergie éolienne offshore
Les intervenants au panel consacré à l’économie bleue, vendredi 20 mai, parlant de leurs projets, ont éclairé l’assistance sur les opportunités qu’offre la mer aux opérateurs innovants et imaginatifs. L’économie bleue ne se limitant pas aux activités traditionnelles telles la pêche, la construction navale et le balnéaire mais comprenant aussi l’aquaculture, les biotechnologies marines, les énergies renouvelables et d’autres sources de croissance intelligente, durable et inclusive.
Intervenants étonnés par le manque de curiosité des responsables publics et l’absence dans les stratégies économiques d’axes consacrés à l’économie bleue. « Incompréhensible ! », s’est exclamé Abdelaziz Dargouth, indigné.
Est-ce de la méconnaissance ? Surprenant ! Lorsque nous savons la longue histoire de la Tunisie dans le commerce maritime depuis les comptoirs phéniciens et son emplacement stratégique au cœur d’une Méditerranée riche en échanges économiques.
Expériences inédites dans « l’entrepreneuriat bleu »
Pour nombre de projets qui ont vu le jour dans l’économie bleue, le mérite revient au Pr. Saloua Sadok, directeur de laboratoire à l’Institut national des sciences et technologies de la mer (INSTM). Saloua Sadok, qui s’est consacrée au développement de la recherche en biotechnologie aquatiques, a rappelé, à l’occasion, que l’INSTM, fondé en 1924, est l’un des premiers instituts de recherche marine en Afrique. On y étudie les ressources aquatiques, l’aquaculture, la bioénergie, les levures marines, les algues, la biomasse, les microorganismes et nombre de produits de la mer qui offrent un grand potentiel pour l’économie.
Olfa Kilani, fondatrice de Kyto-Prod, a choisi, après une expérience de plus de 15 ans dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique appliquée à la valorisation de biomasse, de lancer son propre projet. Ayant racheté son brevet de recherche à l’INSTM, elle met sur marché une gamme de produits divers à base de chitosan, une molécule naturelle d’origine marine, provenant de plusieurs crustacés et mollusques pour en faire des suppléments nutritionnels, des produits minceurs et des produits de bien-être.
Olfa Kilani met sur marché une gamme de produits divers à base de chitosan, une molécule naturelle d’origine marine, provenant de plusieurs crustacés
Dr. Olfa Kilani a osé l’aventure de l’entrepreneuriat le préférant à la profession de « Mismar fi hit » (Métier rassurant et à vie) dans la fonction publique. Ses 15 ans de recherche en biotechnologie particulièrement dans le domaine de valorisation de biomasse lui ont permis de lancer Kyto-Prod qui, aujourd’hui, part à la conquête du monde.
Mehdi Bhouri, fondateur de la Start-up Water Spirit, a tout récemment bouclé une levée de de fonds de 6,2 millions de dinars. Après un passage auprès de BIATLABS, il s’est installé à Sidi Thabet où il s’est attelé à cultiver des souches particulières de microalgues pour en extraire des antioxydants (astaxanthine) très forts orientés vers les industries pharmaceutiques et parapharmaceutiques. Les antioxydants servent, entre autres, à trouver des solutions aux maladies liées à l’âge et l’oxydation. La start-up s’oriente vers l’exportation de ses produits aux Etats-Unis et en Europe.
Et devinez quoi ? Mehdi Bhouri avait lui aussi un travail « Mismar fi Hit » en tant que cadre à la Banque centrale de Tunisie. Il a choisi la liberté et l’aventure entrepreneuriale. C’est dire !
Mounir Boulkout, fondateur de Selt Marine Group, après 20 ans de combat avec l’administration, a pu disposer d’une concession de 80 hectares sise à Bizerte pour la culture des Algues marines
Un autre projet qui réussit et dont les succès ont d’ores et déjà franchi les frontières nationales est celui de Mounir Boulkout, fondateur de Selt Marine Group. Selt-Marine a pu, après un combat de 20 ans avec les pouvoirs publics, disposer d’une concession de 80 hectares sise à Bizerte pour la culture des Algues marines. Les macro-algues qui y sont cultivées ne puisent pas dans les réserves hydrauliques en eau douce, n’ont pas besoin de fertilisant ou de pesticide et représentent un excellent moyen de lutter contre la pollution car elles récupèrent le CO2 pour produire de l’oxygène.
A quoi servent ces algues ?
Elles remplacent les OGM et la gélatine animale extraite traditionnellement du porc et du bœuf par celle végétale. Aujourd’hui en Tunisie, les industriels dans l’agroalimentaire ont remplacé la gélatine animale par celle végétale, et les produits Selt Marine sont utilisés dans toutes les applications alimentaires dont le yaourt.
Mieux encore, comme le hasard fait bien les choses, raconte Nadia Selmi, DG adjointe, on a découvert en plein pandémie Covid-19 que la poudre d’algues protégeait des atteintes sévères du virus et que les travailleurs même positifs n’avaient pas de symptômes : « Nous avons créé un spray nasal anticovid, extrait d’algues qui forme un film barrière contre l’inhalation du virus ». Selt-Marine n’a pas fermé ses portes durant la période du Covid.
Nous avons créé un spray nasal anticovid, extrait d’algues qui forme un film barrière contre l’inhalation du virus
Nombreux sont les exemples de succès inédits dans l’économie bleue en Tunisie, un pays où, déplore Pr Saloua Sadok, «la recherche n’est pas une priorité politique alors que c’est un moteur économique très important. Nous avons besoin de networking, de personnes qui croient en nous dans le secteur privé et dans ce que nous pouvons leur offrir, nous avons besoin d’augmenter le nombre d’entrepreneurs dotés de compétences scientifiques, d’une capacité de comprendre, de réagir et de décider rapidement».
Que dire de plus ?
Amel Belhadj Ali