Au regard de la montée du ton des discours que tiennent les hauts responsables américains, depuis le triomphe du « oui » au référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle Constitution proposée par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, moult indices montrent que les Etats-Unis ont décidé de s’ingérer, de manière effrontée et scandaleuse, dans les affaires intérieures du pays et de déstabiliser le président tunisien, démocratiquement élu.
La déclaration faite le 9 août 2022 à Stuttgart, en Allemagne, par le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, à l’occasion du changement du commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM) en est une parfaite illustration.
Sans aucune réserve et sans aucune gêne diplomatique, ce haut responsable américain, un militaire de carrière lancé par l’ancien président démocrate Barack Obama, a déploré « l’érosion de la démocratie en Tunisie » et estimé que le « rêve d’un gouvernement stable » de la Tunisie était en danger.
Plus grave encore, et c’est là où il viole le droit international, il a indiqué que « les États-Unis sont déterminés à soutenir nos amis en Tunisie qui tentent de forger des démocraties ouvertes, responsables et inclusives ».
De quelle démocratie parle-il ?
Comble de son manque d’objectivité, ce haut responsable américain a délibérément omis de dire que l’instabilité politique prévalait, depuis douze ans, en Tunisie et que la démocratie au sens réel du terme n’a jamais existé dans ce pays même après le putsch de 2011 auquel les Américains eux-mêmes ont contribué de manière significative.
Lloyd Austin a également oublié que les amis des Etats-Unis qu’il compte soutenir en Tunisie pour restaurer la soi-disant démocratie perdue, en l’occurrence le parti islamiste Ennahdha et ses complices « modernistes » (CPR, Nidaa Tounès, Afek Tounès, Tahya Tounès…), n’étaient que des pépinières de terroristes, de contrebandiers, de blanchisseurs d’argent et de contrefacteurs.
Pour preuve, leur mauvaise gouvernance, durant une douzaine d’années, a valu à la Tunisie la sinistre image d’être cataloguée « pays exportateur de terroristes » (embrigadement de jeunes pour les envoyer en Syrie, en Irak) ; mais aussi un pays d’attentats politiques (assassinat d’adversaires politiques), un pays de blanchisseurs d’argent (la Tunisie classée en 2017 sur la liste des paradis fiscaux) ; un pays où la corruption s’est démocratisée et banalisée (recul dans le classement de Transparency international) ; un pays au bord de la faillite (risque défaut de paiement…) ; un pays d’impunité en ce sens où les responsables islamistes n’ont pas encore rendu compte devant la justice, pour les abus et les graves forfaits commis… ; un pays où plus de 30 000 Tunisiens sont décédés par l’effet de l’incompétence des islamistes au pouvoir qui ont très mal géré la protection des Tunisiens contre la pandémie de Covid-19 ; un pays répulsif pour ses jeunes (émigration par tous les moyens)…
La Tunisie n’est pas encore une dictature
Autant de dérapages que Lloyd Austin n’a pas jugé utile de voir ou de relever. Force est de constater à ce propos que depuis le référendum du 25 juillet 2022, on a l’impression que les responsables américains portent des œillères. Ils ne veulent rien voir ni à gauche ni à droite. Ils n’ont de fixation que la déstabilisation de Kaïs Saïed et son départ.
Pourtant, le chef de l’Etat tunisien est tout juste un autocrate par nécessité. Il y a un besoin de concentrer tous les pouvoirs, pour un certain temps, en vue de redresser un pays en déliquescence avancée. Il n’est pas un dictateur –pour l’instant- comme ses adversaires le laissent entendre. Pour preuve. La liberté de presse et d’expression sont garanties. Les syndicats et les partis peuvent manifester dans les rues. Même l’opposant Rached Ghannouchi a toute la liberté de s’exprimer sur toutes les chaînes du monde. Mieux, en cette période estivale, Tunisiens et touristes chantent et dansent, en toute sécurité, dans le cadre de festivals organisés dans tout le pays.
Il faut donc chercher ailleurs les raisons de cet acharnement américain. Les révélations faites, le 9 courant, sur les ondes de la radio privée Jawhara par Abdllah Labidi, ancien diplomate, viennent montrer que l’animosité des Américains vis-à -vis du chef de l’Etat tunisien ne date pas d’aujourd’hui. Selon ces révélations, le G7 mené par les Américains avait décidé, depuis deux ans, « d’isoler Kaïs Saïed et de ne lui fournir aucune aide pouvant lui permettre d’avoir un plus grand ancrage dans la société ».
C’est ce qui expliquerait, entre autres, d’après Labidi, les difficultés rencontrées par la Tunisie à organiser le 18ème Sommet de la Francophonie, lequel demeure hypothétique jusqu’à ce jour et le retard qu’accusent les négociations avec le FMI pour l’obtention de facilités de paiement.
Une véritable déclaration de guerre
Cela pour dire que, pour un militaire de carrière comme Lloyd Austin qui tient de tels propos, on est tenté de penser qu’il y a là plus qu’« une ingérence diplomatique inacceptable » mais une véritable déclaration de guerre au pouvoir autocrate en Tunisie. Il y a donc péril en la demeure.
La démarche du responsable américain, en sa qualité de chef de guerre, rappelle les préparatifs de propagande que font, généralement, les Etats-Unis avant d’intervenir et d’agresser un pays. Comme cela a été le cas avec l’Irak, la Syrie, la Libye, la Somalie, l’Afghanistan…
La question qui se pose dès lors est de savoir sur les tenants et aboutissants de cette animosité gratuite des démocrates américains vis-à -vis de la Tunisie. Ce petit pays, ignoré complètement durant le mandat du président républicain Trump, n’est d’aucun intérêt en principe pour les Etats-Unis. C’est un pays qui n’a ni pétrole, ni nucléaire, ni autres armes de destruction. Il n’est même pas un pays de front avec l’Etat Israël, leur chouchou.
Selon certains observateurs, la Tunisie serait ciblée comme un site relais pour déstabiliser les pays voisins, l’Algérie et la Libye, deux pays qui n’entendent pas parler d’établissement de relations diplomatiques avec l’Etat sioniste.
D’autres estiment qu’aux yeux des Américains, le péché de la Tunisie serait de n’avoir pas normalisé ses relations avec Israël. A ce sujet, connaissant bien le peuple tunisien, il y a une ligne rouge qu’aucun Tunisien ne peut franchir. C’est trahir les Palestiniens même s’ils ont des préjugés défavorables sur le mouvement Hamas. Et pour cause. La seule question qui unit les Tunisiens depuis la guerre israélo-arabe de 1967, c’est bien la cause palestinienne. Depuis, les Tunisiens ne descendent spontanément en masse dans les rues pour protester que lorsqu’il y a agression perpétrée contre les Palestiniens.
Autre question qui mérite d’être posée : face à cette forte pression américaine sur la Tunisie, les Européens -qui sont fragilisés à leur flanc nord par la guerre russo-ukrainienne- vont-ils accepter que leur flanc sud connaisse le même sort ?
A méditer.
Abou Sarra