Un regard averti sur les pertes d’argent et difficultés managériales que connaissent les installations et entreprises publiques tunisiennes révèle une carence majeure en matière d’entretien des équipements.
Selon des experts, ces déficiences auraient pu être évitées, atténuées voire mieux gérées si ces entreprises avaient investi à temps dans la maintenance.
Abou SARRA
Le principe étant qu’une maintenance régulière, efficace et préventive permet une utilisation plus longue des équipements. Par contre, un manque de maintenance entraîne une dégradation accélérée des équipements avec comme corollaire des coûts élevés à long terme, sous forme de réparations ou de rénovations onéreuses.
Pour se rendre compte de la gravité de la situation, les révélations récentes sur trois cas de carence illustrent l’ampleur des dégâts, le manque à gagner pour l’Etat par l’effet de l’absence de maintenance et surtout le coût onéreux des réparations tardives.
Quatre cas de déficiences majeures
Le premier cas concerne les installations sportives de la Cité olympique d’El Menzah (Stade de football, piscine, coupole…). Ces installations ont connu, ces dix dernières années, un délabrement tel qu’elles auraient pu être rasées et transformées en terrains fonciers constructibles, au grand bonheur des spéculateurs.
Il a fallu que le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, se déplace en personne, sur les lieux, le 3 juin 2022, et dénonce les calculs mafieux des spéculateurs et ordonne la restauration, illico presto, la restauration de ces équipements. La réhabilitation du Stade d’El Menzah coûtera à lui seul 1 milliard de dinars – un montant qui aurait pu être utilisé à d’autres fins.
Le 2ème cas concerne la Société des transports de Tunis (TRANSTU, ex-SNT). D’après le directeur central de la TRANSTU, Chokri Ben Ghanem, « près de la moitié du parc est en panne et inutilisable ».
Ce dernier coûtera à lui seul 6 millions de dinars (MDT) destinés à financer l’acquisition de pièces de rechange.
A la faveur de financements allemands (probablement des crédits), l’entreprise est en train de mettre en place des projets de renouvellement et de réparation des rames de métros, notamment celles de la ligne Tunis-Marine (Tunis-La Goulette-La Marsa). Il s’agit entre autres de l’acquisition de 18 nouveaux wagons au profit de la ligne Tunis-Marine et autres wagons de métro, ainsi que la réparation de l’ancien parc, détaille-t-il.
Ce dernier projet coûtera à lui seul 6 millions de dinars (MDT) destinés à financer l’acquisition de pièces de rechange.
Le 3ème cas a trait à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). La compagnie ne peut pas profiter de la récente augmentation du prix du phosphate à l’international, passant de 172,5 dollars en février à 178,7 dollars au mois de mars 2022. Sachant qu’une année auparavant, c’est-à-dire en février 2021, le prix de la tonne n’était que de 83 dollars.
A l’origine de cette carence, la panne des équipements de la compagnie par l’effet, entre autres, de l’absence de maintenance. Sur un total de 800 engins sophistiqués dont dispose la CPG pour enlever et transporter le phosphate dans des conditions compétitives, 400 sont à l’arrêt. Pis, en raison de la complexité des procédures des marchés publics, elle ne peut les réparer chez un fournisseur spécialisé que dans un délai de deux ans, assurent les experts.
La cPG connaît actuellement les pires difficultés pour honorer ses engagements vis-à-vis de ses clients, fournisseurs et prestataires
Selon Radhi Meddeb, expert et ancien ingénieur de la CPG, cela coûterait la bagatelle de 100 MDT.
Dernier cas, celui du transporteur public aérien, Tunisair. La compagnie connaît actuellement les pires difficultés pour honorer ses engagements vis-à-vis de ses clients, fournisseurs et prestataires, à cause d’une dizaine d’avions cloués au sol.
A l’origine, l’incapacité de la compagnie à acquérir des pièces de rechange. Dans son plan de restructuration, la compagnie prévoit de se débarrasser de ses anciens avions pour la modique somme de 200 MDT environ. Ce qui va l’obliger à acquérir de nouveaux avions, opération qui coûtera cher à l’Etat et au contribuable. Cette opération aurait pu être évitée si on avait opté, dès le départ, pour une maintenance rigoureuse des avions dans les temps.
Cela pour dire qu’au-delà de ces cas d’entreprises publiques dont les carences vont coûter très cher à l’Etat et au contribuable, la maintenance a intérêt à être valorisée et érigée en véritable stratégie. Elle est le créneau le mieux indiqué pour garantir la durabilité des équipements.
La maintenance est recommandée pour améliorer la productivité, c’est-à-dire fournir aux fins de comprimer les coûts, de produire mieux et plus avec le même investissement
Les vertus de la maintenance
Est-il besoin de rappeler que les services de maintenance ou d’entretien en Tunisie sont actuellement sous-considérés par l’écrasante majorité de nos ministères, entreprises – qu’elles soient publiques ou privées. Les premiers responsables de ces institutions, souvent par inculture, trouvent un vilain plaisir à y affecter les agents les plus incompétents, les plus “je-m’en-foutistes”, les plus indisciplinés, voire des «cas sociaux» pour qui ces services sont tout simplement une planque.
La maintenance est également fortement recommandée pour améliorer la productivité, c’est-à-dire l’effort à fournir aux fins de comprimer les coûts, de produire mieux et plus avec le même investissement, le même nombre de travailleurs et les mêmes équipements.
Cet effort, s’il est bien mené, peut se traduire, selon les experts du FMI, par trois points de croissance par an.