Création de boucles de valeurs positives à chaque utilisation ou réutilisation de la matière ou du produit avant destruction finale, c’est la définition de l’économie circulaire, une économie qui consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets.
Eclairage d’Oumaya Marzouk, directrice projets économie circulaire au CEREMA – Centre d’étude d’expertise sur les risques de l’environnement, la mobilité et l’aménagement. C’est un centre d’expertise sous la tutelle du ministère français de la Transition écologique.
WMC : L’économie circulaire en plus clair ?
Oumaya Marzouk : L’économie circulaire est le fait que les déchets de l’un deviennent les ressources de l’autre. C’est tout le contraire de l’économie linéaire qui est une économie où on extrait de la matière, on la transforme, on la transporte, on la vend, on la consomme et on la jette.
Ce qui a pour conséquence la pollution de l’environnement.
Au fait, il y a toujours une pollution dans toutes les phases du cycle de vie d’un produit. Si on jette un déchet, ce n’est pas une méthode durable, parce qu’il va devenir un stock. Si on n’utilise pas le stock, lui-même aura un impact sur l’environnement et diminuera la valeur foncière du terrain sur lequel il a été déversé. Si nous ne faisons rien avec, c’est une valeur perdue, mais si nous trouvons un exutoire pour ce déchet, il est réintroduit dans l’économie et va bénéficier à une autre industrie.
les filières de la construction, les déchets de démolition, les produits plastiques sont réintroduits dans le circuit de l’industrie plastique.
Un exemple concret ?
Un exemple représentatif est celui des matériaux de démolition. Dans les carrières, nous allons extraire les granulats naturels d’une carrière, les concasser, les transporter et les revendre, jusqu’à la construction d’un bâtiment. Au bout d’un certain temps, ce bâtiment va être transformé ou démoli complétement pour en faire un autre. Les déchets de construction peuvent être utilisés soit pour l’aménagement d’une terrasse ou autre chose, et là c’est une économie circulaire. Si nous les jetons dans un dépôt de déchets, ç’en n’est pas une.
Quels sont les secteurs qui s’autonourrissent les uns les autres dans le cadre de l’économie circulaire ?
Si vous parlez des filières économiques, cela dépend des pays. En Europe, en France particulièrement, ce sont les matériaux de construction parce qu’il y a des grands projets de construction. Du coup, les filières de la construction, les déchets de démolition, et aussi les produits plastiques sont réintroduits dans le circuit de l’industrie plastique. Ils sont reformulés, malaxés pour produire d’autres matériaux plastiques.
Une bouteille d’eau minérale peut être recyclée pour devenir après un récipient pour eau de javel ou un produit de nettoyage.
Il y a toujours d’industriels qui cherchent à faire l’économie de la matière première dont le coût économique est élevé, notamment celui du transport quand elle n’est pas produite en local. On doit aller chercher le plastique qui vient d’un dérivé du pétrole en dehors de l’Europe alors que si on fait de l’économie circulaire, on puise dans le local et on n’est plus obligés d’importer la matière première. C’est une ressource localisée, on ne sort pas de la région ou du pays.
Et ces pratiques sont développées en Europe ?
Oui en Europe ça se développe de plus en plus. Les décideurs encouragent et donnent des objectifs par pays. Il y a des lois promulguées comme le “pacte environnemental de l’économie circulaire“. Dans le cadre des objectifs par pays, par exemple dans la construction, il y a une loi qui stipule que 70% des matériaux de démolition doivent être recyclés. Les constructeurs doivent faire les efforts voulus pour recycler les matériaux de démolition.
Quels bénéfices en tire-t-on ?
Le gain est là. Il y a d’abord celui en transport. Aujourd’hui, avec la crise du pétrole, la guerre en Ukraine, il y a l’augmentation du prix du gasoil pour le transport des marchandises. Donc, on gagne en coût de transport et en termes d’extraction des matières.
Pour certains matériaux, l’industriel ne va pas investir, il va juste modifier une température, rajouter un extruder, un concasseur ou autre chose. On entre dans un même procédé, comme on dit en anglais, Open Loop et Close Loop, soit une boucle fermée. C’est-à-dire une construction dans la construction, une route dans la route, une bouteille plastique dans une bouteille plastique, soit une boucle ouverte, c’est-à-dire un procédé qui nourrit d’autres industries.
