Les spéculations sur le site de l’aéroport de Tunis-Carthage et son transfert à 30 Km de la capitale ont refait surface, dernièrement, avec de nouvelles manœuvres. A preuve, la municipalité d’Utique, citée par les études technico-économiques parmi les zones qui pourraient éventuellement abriter le nouvel aéroport, vient de mobiliser les cadres régionaux de Bizerte pour défendre le bien-fondé de ce transfert.

En partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie du nord-est Bizerte (CCINE Bizerte), la municipalité d’Utique a récemment organisé (le 14 juin 2022) une rencontre appelée « La Journée d’Utique » et d’impliquer l’administration régionale en y conviant le nouveau gouverneur de Bizerte, Samir Abellaoui.

Sous prétexte de cogiter sur le sous-développement multiforme qui prévaut dans cette zone rurale, le débat a été axé sur l’éventualité d’un transfert à Utique de l’aéroport de Tunis-Carthage. Les autres sujets n’étaient qu’un alibi pour appâter l’auditoire dont le gouverneur de Bizerte.

De ce fait, cette journée a constitué une nouvelle opportunité pour lancer un nouvel appel pour relancer le débat sur ce projet et pour rappeler aux autorités centrales que le transfert de l’aéroport de Tunis-Carthage a été décidé, le 27 juillet 2017, par un conseil des ministres au temps du gouvernement de Youssef Chahed.

S’agissant du futur aéroport, les participants à « la journée d’Utique » ont eu à écouter un long discours d’un des plus fervents défenseurs du projet – voire un des plus intéressés -, en l’occurrence Borhene Dhaouadi, président de l’association Tunisian Smart Cities et directeur Development Méditerranée, Architecte – Referent “Smart & Sustainable Cities” – Setec International.

En voici l’essentiel. Il estime que « le transfert de l’aéroport n’est plus un choix mais une obligation… Pour atteindre cet objectif, le projet gagnerait à être intégré dans une grosse opération structurante baptisée “Tunis Aéroport City“, qui sera le premier smart aéroport en Afrique ».

Selon ses estimations, le projet nécessitera un investissement de 4 milliards de dollars, soit 30% de plus qu’il y a cinq ans, créera 60 000 emplois sur une superficie globale de 5 000 hectares.

D’après lui, le projet aura une dimension régionale et internationale car il prévoit la mise en place des prémices d’une Giga-Factory tunisienne aux portes de l’Europe et de l’Afrique, située sur les autoroutes de la mer et celles du ciel. Et donc, le nouvel aéroport sera l’occasion de développer toute une ville qui comporte un centre international de transport, d’industrie et de logistique…

Cette vision idyllique du projet fait abstraction de l’impact de ce grand projet sur l’environnement et sur la transformation brutale de cette zone rurale et ses environs. Elle rappelle celle du projet de Jenen Medjerda, à Oued Zarga (gouvernorat de Béja), projet d’édification d’une nouvelle ville au tour d’une université au bord du bassin du barrage Sidi Salem.

En dépit de la mobilisation de toute la région pour sa réalisation, ce projet a été abandonné en raison de son impact sur la pollution du barrage.

La vision futuriste de Borhene Dhaouadi fait par contre le jeu des spéculateurs fonciers qui cherchent à mettre la main sur le site de l’aéroport de Tunis-Carthage, lequel s’étend sur 900 hectares d’excellente qualité foncière.

D’ailleurs, vers 2014-2016, l’Agence France Presse (AFP) avait évoqué l’intérêt d’hommes d’affaires turcs et qataris pour le site de l’aéroport. Ces derniers auraient offert un prix équivalant au coût de deux aéroports pour s’approprier le terrain.

Mais cette vision des choses a peu de chances d’aboutir pour deux raisons principales.

Tunis-Carthage n’est pas à transférer

La première consiste en le niet de l’actuel ministre du Transport, Rabbie Majidi, pour tout projet de transfert et en sa décision de maintenir l’aéroport et de le renforcer.

Interpellé sur le sujet, une semaine après la tenue de « la journée d’Utique », dans le cadre d’une interview accordée à un magazine de la place, le ministre a déclaré : « L’aéroport de Tunis-Carthage a été construit en 1972. Certaines extensions ont déjà été opérées. Un autre programme d’extension est prévu, ainsi qu’un programme de circulation aéroportuaire ».

Et le ministre d’ajouter : « L’aéroport de Tunis-Carthage a des avantages du fait de sa proximité. Il sert le tourisme des congrès et des affaires par exemple. Nous avons conçu un plan des aéroports tunisiens. Et c’est pour cela que l’aéroport d’Enfidha a été construit. Celui-ci devrait accueillir jusqu’à 30 millions passagers contre 7 millions actuellement pour l’aéroport de Tunis-Carthage. Mais cela n’a pas été rendu possible pour les raisons que tout le monde connaît ».

Le refus des bailleurs de fonds

La deuxième raison est perceptible à travers le refus annoncé des bailleurs de fonds de financer tout projet de transfert de l’aéroport de Tunis-Carthage. Des experts de la Banque mondiale et du FMI estiment que d’un point de vue économique, cette option de transfert n’est pas sérieuse à une période où l’économie tunisienne passe par une crise aiguë, et dans la mesure où des alternatives existent pour faire face aux pressions que pourrait connaître l’aéroport de Tunis-Carthage. Parmi ces alternatives, ils citent la proximité de celui d’Enfidha (60 km de Tunis) qui pourrait résorber une partie de tout excédent du trafic.

Pour eux, cette option a toutes les chances d’aboutir pour peu qu’on modernise la ligne ferroviaire Tunis-Enfidha et qu’on achète de nouveaux trains plus rapides. Le coût d’une telle infrastructure serait de loin moins élevé que celui que nécessitera la construction d’un nouvel aéroport (4 milliards de dollars selon Borhene Dhaouadi).

Abou SARRA