En moins de deux ans, 4 milliards de dinars sont partis en fumée. En effet, la mauvaise gestion des affaires publiques et des finances publiques, ou plutôt la non gestion, ont fait perdre à la Tunisie près de 4 milliards de dinars.
Gérer c’est prévoir. Gérer c’est oser. Gérer c’est aussi être en mesure de saisir les opportunités, sans avoir peur. Et ceux qui ont peur doivent rester chez eux.
En 2020, au moment de l’éclatement de la pandémie de Covid-19 et du confinement général ou partiel un peu partout dans le monde, le prix du baril de pétrole avait baissé de manière exceptionnelle jusqu’à devenir négatif pendant un moment. Mais le marché s’était ressaisi assez rapidement et le prix du baril était resté pendant, quelques semaines, stable autour de 15 dollars. C’était à ce moment précis que nous avions proposé aux autorités publiques tunisiennes l’idée de la couverture des besoins futurs de la Tunisie en pétrole et en hydrocarbures pour au moins deux années en bloquant les prix d’achat. Ceci était techniquement possible en ayant recours à un de deux types de contrats, ou à une combinaison des deux.
La Tunisie aurait pu en effet soit :
– signer des contrats d’achat à terme dits « contrats futurs » pour des livraisons futures mais à prix fixes préalablement déterminés. Il est évident que le prix futur était naturellement supérieur au prix dit « spot », c’est-à-dire pour une livraison immédiate. Si le prix « spot » était autour de 15 dollars le baril, le prix futur était en moyenne autour de 22 dollars le baril ;
– acheter des options permettant de plafonner le prix d’achat. Les options négociables sur le marché sont une espèce d’assurance contre la montée du prix du baril. Si par contre le prix du baril baissait, le détenteur de l’option a le droit d’ignorer l’option et d’acheter au nouveau prix. Le prix de l’option était de l’ordre de 7 dollars par baril, ce qui donnait un prix global du baril plafonné autour du même prix que celui des contrats futurs, soit environ 22 dollars. Ce qui était parfaitement dans la logique du marché.
Une peur qui coûte cher…
Des voix s’étaient alors élevées pour dire que la Tunisie ne pouvait pas profiter de cette conjoncture car elle ne possédait pas une capacité de stockage suffisante. Ce qui était totalement faux puisque dans les deux cas des contrats futurs ou des options, il ne s’agissait pas de stocker quoi que ce soit. Le stockage continuait à se faire chez les producteurs ou les fournisseurs de pétrole ou d’hydrocarbures.
Le chef du gouvernement durant la première moitié de 2020 était Monsieur Elyès Fakhfakh. Il m’avait invité un jour à passer le voir dans son bureau pour discuter des voies et moyens de redresser la situation économique du pays et d’améliorer la situation des finances publiques. C’était juste avant l’éclatement de l’affaire du conflit d’intérêts. Je lui avais fait quelques propositions.
Mauvais conseil
Ensuite je lui avais posé la question concernant la couverture des besoins du pays en pétrole et en hydrocarbures. Et la réponse était choquante pour moi : « non, nous avons préféré ne pas faire de couverture ».
Et les justificatifs avancés étaient encore plus choquants. Le chef du gouvernement me disait « on nous avait conseillé de ne pas procéder à cette couverture parce ce que c’était risqué et c’était cher ». Je n’avais pas réussi à savoir qui avait conseillé au gouvernement de ne pas procéder à la couverture. Mais c’était choquant et révoltant.
« Ce qui n’est pas géré est subi »
En matière de gestion des risques, on nous avait appris une règle de base qui dit que « ce qui n’est pas géré est subi ». Et la Tunisie a subi et continue de subir le résultat de la non gestion.
Si l’augmentation du prix du baril était difficile à prévoir suite à la guerre en Ukraine, la flambée du prix du baril était prévisible après la période des confinements.
Nous avons donc, avec certains collègues, procédé à un calcul simple en appliquant les prix d’avant la guerre en Ukraine avec et sans la couverture à terme pour la période de juin 2020 jusqu’au début de l’année 2022. La différence est simplement foudroyante : 4 milliards de dinars. Oui 4 milliards de dinars partis en fumée parce que les décideurs ont eu peur de signer des contrats futurs ou d’acheter des options parce qu’ils pensaient que le prix du baril pouvait passer en dessous de 15 dollars pour les deux années !
La BCT a failli à son rôle de conseiller financier de l’État
L’institution qui est la plus proche de ces techniques est évidemment la BCT. En effet, la BCT règlemente et contrôle le marché des changes qui utilise les techniques de contrats futurs et d’options pour les devises. Mais là encore, la BCT a failli à son rôle de conseiller financier de l’État tel que prévu par la loi de 2016. La BCT considère en effet, à tort, que son rôle se limite à maîtriser l’inflation. Et de toute évidence, elle n’est même pas arrivée à maîtriser l’inflation, avec une détérioration grave de tous les autres indicateurs.
Ce que nous venons de décrire concernant les outils de gestion du risque de variation des prix du baril de pétrole et des hydrocarbures s’applique aussi aux importations de céréales, d’acier, de thé, de café et à tous les autres produits dont les prix sont déterminés sur un marché international.
Gérer c’est prévoir, gérer c’est oser et gérer c’est ne pas avoir peur. Et quand on a peur on reste chez soi.