Carburant

Le ton a été donné mardi 2 août 2022 lors de la conférence de presse présidée par Neila Nouira Gongi, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, et tenue à l’ANME. Il est aujourd’hui vital pour la Tunisie, qui n’a plus les moyens, de consacrer autant de ressources financières à la compensation des hydrocarbures, de revoir la stratégie nationale d’importation, de gestion et de distribution des ressources énergétiques. Le baril du pétrole flambe et cela se répercute sur toute la chaîne de valeur : transports (maritime et terrestre), assurances et autres.

Les chiffres annoncés par la ministre sont ahurissants. Alors que dans la loi de finances 2022 la part consacrée aux hydrocarbures était de 5,2 milliards de dinars, on se retrouve aujourd’hui avec des besoins en financement de 10,2 milliards de dinars, avec une moyenne de 108 $ le baril de Brent pour le premier semestre 2022, ce qui élève les besoins en compensation de 2,9 milliards de dinars à 8 milliards de dinars.

« 8 milliards de dinars de plus consacrés par l’Etat au financement des hydrocarbures ! Les investissements publics, eux, ne dépassent pas les 7,7 milliards de dinars. Imaginez ce que nous pouvons faire avec des centaines de millions de dinars, si nous n’améliorons pas la gouvernance du secteur des hydrocarbures, ne régulons pas les prix et ne pallions pas notre déficit énergétique en recourant de plus en plus aux énergies renouvelables », se demande la ministre de l’Energie.

En fait, la raréfaction des ressources des énergies fossiles en Tunisie et une conjoncture internationale délicate en raison de la guerre russo-ukrainienne ont bouleversé les donnes. Aux dernières nouvelles, l’OPEP+ s’est engagée à augmenter son offre actuelle de pétrole de 100 000 barils de pétrole brut par jour à partir du mois de septembre 2022, et ce pour des raisons politiques qui ne changeront rien à la réalité du marché ni au fait qu’un pays comme la Tunisie soit obligé de se « débrouiller » pour financer le gap entre ce qui était prévu dans la loi des finances et la réalité du jour.

Rachid Ben Dali, directeur général des hydrocarbures au ministère de l’Industrie, l’a bien expliqué dans son intervention du mardi 2 août 2022. « Outre la diminution des sources d’approvisionnement, spécialement le gasoil et le butane (GPL), nous souffrons aujourd’hui de restrictions sur les lignes des crédits des fournisseurs ayant des relations directes ou indirectes avec la Russie, de l’insuffisance des lignes de crédit par suite de l’augmentation des prix et de l’exigence des fournisseurs d’être payés immédiatement, ce qui n’était pas le cas auparavant ».

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Pour saisir l’ampleur de la crise, Ben Dali explique la structure des prix ; une structure où très souvent on oublie de compter le différentiel composé du fret, assurance et autres dépenses.

En effet, « pour le brut importé, le différentiel a enregistré une hausse de 6 à 7 USD/baril, soit une augmentation de 9,5 millions de dinars par cargaison ; et pour les produits pétroliers, le différentiel a enregistré une hausse de 25 à 70 USD/tonne, soit une augmentation en valeur de 4 millions de dinars par cargaison ».

Recourir au mécanisme d’ajustement automatique établi pour relier les prix de vente des produits pétroliers sur le marché local au cours mondial est-il dans ce cas un luxe ou une nécessité ? Ce mécanisme, pour rappel, a été suspendu, ces derniers mois, alors qu’à l’international, l’envolée des prix s’est poursuivie régulièrement.

En prévision d’une augmentation incessante des prix de pétrole à la pompe, la ministre de l’Energie et des Mines, Neila Nouira Gongi, n’a pas manqué de souligner que l’Etat veillera à protéger les ménages en situation de précarité par des dispositifs d’aide et d’accompagnement. « Nous tenons à préciser que l’impératif dans lequel nous nous trouvons de réviser la politique des prix des hydrocarbures nous impose un autre impératif, celui de protéger nos compatriotes souffrant de précarité, et le gouvernement met un point d’honneur à le faire ».

Précisons à ce propos qu’en vertu de l’arrêté du 07/04/2021 abrogeant l’arrêté du 31/03/2020, la valeur de l’ajustement mensuel des prix de vente au public ne peut pas dépasser le taux de 5% du prix de vente en vigueur depuis le dernier ajustement à la hausse ou à la baisse. L’ajustement concerne l’essence sans plomb, le gasoil ordinaire et gasoil sans soufre.

La ministre de l’Energie a aussi indiqué que pour combler le déficit énergétique, le recours aux énergies renouvelables, l’encouragement de l’économie verte et l’adoption d’un programme pour le développement de l’hydrogène vert représentent des axes importants dans la nouvelle politique économique de l’Etat et une orientation stratégique visant l’encouragement des nouveaux investissements et les PPP dans ce secteur.

Energies renouvelables, économie verte : une nécessité qui fait loi

La Tunisie a déjà bénéficié d’une subvention de 6 millions d’euros pour l’assistance technique de la coopération allemande (GIZ) à investir dans le développement de l’hydrogène vert, et de plus de 25 millions d’euros en tant qu’assistance financière de la Banque allemande de développement (KfW).

L’orientation vers l’économie verte et l’hydrogène vert est encouragée par la Banque européenne d’investissement, la Banque mondiale à travers l’IFC, Proparco relevant de l’AFD, et la BAD.

Le projet ELMED (Electricité méditerranéenne), un des plus importants pour l’interconnexion électrique entre la Sicile et le Cap Bon en Tunisie, serait en bonne voie de concrétisation.

La mondialisation du gaz naturel et l’émergence des énergies renouvelables modifient la dynamique du marché. Ce sont des éléments à prendre en compte dans des pays dotés de ressources naturelles en énergies renouvelables (ER) afin d’optimiser les chaînes d’approvisionnement et de gérer les risques dus à l’incertitude des marchés des énergies fossiles.

L’énergie renouvelable, dans nombre de pays, est en phase de devenir la deuxième plus importante source d’approvisionnement en électricité. En Tunisie, on ambitionne de baisser le déficit énergétique de 50%, en dotant le marché national de 35% d’énergies renouvelables avec chaque année la réalisation de 500 MGW.

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La transition vers un modèle moins dépendant des énergies fossiles passe par un changement dans les systèmes sociotechniques, agroalimentaires, énergétiques et des transports, ce qui impose des modifications dans les technologies employées, dans les politiques publiques adoptées, les infrastructures ainsi que les habitudes des acteurs économiques et des consommateurs.

Après de longs mois de résistance syndicale, le gouvernement tunisien a réussi à appliquer la loi en raccordant les centrales photovoltaïques opérationnelles sans heurts. Il compte à très court et moyen termes doter la STEG des moyens de renforcer son réseau pour qu’elle ait les moyens de répondre à la demande attendue pour le raccordement de nouvelles centrales.

A l’approche de la TICAD 8 (Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique), qui se tiendra les 27 et 28 août 2022, l’orientation vers l’économie verte en Afrique devrait être plus affirmée avec une Tunisie qui doit offrir un cadre réglementaire plus simple pour faciliter les investissements dans les nouvelles énergies et le développement durable.

L’ANME a déjà lancé un programme de sensibilisation grand public pour informer sur l’importance d’user d’énergies renouvelables et le Fonds de transition énergétique.

Amel Belhadj Ali