Il est temps de se dire au revoir, on se verra au prochain forum, Inchallah.
La 20ème édition du Forum de l’investissement en Tunisie (TIF) vient de se tenir à Tunis. Encore un forum. Et les responsables politiques et administratifs donnent l’impression d’avoir réalisé quelque chose et nous donnent aussi l’impression qu’ils s’attendent vraiment à ce que ce forum aboutisse à quelques projets d’IDE qui vont aider le pays à sortir de l’impasse économique, financière et sociale dans laquelle il se trouve.
C’est incroyable ce que les responsables politiques se plaisent à organiser ce genre de manifestations et à accueillir « des invités de marque » et à oublier si vite que ce genre de manifestations, qui coûtent très cher, doit être considéré comme un investissement en soi et que le pays a droit à un retour sur investissement.
Quelques questions doivent être posées à ce propos:
1- Depuis 2011 à ce jour, la Tunisie a organisé plusieurs fora (pluriel de forum) d’investissement. A-t-on procédé à la moindre évaluation des résultats de ces manifestations?
2- A-t-on jamais pris en considération une règle de base, pourtant très simple, qui dit que que lorsque dans un pays l’Etat n’investit pas, le secteur privé local ne peut pas investir, et lorsque le secteur privé local n’investit pas, on ne peut pas attirer des IDE ? Le budget de l’Etat s’élevait à 18 milliards de dinars en 2010, dont 25% étaient consacrés à l’investissement public. Le budget (provisoire) de 2022 s’élève à 57,3 milliards de dinars (soit plus que 3 fois plus) et ne consacre (véritablement) que 3% à l’investissement public. L’Etat a simplement abandonné son rôle d’investisseur public et de locomotive de l’investissement en général (local privé et IDE).
3- Depuis le fameux Forum Tunisia 2020 organisé en grande pompe en 2015, et qui, disons-le n’a rien rapporté en termes d’IDE malgré les milliards de dinars annoncés et qui n’étaient en réalité que des promesses écrites pour certaines et simplement verbales pour d’autres, de financer certains projets publics qui devaient d’abord être soumis pour “étude”. Mais là il s’agissait clairement de dettes éventuelles et non d’IDE. Savons-nous vraiment faire la différence entre IDE et dettes extérieures ?
Lire aussi: Tunisia 2020 : Meddeb appelle à assurer la concrétisation des promesses
4- Un pays dont la note souveraine a été revue à la baisse neuf fois de suite depuis 2011 par les agences de notation, passant de BBB+ avec une perspective positive à CCC avec une perspective négative, et qui n’a jamais osé entreprendre les réformes qu’il considère lui-même comme nécessaires et inévitables, peut-il réellement attirer des IDE ?
5- Un pays qui a mis en danger sa crédibilité vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers, dont notamment le FMI, peut-il raisonnablement attirer des IDE ? En effet, la Tunisie, qui essaie de passer un nouvel accord de financement avec le FMI, s’est embourbée dans des discussions techniques qui durent depuis plus de 14 mois sans pouvoir aboutir à la phase des négociations. Les discussions techniques ne sont pas supposées durer, en situation normale, plus qu’un mois.
6- Un pays qui traverse une situation politique dite “exceptionnelle”, qui dure depuis 12 mois déjà, et qui est appelé à durer encore, et qui n’arrive pas à conclure un accord avec le FMI, peut-il raisonnablement attirer des IDE ?
7- Un pays où les magistrats se permettent de faire une grève qui a duré deux semaines pour des augmentations de salaires, et qui étaient encore en grève au moment de la tenue du forum, peut-il vraiment rassurer les investisseurs étrangers et leur faire comprendre que leurs droits en Tunisie seront protégés par la loi et par la justice ?
8- Un pays qui a connu, juste quelques jours avant la tenue du forum, une grève de l’ensemble des entreprises et des établissements publics, et qui se prépare à une grève de l’ensemble de la fonction publique, peut-il prétendre vraiment attirer des IDE ?
9- Un pays qui n’arrive pas à gérer une crise des déchets ménagers, qui dure depuis plus de 8 mois dans la deuxième plus grande ville du pays, peut-il rassurer les bailleurs de fonds et les investisseurs étrangers qu’il est véritablement capable d’engager et de réaliser les réformes reconnues et identifiées depuis 2013 et donc attirer des IDE ?
10- Un pays que les investisseurs étrangers (et nationaux d’ailleurs) fuient depuis quelques années, et qui n’arrive pas (et en fait n’essaie même pas) d’inverser la tendance, peut-il vraiment réussir à convaincre les investisseurs (en général) de considérer la Tunisie comme une option sérieuse pour leurs futurs projets d’investissement ?
On nous avait annoncé, quelques jours avant la tenue du dernier forum, que les IDE avaient augmenté au terme du premier trimestre de cette année de 73% par rapport au premier trimestre de l’année dernière, mais sans donner le moindre détail. Waou ! C’est formidable. Nous allons peut-être sortir de la crise bientôt. Mais en allant dans les détails, je découvre deux choses. La première est que la comparaison se fait avec le premier trimestre de l’année 2021 qui était très faible en termes d’IDE. La deuxième est que les IDE avaient en fait reculé dans la plupart des secteurs, à l’exception d’un seul, celui des services. Vérification faite, il s’agissait d’une simple augmentation de capital réalisée par une banque étrangère installée en Tunisie !
Un peu de raison s’il vous plait.
Vous auriez mieux fait de consacrer le peu de ressources publiques encore disponibles à engager les réformes tant attendues et à remettre le pays sur les rails.
À quand le prochain forum d’investissement en Tunisie ? Une visite de quelques jours en Tunisie, ça fait toujours plaisir.