Pour les grands groupes, est-ce que c’est l’appât du gain qui pousse vers l’économie circulaire ou l’orientation mondiale pour une économie durable et moins polluante ?
C’est certainement le gain. Ce gain apparaît à l’échelle politique comme une solution pour résoudre nos problèmes comme l’impact environnemental. L’économie circulaire est en ligne avec les politiques publiques de transition écologique ou énergétique. En Tunisie, il y a la transition énergétique vitale pour le pays, des programmes environnementaux aussi. Mais ce sont toujours les entreprises privées qui cherchent les solutions alternatives pour minimiser les pertes et l’impact sur l’entreprise et son environnement.
el Barbecha c’est une autre chaîne de l’économie circulaire. Ils collectent le plastique ou les autres matériaux à transformer et les revendent à des usines qui ont un besoin…
Comment maximiser les gains et réutiliser telles ressources alternatives locales, je ne pense pas que l’objectif soit en rapport direct avec la préservation de l’environnement et le salut écologique.
Vous avez des chiffres sur les performances de l’économie circulaire ? Vous pensez qu’elle est réalisable dans notre pays ?
Mais elle a été réalisée dans notre pays. Avant vous, on m’a posé la même question et j’ai répondu que « robafika », c’est de l’économie circulaire. On achète des produits déjà utilisés et épuisés, on les répare et on les revend par la suite pour un nouvel usage. La vaisselle est en bon état, le vendeur ambulant négocie le prix, transporte, répare, transforme et revend à nouveau dans un autre quartier.
Un autre exemple, « el Barbecha », c’est une autre chaîne de l’économie circulaire. Ces gens collectent le plastique ou les autres matériaux à transformer et les revendent à des usines qui ont un besoin pour leurs industries ou pour les transformer en nouveaux produits.
Les vêtements achetés dans les friperies sont revendus dans les boutiques de luxe. Donc l’activité existe dans en Tunisie depuis un bail mais sans le label “économie circulaire“. Ça avait plutôt le nom de l’économie de la débrouille, du besoin. Mais si vous revoyez à l’échelle macroscopique, vous verrez qu’on crée à l’occasion des méthodes qui nous permettent de gagner par le besoin.
Quels sont les projets sur lesquels vous planchez au CEREMA et comment la Tunisie y figure ?
Je suis la directrice du projet, “Re-Med“, c’est un jeu de mot, pour remédier aux problèmes de déchets. “Re“ pour le recyclage, et “Med“ pour l’espace méditerranéen. C’est un projet de coopération entre quatre pays du bassin méditerranéen : la France, le Liban, l’Italie et bien entendu la Tunisie. Le but principal du projet est de créer un marché des déchets de démolition et de construction.
transférer les connaissances et développer les technologies pour mieux gérer les déchets, les transformer, les recycler pour en faire des routes
Nous nous attaquons aux marchés tunisien et libanais parce que la filière n’y a pas encore été créée. Elle existe déjà en France et en Italie. Nos clients sont les BTP, les entreprises de construction de route, de bâtiments, les collectivités et les centrales électriques aussi.
Notre objectif est de transférer les connaissances et développer les technologies de façon qu’on puisse gérer les déchets, les transformer, les recycler pour en faire des routes.
Et comment faites-vous ? Vous achetez les déchets chez eux ?
Il y a les partenaires : le CEREMA, qui est coordinateur, une entreprise qui s’appelle Dynedoc qui offre la plateforme collaborative pour faciliter notre travail ensemble, l’échange des documents et la gestion, il y a l’université de Palerme, et en Tunisie, le ministère de l’Environnement, il y a le CETEC (Centre d’étude technique de construction) sous la tutelle du ministère de l’Equipement et Afrique Travaux qui va construire la route expérimentale à Tunis.
Au Liban, nous travaillons avec le syndicat libanais des entrepreneurs des travaux publics, le ministère de l’Environnement libanais, et avec « American University of Beyrouth ».
