Au moment où l’inclusion financière fait une percée spectaculaire dans un grand nombre de pays d’Afrique, en Tunisie, la situation est toujours à un stade rudimentaire. A l’origine, le conservatisme de nos institutions financières et monétaires et leur allergie à toute innovation.
La Banque mondiale définit l’inclusion comme étant “la possibilité pour les individus et les entreprises d’accéder, à moindre coût, à toute une gamme de produits et de services financiers utiles et adaptés à leurs besoins (transactions, paiements, épargne, crédit et assurance) proposés par des prestataires fiables et responsables».
L’inclusion financière au service des enclavés
L’enjeu pour les populations enclavées est de taille. L’accès à des produits et services financiers facilite le quotidien et aide les ménages et les entreprises à anticiper le financement d’objectifs de long terme ou faire à des imprévus.
C’est un raccourci heureux qui leur permet de contourner les lassantes et inapplicables promesses faites par les politiques pour améliorer l’infrastructure devant améliorer leur mobilité et accessibilité aux services nécessaires.
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Pour en tirer le meilleur profit, l’Institution de Bretton Woods recommande aux pays intéressés de réunir trois prérequis : la mise en place d’un environnement réglementaire pour préserver les droits et intérêts de toutes les parties, l’incitation des personnes non bancables à ouvrir un compte bancaire ou postal, et la généralisation de la possession d’une pièce d’identité, « sésame précieux, mais encore insuffisamment répandu dans le monde, pour ouvrir un compte en banque et accéder à des capitaux et des crédits ».
L’Etat des lieux en Tunisie
En Tunisie, le taux de bancarisation, c’est-à-dire la détention d’un compte bancaire ou postal, est depuis des décennies de l’ordre de 50%. Conséquence : d’importants pans de la société et des régions n’ont pas encore accès aux financements nécessaires pour améliorer leur quotidien.
Pis, les comptes courants en Tunisie sont ce qu’on appelle « des comptes d’accès », c’est-à-dire des comptes pour juste retirer la paie de fin du mois, le plus souvent en tant que débiteur voire dans le rouge. C’est à la limite un accès improductif dans la mesure où il ne crée pas de la valeur.
Nous sommes très loin de l’inclusion financière dont on parle dans des pays comme le Kenya ou la Côte d’Ivoire. Dans ces pays, l’inclusion financière, développée à la faveur de la banalisation du mobile banking et la multiplication des sociétés de microfinance, permet, à titre indicatif, aux Kenyans et aux Ivoiriens d’accomplir plusieurs opérations financières. Elle les aide à acheter, vendre, transférer de l’argent, contracter des prêts et même des petits crédits pour terminer la fin du mois, et ce sans avoir à faire des courbettes pour les avoir à des coûts exorbitants auprès d’un ami, d’un frère, d’un paternel ou d’un banquier informel.
La Banque centrale a son projet
En Tunisie, la Banque centrale de Tunisie (BCT) est consciente de tout le bien que le pays peut tirer de l’inclusion financière. L’Institut d’émission est en train de mettre en place un système d’inclusion financière « made in Tunisia », voire spécifique aux Tunisiens. Ce projet a deux composantes.
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Il y a la composante digitalisation qui vise à utiliser les nouvelles technologies pour promouvoir les paiements numériques. Ce type de paiements offre, au client même au-delà de son réseau traditionnel, des moyens sûrs et efficaces pour envoyer de l’argent, recevoir ou rembourser un prêt dans les délais prévus ou d’acheter des biens chez un commerçant.
Dans cette perspective, la BCT est en train de travailler sur l’interopérabilité des établissements financiers, sur la restructuration de la Société monétique Tunisie (SMT) et sur la coordination avec les prestataires publics (SONEDE, STEG, etc.).
La deuxième composante a trait à l’inclusion financière proprement dite. Il s’agit de résoudre la problématique de l’inaccessibilité de 50% de la population aux prestations financières. A cette fin, la BCT est en train de cogiter sur la restructuration des banques publiques spécialisées dans le microcrédit et des financements dédiés aux TPE et PME. C’est le cas de la Banque tunisienne de solidarité (BTS), de la Banque de financement des PME (BFPME) et éventuellement de la future la Banque postale.
Une réflexion est à engager sur une éventuelle fusion de ces établissements. L’ultime but étant de jouer sur la proximité et de favoriser l’accès au crédit bancaire d’importants pans de la société, particulièrement à l’intérieur du pays.
L’inclusion n’est pas que financière
Par-delà ces efforts de la BCT dont on souhaite qu’ils soient accélérés, pour Radhi Meddeb, expert économique et président fondateur de l’association Action et développement solidaire (société de microfinance), l’inclusion financière ne devrait pas être une fin en soi. Pour lui, « elle est certes la mère de toutes les inclusions, mais elle doit favoriser dans son sillage d’autres inclusions : l’inclusion économique (création de microprojets…), l’inclusion sociale (et son corollaire, une vie digne avec un revenu digne), l’inclusion citoyenne (participation à la vie de la société…) et l’inclusion politique.
Cela pour dire que l’inclusion financière tant réclamée se décline en plusieurs paramètres macro-économiques et macro-politiques majeurs. Elle favorise le développement du pays avec la participation du maximum de citoyens et la démocratisation du pays, sur des bases solides, avec des électeurs conscientisés convaincus individuellement de la démocratie. L’universitaire et essayiste français, Georges Burdeau, disait à ce propos que la démocratie n’est pas dans les institutions : «Il n’y a pas de démocratie, mais seulement des démocrates», dit-il.
Dont acte.
Abou SARRA
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