Avec toutes les peines du monde, je viens de terminer la lecture de la traduction française de la Constitution de 2022.
Si cette traduction devait avoir une seule et unique vertu, c’est de révéler encore plus que la version arabe, la médiocrité du texte original. La version arabe était risible, la version française est hilarante.
Les plus anciens se souviennent de Semlali et de sa traduction d’une cérémonie de mariage. Avec cette version, nous ne sommes pas loin, on peut même avoir dépassé le niveau d’un sketch en stand up.
Le traducteur a plus fait confiance à Google qu’à ces neurones, vraisemblablement. Si le traducteur était humain, il ne serait pas juriste. S’il était juriste, il ne devrait pas parler plus d’une langue. Mais, s’il devait être humain, alors on peut dire qu’il aurait donné satisfaction aux anti-francophonie qui pullulent depuis la « vertigineuse révolution ».
Cette traduction est un faire-part de la fin de la langue française en Tunisie. Désormais, il leur faudra s’attaquer à une autre langue pour meubler le vide ; s’en est fini avec celle-là.
Si cette traduction devait avoir une vertu, c’est aussi d’avoir pu souligner l’indigence du texte constitutionnel qui semble ne plus trouver beaucoup de défenseurs.
Dès la première phrase, on pourrait mesurer l’étonnement d’un lecteur étranger.
Passons sur la fameuse « ascension » incompréhensible au regard du droit constitutionnel. La première perle est la prétendue « famine ». Avant 2011, la Tunisie n’était pas en situation de famine sauf à falsifier l’histoire. D’ailleurs, c’est après la « vertigineuse » et durant les dix années sombres du règne de Ghannouchi que 21% des Tunisiens sont passés sous le seuil de la pauvreté. L’indécence de cet islamiste est sans limites à venir fêter ce qui fut un gouffre abyssal en prétendant qu’elle fût une belle période.
Au détour de la lecture, on découvre « la révolution bénie », une touche jamais rencontrée dans un texte constitutionnel. Une sorte d’expression tout droit sortie d’une charte du Moyen-âge.
Mais dès la seconde ligne, un clash entre le « nous » et le « leur » dans une sorte de schizophrénie syntaxique nous pousse à poser la question : qui parle ? Le peuple ou une autre entité, si c’est le peuple alors pourquoi le « leur » ?
Juste après, on bute sur « les légions » de martyrs. Là aussi la question qui viendrait à l’esprit serait à combien se comptent les légions ? Un millier, un million ?
On passe sur le sang, le drapeau et la mauvaise traduction littérale par juxtaposition de mots.
La suite vaut le détour en approximations et en style. Pour la comprendre, il faudrait un glossaire spécifique et un guide de lecture. Car la lecture est simplement effrayante, plus la peine d’aller plus loin : les « bergers » du XVIe siècle, « l’ère de la sûreté » pour le pacte du même nom, suit la « balance » et autres référence qui ne parlent qu’à celui qui a rédigé la version arabe dans son huis clos personnel.
Le paragraphe de ce préambule sur la question des alliances et sur l’intégration de la question palestinienne achève le reste de la lecture. Aussi légitime que puisse être cette question, que vient-elle faire dans un texte interne à un pays sauf à se lier nationalement à cette question ? Voilà ce que pourrait dire un étranger en lisant cette version.
Les autres articles et dispositions sont tellement truffés de fautes d’orthographe, de syntaxe, de sens, que le texte devient risible à chaque numéro d’article. Il fallait arrêter la lecture de ce qui est un massacre à tous les niveaux : les principes, la langue, le droit, l’histoire.
Au passage, la traduction de l’article 5 dissipe chez les derniers récalcitrants les doutes quant au fait que la Tunisie est désormais une théocratie, et ce malgré la médiocrité de la traduction.
Dix ans de mystifications, une décennie sombre n’en déplaise à Ghannouchi – un des fossoyeurs de la Tunisie – aboutissent à un texte pire que celui rédigé en 2014.
Le bon sens voudrait qu’on n’applique pas celui-là pour ce qu’il est (médiocre et hors-sujet), et qu’on abroge dans les procédures l’ancien, celui de 2014 pour les destructions abyssales qu’il a produites.
C’est désormais inéluctable.
Taoufik Bourgou