La question de la pénurie d’eau potable en Tunisie refait surface, suite à trois évènements. D’abord, l’audience accordée, le 18 juillet 2022, par le chef de l’Etat au ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche en charge du dossier. Ensuite, le conseil ministériel consacré à l’examen du statut de la SONEDE (27 juillet). Puis, la visite effectuée en Tunisie le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’eau et à l’assainissement, Pedro Araujo Agudo.
Abou SARRA
Globalement, ces trois évènements ont montré qu’il n’existe pas de pénurie d’eau en Tunisie mais plutôt une mauvaise gouvernance du secteur de l’eau et d’iniquité dans sa distribution. D’où l’enjeu de transcender les éternelles limites financières de la SONEDE et d’arrêter une vision future du secteur qui privilégierait une répartition équilibrée de l’eau disponible entre consommateurs, industrie (phosphate, textile et autres), agriculture irriguée exportatrice, tourisme…
Les coupures d’eau sont inacceptables
Lors de sa rencontre avec le ministre de l’Agriculture, Mahmoud Elyès Hamza, le président de la République, Kaïs Saïed, a relevé deux dysfonctionnements majeurs dans la distribution de l’eau potable en Tunisie : les fréquentes coupures d’eau dans les régions du pays et la mauvaise qualité de l’eau distribuée par la SONEDE.
Le chef de l’Etat juge «inacceptable que l’eau soit coupée, par exemple, le jour de l’Aïd al-Idha sous prétexte de réaliser des travaux programmés antérieurement » et n’entrant pas dans le cadre de travaux urgents suite à une avarie.
Il a ajouté que l’eau minérale en bouteille est disponible en abondance alors que l’eau distribuée dans les réseaux de la SONEDE est de mauvaise qualité, s’interrogeant de ce fait sur les véritables raisons de cet état de fait.
Kaïs Saïed met le doigt ici sur le legs malheureux d’une politique scandaleuse suivie au temps de Ben Ali, à savoir céder les activités les plus rentables aux privés et abandonner les moins rentables aux entreprises publiques. C’est la fameuse règle selon laquelle “on privatise les gains et on socialise les pertes“.
A titre d’exemple, les producteurs privés d’eaux minérales ont reçu des avantages supérieurs à ceux accordés à la SONEDE, ce qui a valu à la Tunisie d’être classée 5ème à l’échelle mondiale en matière de consommation d’eau embouteillée avec une moyenne annuelle de 192 litres par personne en 2018 contre 7,5 litres en 1989.
La SONEDE dans un mauvais état
Le deuxième événement a été le conseil ministériel présidé par la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, qui été consacré à la situation de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE).
Le communiqué publié à l’issue de cette réunion est insipide et insignifiant. On y lit, à titre indicatif, « le Conseil a passé en revue la stratégie de modernisation de la SONEDE, le développement de ses champs d’intervention, et la présentation d’une feuille de route pour les cinq prochaines années liée aux volets organisationnel, financier et technique ». Ladite stratégie porte, vaguement, sur l’amélioration des prestations rendues, et la rationalisation de la consommation de l’eau.
La seule chose intéressante, de notre point de vue, a été l’examen, sans aucune précision, des grands projets dans le domaine du dessalement de l’eau, la mobilisation des ressources hydriques conventionnelles à travers la consolidation du rendement des grandes stations, la mise en place de nouvelles stations de traitement, ainsi que d’édifices stratégiques pour le stockage de l’eau notamment dans les grandes villes.
Pour avoir d’amples informations sur la SONEDE, il faut passer par la case Google, autrement dit le Net. C’est ainsi qu’un document, publié en 2020 par le ministère des Finances de l’époque sur la SONEDE, nous apprend entre autres que cette entreprise publique emploie 6 409 agents et cadres, nécessitant une masse salariale de 183 millions de dinars (MDT), soit une moyenne de salaire mensuel brut de 2 379 DT. En 2020, les pertes cumulées ont atteint les 4,874 milliards de dinars, un résultat négatif de 115,2 MDT et des dettes évaluées à 984,8 MDT.
Quant à la dégradation de la situation, elle est imputée à plusieurs facteurs : gel de la tarification de l’eau ces dernières années, vétusté du réseau et son corollaire le gaspillage de l’eau, absence d’entretien et non renouvellement des équipements, accroissement du coût des pièces de rechange importées par l’effet de la dépréciation du dinar, augmentation de la masse salariale, augmentation du service de la dette, les impayés des institutions de l’Etat auprès de la SONEDE…
L’ONU plaide l’équité dans l’alimentation de l’eau potable
Le 3ème événement, à savoir la visite en Tunisie du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’eau et à l’assainissement, Pedro Araujo Agudo, a été par contre riche en informations.
Faisant le point de ses observations, au cours de ses visites dans les régions, le responsable onusien a fait deux constats.
Premièrement, il a relevé, avec surprise, que les habitants jouxtant les barrages ne sont pas alimentés en eau potable alors que paradoxalement ils ont perdu leurs terres au profit de la mise en eau de ces barrages.
Deuxièmement il a constaté que certains établissements scolaires ne sont pas alimentés en eau potable alors que les lavoirs de phosphate (industrie phosphatière) en disposent en abondance.
Troisièmement, à propos d’assainissement, il estime que les réseaux d’égouts sont dans une mauvaise situation.
Au rayon des recommandations, en attendant le rapport final qui sera publié dans une année, il a appelé à la nécessité d’instaurer un tarif social d’eau et d’assurer une distribution équitable de l’eau, surtout face aux changements climatiques qui vont provoquer des dérèglements climatiques majeurs (sécheresses et autres) dans les années à venir.
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Pistes à explorer
Par-delà les remarques des uns et des autres, il faut reconnaître que la pénurie d’eau potable est certes une réalité aujourd’hui mais elle n’est pas une fatalité car les solutions pour y remédier existent.
Parmi les pistes à explorer, la recommandation de feu Ameur Horchani, surnommé «le père des barrages en Tunisie». Pour lui, l’accent doit être mis sur une gestion intégrée de ce qu’il appelle « le hasard des aléas climatiques » (inondations et sécheresses) par une bonne maîtrise des données de la météorologie.
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Concrètement, il s’agit d’une course contre la montre consistant à stocker au maximum les eaux des crues (construction de barrages de rétention) et de les économiser au maximum pour faire face aux périodes de sécheresse.
Pour renforcer et diversifier les ressources disponibles, il propose, à la faveur d’application de normes strictes, « le recyclage des eaux usées épurées dans l’agriculture, la recharge artificielle des nappes souterraines et la mise en place d’une stratégie d’économie d’eau et de lutte contre le gaspillage ».