C’est un luxe rare que ne peuvent s’offrir que les pays qui ont atteint une hauteur révolutionnaire « vertigineuse » que d’avoir non pas un Ubu Roi, mais deux à la fois. Un luxe que ne permet que l’inutile hubris. Pendant que l’un flanqué par une camarilla d’avocats tous aussi laudateurs les uns que les autres, se prenant pour Socrate devant ses contradicteurs (pardon Socrate), le second inaugure le début de la pose de la première truelle, du premier sceau de ciment servant à sceller la première pierre du premier pilier d’un pont qui a déjà été baptisé par au moins deux de ses prédécesseurs.
Le premier Ubu, Ghannouchi, a brûlé le pays au sens propre et au sens figuré du terme. Hier auditionné pour une affaire aussi fantasque que celui qui l’a ordonnée, face à des juges qui n’ont que des «doutes raisonnables» sur sa culpabilité et savent que les fils de l’affaire sont ailleurs. Les islamistes, et cet Ubu là, ne sont pas nés de la dernière pluie et tout ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font et feront est un appendice d’actions de services extérieurs. Donc, comme dans toutes les affaires qui ont émaillé la vie du pays depuis leur venue appuyée par le Foreign Office et le Stade Departement, les preuves sont à chercher ailleurs.
Pendant que tous les deux jouent la monstration et le torse bombé par le vide, une montagne emblématique, même vénérée par la seule vraie grande civilisation qu’a connue le pays et qui a rédigé une Constitution meilleure que celle qui va être présentée à un vote déjà acquis, était en train de brûler. C’est là que se situe une de ces coïncidences tragiques de l’histoire.
Mohamed Ben Salem et la destruction des garde-forestiers
C’est le ministre islamiste de la l’Agriculture du gouvernement Jebali, l’inénarrable Ben Salem, le beau-père de Hmidane, qui a détruit (le mot est faible) le corps des garde-forestiers, pour les remplacer par des terroristes salafistes tout juste revenus du front. Ceux-là mêmes qui ont fermé les yeux sur leurs congénères en train de «faire tomber le taux de cholestérol au Chaambi», dixit un autre destructeur non pas par le feu mais par la parole, Larayedh, celui-là même qui a échappé à l’étrange incendie du siège de son parti. Encore une destruction par le feu.
C’est sous le règne d’Ubu Roi Ghannouchi que l’Etat tunisien a été détruit. On s’étonne d’ailleurs que l’actuel Ubu, celui qui, par un coup de torchon à mouches, a chassé le premier le 25 juillet 2021, n’ait pas trouvé le temps en trois ans de règne pour diligenter la moindre évaluation sur les méfaits d’Ubu Ghannouchi entre 2011 et 2021.
Transformer les terres domaniales en terres communautaires
Au lieu de s’attaquer à une affaire qui démarre en Turquie, qui traverse les méandres d’une kyrielle de pays, pourquoi n’avoir pas ouvert le dossier des garde-forestiers, de la myriade des sociétés de « bastana » dont le rôle est justement de procéder aux débroussaillages et éviter les drames de Boukornine et de Bou Argoub. Des entreprises qui servent des salaires à des salariés fantomatiques.
Or ces drames vont se répéter, ce ne sera pas la faute du réchauffement climatique, mais l’impact prévisible de la géniale idée de faire des terres domaniales des terres communautaires. Le grignotage du domaine de l’Etat sous la férule de la nouvelle constitution, aussi médiocre que la précédente, va s’accélérer. L’illusion de la libre administration des richesses locales par la création de bantoustans en rivalité les uns avec les autres ne fera qu’attiser les convoitises et l’usage d’incendies dans le cadre d’entreprises criminelles de déclassement.
Dix ans pour l’un, trois ans pour l’autre n’ont pas permis ni à l’un ni à l’autre des deux Ubus de se pencher sur la situation dramatique de la banlieue sud, que nous connaissons tellement bien et qui est un modèle réduit de la descente aux enfers du pays.
Boukornine, quid de l’état de la mer ?
L’incendie de Boukornine ne doit pas cacher l’état de la mer dans ces banlieues, un cloaque (le mot est faible) où tout se déverse et où la baignade est un suicide. Il ne peut masquer le délabrement généralisé des villes, comme Hammam-Lif, les trafics de drogue, l’insécurité au quotidien, l’immigration subsaharienne incontrôlée et qui a créé des villes dans ces villes, ajoutant une misère de plus à la misère locale. Bientôt ce seront des confrontations avec les vrais habitants du pays, les Tunisiens oubliés par les Ubus depuis onze ans, qui n’en peuvent plus d’être le terminus des routes de l’immigration subsaharienne. Il s’agit là d’une question de sécurité nationale urgente mais oubliée, semble-t-il.
Une mendicité éhontée !
Ubu peut toujours sortir le registre du dolorisme et de la pleurnicherie sur Bizerte, c’est même heureux qu’il ait pu le faire au moins une fois depuis trois ans. Il suffit de lever la tête depuis le palais présidentiel pour imaginer ce que le reste des villes autour de la capitale sont devenues.
Boukornine l’été, les inondations l’hiver, le Covid-19 il y a quelques temps, bientôt le manque de blé, le pays n’a de stratégie que la mendicité, une politique de la main tendue paume vers le haut et doigts recourbés pour faire le bol, pour recevoir bobonnes de gaz, canadairs, oxygène… «Ya krim ati lillah » presque érigée en devise de la République des deux Ubus.
Une honte absolue !
Tawfik Bourgou
(Les intertitres sont de la rédaction)