Au commencement, deux sorties médiatiques controversées que certains observateurs n’ont pas hésité à qualifier de « véritables déclarations de guerre » contre l’Algérie, la Mauritanie et la Tunisie. Il s’agirait, pour reprendre leurs termes, d’un scénario de déstabilisation en gestation par une alliance impérialo-sioniste dans le but de rebattre les cartes dans la région du Maghreb.
Ultime objectif : opérer un nouveau recentrage devant servir les intérêts des puissances “néocoloniales“ et, surtout, leurs visées de mainmise sur les richesses naturelles de la région et de contrôle de la nouvelle route de l’énergie (gaz, énergies vertes) qui serait abondante au sud de la Méditerranée.
Abou SARRA
La déclaration la plus dangereuse, du moins de notre point de vue, concerne l’Algérie et la Mauritanie. Elle a été faite début août 2022 par le président de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), le Marocain Ahmed Raissouni.
Une déclaration qui sème la zizanie
Le prédicateur marocain, qui a succédé au fondateur de cette organisation des Frères musulmans, Youssef Al-Qaradawi, s’est attaqué à l’Algérie d’une manière très agressive. Il a appelé les Marocains « à déclarer le djihad contre l’Algérie pour récupérer la ville de Tindouf », située en territoire algérien.
Dans cette même déclaration, Ahmed Raissouni a remis en cause l’existence de la Mauritanie et l’a qualifié d’« erreur », suggérant donc un retour au « Grand Maroc ». Pour lui, le Maroc devait « redevenir ce qu’il était avant l’invasion européenne ».
A travers ces propos, le prédicateur marocain semble faire d’une pierre deux coups. D’un côté il a cherché à relancer la polémique autour des conflits frontaliers avec l’Algérie et la Mauritanie, puis à semer la zizanie entre deux pays musulmans voisins, une attitude scandaleuse pour un soi-disant religieux avec en plus le titre de “président de l’Union internationale des savants musulmans“.
La controverse de Tindouf réglée depuis plus de 30 ans
De l’autre côté, bien briefé apparemment par le Makhzen marocain, il a voulu remettre en cause l’accord algéro-marocain sur Tindouf. Un site, jadis pauvre, est devenu d’un grand intérêt économique après l’entrée en exploitation, en juillet dernier, de la mine de fer Ghar Djebilet, un projet structurant de première importance. La production de cette mine sera exportée en Chine et en Russie.
Pour revenir à la controverse sur l’appartenance de Tindouf, elle a pris officiellement fin avec la signature, le 15 juin 1972, d’un accord frontalier algéro-marocain, ratifié en 1973 par l’Algérie et en 1992 par le Maroc, et consacrant l’appartenance à l’Algérie de Tindouf…
L’UIOM se désolidarise de son président
Et pour ne rien oublier, compte tenu de l’ampleur des réactions suscitées par la déclaration du prédicateur Marocain, les parties concernées ont essayé de rectifier le tir.
C’est le cas du secrétariat général de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM). A partir de son siège à Doha (Etat de Qatar), il a eu à préciser qu’«il s’agissait d’idées exprimées à titre personnel, et non celles défendues par l’organisation ».
Même l’auteur de cette déclaration Ahmed Raissouni en personne, il s’est rétracté, le 17 août, sur son blog en évoquant « une mauvaise interprétation de ses propos ». Il est allé plus loin dans ses excuses en déclarant que « la Mauritanie est devenue l’un des cinq pays constitutifs de l’Union du Maghreb arabe ». Il y a là, dit-il, une « réalité reconnue internationalement et par les pays de la région ».
La cible définitive serait l’Algérie
Par-delà ces recadrages, beaucoup d’indices montrent que des préparatifs sont en cours pour déstabiliser la seule puissance économique du Maghreb, en l’occurrence l’Algérie. Le projet serait de la prendre en tenaille entre le Maroc et la Tunisie (maillon faible de la région).
C’est ce qui explique quelque part les menaces à peine déguisées formulées, ces derniers jours, par les Etats-Unis à l’endroit de la Tunisie.
Dans une déclaration faite le 9 août 2022, à Stuttgart en Allemagne, par le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, à l’occasion du changement du commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM), le responsable américain a déploré, arbitrairement, « l’érosion de la démocratie en Tunisie » et estimé que le « rêve d’un gouvernement stable » de la Tunisie était en danger.
Pour mémoire, cette déclaration est intervenue quelques jours après le triomphe du « oui » au référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle Constitution proposée par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed.
Encore plus grave, il a ajouté que « les États-Unis sont déterminés à soutenir leurs amis en Tunisie qui tentent de forger des démocraties ouvertes, responsables et inclusives ».
Entendre par « leurs amis », Rached Ghannouchi et son parti islamiste, Ennahdha, et ses complices contrebandiers que les Américains ont aidé pour accéder, en 2011, au pouvoir. Ces mêmes amis qui ont conduit la Tunisie, dix ans durant, au chaos et à la banque route.
Cela pour dire, in fine, qu’au regard de leur timing et de leur concomitance, les deux déclarations, celles du président de l’UIOM et du secrétaire américain de la Défense, sont loin d’être innocentes. Même si l’Algérie est la principale cible, la Tunisie, en tant que pays voisin qui n’est pourtant d’aucun intérêt économique pour les Etats-Unis, à l’exception de son positionnement stratégique au milieu de la méditerranée, court, malgré lui, de sérieux risques de déstabilisation.