Ils sont souvent transportés par le courant dans tous les sens formant, dans les eaux sous-marines peu profondes de la Méditerranée, des faisceaux de vagues de feuilles vertes très jolies à voir.
Ils s’appellent les herbiers de Posidonie (Posidoniaoceanica), en référence à Poséidon, le dieu grec de la mer et sont des plantes à fleurs qui caractérisent la Méditerranée sous-marine tout comme l’olivier est l’arbre symbole de la Méditerranée continentale. Ce sont aussi l’espèce fondatrice de l’un des écosystèmes les plus importants de la mer Méditerranée, confirmant sa vocation de hotspot de biodiversité.
Pourtant, ces forêts sous-marines endémiques de la Méditerranée qui fournissent nourriture et abri à d’autres espèces, stabilisent les fonds marins et aident à contrer l’érosion marine, sont aujourd’hui menacées en raison de leur sensibilité aux excès des humains (pollution, surpêche..), aux invasions biologiques et au changement climatique.
Leur croissance nécessite beaucoup de temps et leur destruction laisse ainsi une cicatrice dans l’écosystème marin qui se rétablit en plusieurs années. Raison pour laquelle, il est désormais nécessaire de protéger ces “alliés naturels” de l’homme et de tirer meilleur profit de leurs services écologiques et économiques multiples.
Pour la première fois, un projet de réimplantation de Posidonie en Tunisie
Pour sauver ces écosystèmes marins menacés en Tunisie, six partenaires tunisiens et italiens des milieux scientifiques et de recherche et enseignement, sont en train de collaborer pour restaurer les herbiers sous-marins de posidonie dans le cadre d’un projet de partenariat de deux ans baptisé ” MIAREM ” “Méthodologies innovantes et Actions de Renforcement pour protéger l’Environnement Méditerranéen”, entamé en octobre 2021.
L’initiative consiste à réimplanter, à travers un système fabriqué à l’aide d’une matière en plastique biodégradable pour assurer le processus d’enracinement des boutures, des parcelles d’un hectare de posidonie dans des zones pré-identifiées entre Bizerte et Monastir.
” Une fois la zone est choisie et restaurée, elle sera suivie durant une année en utilisant des techniques innovantes développées par des partenaires italiens “, explique Dr. Fatma Trabelsi de l’Ecole Supérieur des Ingénieurs de Mjez El Bab.
Le projet mené dans le cadre du programme de coopération transfrontalière IEV ” Italie-Tunisie ” 2014-2020, cofinancé par l’Union européenne (UE), a aussi pour objectif de sauver les herbiers de posidonie en tant qu’écosystèmes endémiques à la Méditerranée et aussi des puits de carbone atmosphérique majeur, à court et à plus long terme.
Pour l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL). En Tunisie, il s’agit d’un passage du stade de l’observation et du contrôle à celui des solutions de restauration pour une éventuelle généralisation sur les côtes tunisiennes.
“On s’est contenté jusque là d’observer le déclin des herbiers de Posidonie sur les côtes tunisiennes, mais à travers ce projet on va passer aux solutions”, déclare à TAP Mehdi Ben Haj, ingénieur principal et directeur de l’aménagement et de la réhabilitation du littoral au sein de l’APAL.
“C’est pour la première fois qu’un projet de repeuplement d’herbiers de Posidonie sera réalisé en Tunisie après une expérience pilote en Italie.
C’est révolutionnaire à mon avis et ça va servir tout l’écosystème sous-marin méditerranéen”, développe Ben Haj, enthousiasmé.
D’après le responsable, qui assistait à une rencontre de présentation du projet ” MIAREM “, organisé à la Cité des Sciences (Tunis), il s’agit aussi d’une première pour l’APAL qui intervenait d’habitude pour la protection du littoral et du domaine public maritime contre les empiètements et les occupations illicites et menait d’autres actions sans toucher aux écosystèmes sous-marins.