Nous nous attaquons aux marchés tunisien et libanais parce que la filière n’y a pas encore été créée. Elle existe déjà en France et en Italie.
Nous sommes en tout 9 partenaires, avec trois partenaires associés, l’ENIT (Ecole d’ingénieurs de Tunis), l’Institut des sciences et techniques de Gabès et l’INNORPI.
Et vous êtes ouverts à d’autres partenaires ?
Non, pas pour le moment. Notre premier projet sera réalisé avec Afrique Travaux qui va construire une route expérimentale, sur la route nationale trois (RN3).
Pourquoi Afrique Travaux ?
Avant de faire le montage du projet, je suis venue à Tunis, j’ai rencontré des chefs d’entreprise, des représentants des ministères concernés, le CETEC, etc.
Je cherchais des partenaires stratégiques pour des rôles bien précis dans ce projet. Un rôle de législateur et un rôle de constructeur. J’avais déjà une idée sur les compétences qui doivent être dans le projet. J’ai été voir quelques constructeurs. Et Afrique Travaux est l’entreprise qui a montré le plus de motivation pour construire une route avec des matériaux recyclés et qui voulait mettre les moyens nécessaires pour réussir.
Nous avons déjà sélectionné la route qui sera construite avec des matériaux recyclés, c’est la Route nationale 3 à Ben Arous.
Ils m’ont dit : « nous n’avons pas besoin d’argent, nous voulons montrer que nous sommes capables d’adopter ces procédés ». Ils voulaient se projeter dans l’avenir. Ce sont des experts. L’entreprise est connue, solide et peut avancer tout le budget de la route sans attendre la subvention. Elle a du poids et on peut compter sur son engagement.
Les discussions ont été bien menées et nous avons eu l’appui de l’Union européenne qui a accepté d’octroyer une aide de 3 millions d’euros à tous les partenaires. Le montant a été déposé dans le cadre d’un programme européen qui s’appelle « Instruments européens de Voisinage, bassin maritime et Méditerranée ». Nous avons obtenu les fonds et maintenant nous sommes en plein travail.
Nous avons déjà sélectionné la route qui sera construite avec des matériaux recyclés. 1 km de route. Et on va faire la même chose sur la même section avec des matériaux naturels. C’est la Route nationale 3 à Ben Arous. Nous allons suivre sa résistance au trafic, aux conditions climatiques, à la chaleur, à l’eau, et évaluer tous les paramètres pour voir comment la route va se comporter.
Cette expérience déterminera-t-elle les projets à venir ?
C’est le premier démonstrateur. Nous avons aussi publié un appel d’offres pour la construction ou la mise à niveau de deux installations de recyclage en Tunisie qui serviront de démonstrateurs pour les futurs investisseurs et les collectivités. Les représentants des collectivités publiques pourront venir voir comment les installations sélectionnées fonctionnent, leur modèle économique, apprendre et s’inspirer pour pouvoir faire la même chose. Nous dispenserons des formations pour les maîtres d’ouvrages, les entreprises de construction, de bâtiment et de route, et aussi les ingénieurs.
L’économie circulaire allie bénéfices et développement durable, et c’est ce qu’il faut pour des pays comme la Tunisie.
Pour les futures générations, il y aura des formations, un summer school et beaucoup de sensibilisation. Nous avons réalisé une plateforme qui permet de créer une communauté autour du recyclage des matériaux de démolition. Il y a une carte géographique dynamique où les entreprises de construction ou de démolition peuvent s’identifier. C’est comme une Market place. Celui qui a des déchets peut, à partir du site, faire une demande, dire que dans un mois il y aura tant de tonnes de matériaux de démolition, un collecteur reçoit cet appel et réagit en temps H.
Il va pouvoir s’organiser pour venir ramasser et informer là où ça va être installé. Cela va créer une dynamique. C’est un nouvel emploi, de nouveaux emplois verts, par exemple les collecteurs.
Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle est très à cheval à propos de la création d’emplois verts ici en Tunisie. L’économie circulaire allie bénéfices et développement durable, et c’est ce qu’il faut pour des pays comme la Tunisie.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali