Les houleuses discussions, qui avaient eu lieu en 2011, sur la « dette odieuse » et les moyens de suspendre le payement de la dette du pays pendant quelques années, ont refait surface, ces derniers jours. Elles ont été enrichies, cette fois-ci, par de nouvelles propositions plus pragmatiques sur la possibilité de payer en monnaie locale une partie de la dette du pays.
Le débat intervient à un moment où, par l’effet de la baisse, une dizaine de fois, de son rating souverain, la Tunisie rencontre d’énormes difficultés pour sortir sur le marché financier international et pour honorer le payement de sa dette. Cette dernière est estimée à plus de 120 % du PIB (110 milliards de dinars), en tenant compte des dettes des entreprises publiques, des garanties de l’Etat et autres mécanismes d’endettement non comptabilisés.
La dette tunisienne est tout simplement insoutenable. A noter qu’une dette est dite soutenable si le pays dégage des ressources en devises suffisantes pour rembourser sa dette sans affecter sa capacité à investir et à se développer en continuant à recourir à des crédits à des conditions non coûteuses.
L’objectif déclaré des propositions fournies est celui là même pour lequel Jean Ziegler, écrivain et penseur droit-hommiste suisse, s’est toujours battu et qu’il définit en ces termes : «ce n’est pas au moment où on est écrasé par la dette qu’il faudrait contracter une nouvelle».
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La dette odieuse, la gauche y croit
Concernant la dette odieuse, thème préféré d’une gauche tunisienne en état de dislocation très avancée, elle a été évoquée, ces derniers jours, par Hamma Hammami, porte-parole du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT) sur la chaîne privée Atessaa.
Fidèle à son habitude d’opportuniste, Hamma Hammami a sauté sur les actuelles tergiversations du FMI qui a traîné la patte avant d’accorder à la Tunisie de nouvelles facilités défendu, pour tirer à boulets rouges sur les bailleurs de fonds et sur leur complicité avec des gouvernants corrompus.
Il a défendu, bec et ongles, l’enjeu d’auditer la dette tunisienne en vue d’en extraire la partie odieuse, c’est-à-dire la « dette contractée par des gouvernants autoritaires (Bourguiba, Ben Ali, Islam politique) pour des objectifs étrangers aux intérêts du pays et des citoyens ».
Rappelons que, selon le droit international, à la chute de dictatures, les créanciers, pour peu qu’ils disposent d’audits crédibles déterminant l’utilisation abusive de cette dette, ne peuvent exiger des remboursements que du despote déchu.
Cette doctrine s’est appliquée à plusieurs reprises de l’Histoire des deux derniers siècles. C’est le cas de l’Equateur qui avait connu une situation similaire à celle de la Tunisie, qui avait refusé de payer ce type de dette et obtenu gain de cause auprès de ses créanciers.
Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, «si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…) Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir».
En dépit du bien-fondé de cette doctrine qui s’applique, parfaitement, au cas Tunisie, les gouvernants qui se sont succédé depuis 2011 n’ont pas jugé utile d’y recourir sous prétexte d’éviter le risques de faire perdre à la Tunisie le crédit dont elle jouit auprès des bailleurs de fonds.
Conséquence : elle est restée un vœu pieux de la gauche que Hammam Hammami use et abuse sur les plateaux audio-visuels pour se faire remarquer. Malheureusement, au regard des sondages et des résultats des élections générales de 2011, 2014 et 2019, cet homme politique n’a aucune crédibilité.
Conversion dette climat en ODD, un mécanisme innovant pour réduire la dette
S’agissant de la proposition faire pour payer une partie de la dette en monnaie locale, elle a été faite par l’universitaire et économiste, Moez Labidi. Elle concerne la conversion de la dette climat en objectifs de développement durables (ODD). C’est le climate /SDGs debt swap.
L’idée principale de cette approche est qu’« au lieu de continuer à honorer un service de la dette externe en devises, étouffant pour les dépenses d’investissement et les dépenses sociales, le pays débiteur pourrait effectuer des paiement en monnaie domestique pour financer des projets résilients au climat, à travers des accords de collaboration entre débiteurs, créanciers et donateurs ». Il s’agit pour Moez Laabidi d’un mécanisme “win win“ (gagnant-gagnant) pour tous les intervenants.
Pour le pays débiteur, alléger la charge du service de la dette : plus d’investissement dans le renouvelable, accélérer le processus des ODD, augmenter la création d’emplois et réduire ainsi les inégalités.
Pour le créancier, accroître les décaissements au titre de l’aide publique pour le développement et le financement du renouvelable : plus d’implication pour atteindre les accords de Paris (COP 21) et les ODD, réduire le risque de défaut, améliorer la situation socio-économique et garantir la stabilité sociale…
Pour le donateur, mobiliser davantage de ressources pour les projets résilients au changement climatique et aux actions visant les ODD, limiter les coûts de transaction générés par les engagements avec les acteurs domestiques, accroître les opportunités du partenariat public dans le secteur renouvelable ODD ».
Pour garantir l’implémentation du mécanisme, Moez Labidi évoque quatre pré-requis : assainissement du climat des affaires, bonne gouvernance administrative, efficacité des dispositifs de suivi et de contrôle, stabilité politique et institutionnelle, implication de la société civile…
Abstraction faite de ces propositions, la Tunisie, confrontée à une dette gigantesque, se doit, comme le propose Moez Labidi, d’explorer les pistes innovantes pour en réduire la charge.
Abou SARRA