Des alliés naturels dans la lutte contre les changements climatiques
Bien qu’ils n’occupent qu’entre 25 000 et 50 000 km2 des zones côtières de la Méditerranée, correspondant à 25% du fond marin, selon medwet.org, les herbiers de Posidonie jouent un rôle primordial dans le stockage du carbone.
Grâce à la matte formée par l’entrelacement des rhizomes et des racines compactées par les sédiments, ils captent le carbone au moment où l’humanité mène sa bataille presque désespérée pour réduire les émissions de CO2 et maintenir le réchauffement mondial sous la barre des 2 °C.
La population méditerranéenne de Posidonie produit 14 à 20 litres d’oxygène par mètre carré chaque jour, selon une étude de l’Institut méditerranéen de recherche avancée (IMEDEA) et de la Fondation BBVA, une organisation qui travaille sur la suavegarde de la biodiversité basée à Madrid.
Elle joue aussi un rôle crucial dans la lutte contre l’érosion à travers la stabilisation des fonds marins, l’amortissement de la houle et des vagues et le dépôt des sédiments qui forment des brises-vagues le long des rives.
En plus de son rôle de poumon vert de la Méditerranée, ces prairies sous-marines, renferment entre 20 à 25% d’espèces faunes et flores.
Certains poissons, comme la saupe, ne mangent quasiment que des posidonies et sur la matte vit une grande diversité des invertébrées et même les feuilles mortes de posidonie sur les bords des plages servent d’habitat pour une faune spécifique.
Aussi, selon une étude internationale publiée dans le journal Nature Geosciences: https://www.nature.com/articles/s41598-017-03006-2.pdf, les herbiers de posidonies sont nécessaires pour limiter le réchauffement climatique, car ils captureraient même trois fois plus de carbone qu’une forêt tempérée ou tropicale.
Pas de lois pour protéger les herbiers de posidonie en Tunisie !
En Tunisie comme ailleurs en Méditerranée, les herbiers de posidonie appelés en dialecte tunisien “Dhrii”, ont subi une importante régression durant les dernières années à cause principalement de la pêche illicite (chalutage sur les herbiers), la compétition avec des espèces introduites, l’aquaculture côtières et la pression de la pollution chimique.
Cette régression est particulièrement observée, selon l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL), au niveau des différentes côtes et en particulier le Golfe de Gabès, connu pour ses herbiers tigrés.
Pourtant, jusqu’à ce jour, aucune loi de protection particulière ne cible ces écosystèmes sous-marins présents sur presque toutes les côtes tunisiennes (Sousse, kélibia, Hammamet, Golfe de Gabès, Monastir, Bizerte), alors que dans d’autres pays dont la France, ils sont protégés en tant que “paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral”,depuis septembre 1989 (décret).
La Convention de Barcelone engage, pourtant, les pays signataires dont la Tunisie, à “adopter toutes les mesures appropriées pour la protection des peuplements de “Posidoniaoceanica” et toutes les autres phanérogames marines (plantes marines possédant des fleurs et des graines), qui constituent des flores essentiels du système littoral méditerranéen. Elle stipule également le contrôle et la réglementation de la pêche au chalut et les autres activités entraînant la destruction des posidonies et de toutes les autres phanérogames marines.
Le projet “MIAREM” pourrait servir, ainsi, de bon augure pour la restauration de ces écosystèmesest. Il est initié, pour rappel, par l’Agence Régionale de la Protection de l’Environnement de Sicile (ARPA Sicile) et six partenaires, dont trois tunisiens : Faculté des Sciences de Tunis (FST), Institut Supérieur de Biotechnologie (ISBST), et l’Ecole supérieure d’ingénieur de Mdjez Elbab et trois italiens : l’Université de Catane (UNI CT), Mediterraneaneo Consulting srl (MED CONS) et FLAG Golfi di Castellammare e Carini.
D’autres partenaires sont également associés, dont l’APAL, l’Association Notre Grand Bleu (NGB) et l’Association de Développement et de préservation de l’Environnement et du Patrimoine (ADEP).