Comment concrétiser l’effet d’appel africain ? Une esquisse de plan d’action est sur pied. Cinq secteurs porteurs, quinze pays dans l’écran du radar, deux couloirs d’échanges, à savoir l’aérien et le maritime, enfin cinq ateliers de réflexion et une série de résolutions.
Voilà les faits saillants de la journée de présentation publique de l’étude se rapportant à “L’internationalisation des entreprises tunisiennes sur les marchés africains“, qui s’est déroulée à Tunis mercredi 17 août 2022.
L’étude a été financée par l’AFD, pour une enveloppe de 3,5 millions de dinars, comme l’a rappelé Bertrand Ficini, directeur adjoint de l’Agence qui a pris part à la journée. Elle a été conjointement réalisée par Expertise France et le cabinet Deloitte.
C’est à n’en pas douter, une fenêtre prometteuse, car méthodique et réaliste quant au redéploiement commercial du secteur exportateur sur le reste du continent africain.
Point d’orgue
A l’examen, les chiffres ont de quoi surprendre. En effet, à peine 10% de nos échanges commerciaux se réalisent avec le continent africain. Leur répartition est encore plus étonnante. Près de 7,5% sont réalisés avec le Maghreb et donc 2,5% seulement avec le reste du continent.
Cette étude est une fenêtre prometteuse, car méthodique et réaliste quant au redéploiement commercial du secteur exportateur sur le reste du continent africain
Statistiquement, il faut le reconnaître, la Tunisie, avec son marché naturel, réalise un flux d’échanges résiduel. Sur un groupe de 50 pays, hors Maghreb, qui possèdent un potentiel commercial conséquent et pour une population de plus d’un milliard d’individus, nous exportons le maigre montant de 343 chétifs millions de dollars US. Nous serions ainsi en état de tourner le dos à un gisement commercial considérable et qui plus est se trouve à notre portée. Il s’agit au mieux d’une négligence. Et au pire d’une absence d’ambition, pour un pays qui s’enfonce.
Ce crédit de confiance est inestimable car il nous dispense d’avoir à “rompre la glace“, et on peut embrayer “tout de go“ sur des plans d’action ambitieux
Alentour, tous nos voisins se sont mis en dynamique d’échanges nettement plus avancée. Sous-estimer un marché qui peut servir de troisième poumon pour notre économie, c’est un cas de cécité stratégique. Shocking ! Cela doit changer, rappellera, avec résolution, Samir Saïed, ministre de l’Economie et de la Planification, qui a pris part à cette journée et en quelque sorte “aiguilleur du ciel“ de notre secteur exportateur. Comment dès lors bouleverser la donne ?
Le paradoxe tunisien
Il faut savoir, rappellera Aziz Ben M’barek, du haut de son expérience africaine avec le groupe Africinvest, que le solde de nos échanges commerciaux avec le reste du continent est inversement proportionnel à notre capital notoriété. La Tunisie jouit, soutient-il, d’un capital de confiance extrême. Et il ne s’agit pas que d’un élan de sympathie mais d’une réelle volonté de coopération qui ne cherche qu’à se concrétiser sur terrain.
Ce crédit de confiance est inestimable car il nous dispense d’avoir à “rompre la glace“, et on peut embrayer “tout de go“ sur des plans d’action ambitieux, à présent que l’on est parés.
L’étude arrive un peu tard mais elle permet de passer à un palier supérieur d’entrée de jeu en capitalisant sur les expériences fructueuses et variées initiées par les pionniers. Et cela tombe à pic car, comme le rappellera le ministre de l’Economie, le pays se penche sur son plan triennal “2023-2025“ et sur une vision à l’horizon 2035.
Et l’étude de Deloitte, sans être exhaustive, a le mérite d’être méthodique et immédiatement opérationnelle. Elle focalise sur l’objectif de doper les flux commerciaux. En toute probabilité, c’est le meilleur Starter d’affaires car il peut propulser, dans son sillage, des partenariats avancés. Plus tard, il pourrait déboucher sur une dynamique engageante d’intégration. Mais il faut éviter toutes précipitations et laisser les choses “maturer“ à leur gré.
Un plan d’action
L’approche de Deloitte, tel qu’exposée par Emna Khrouf, part d’un Focus Group de 15 pays qui ont été sélectionnés en raison principalement de leur interfaçage économique avec la Tunisie. L’on trouve le Maroc, l’Algérie, la Libye et l’Egypte en région MENA. En Afrique de l’Ouest et centrale, l’on a retenu la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana, le Nigeria, le Cameroun et la RD Congo, tous “Poids lourds“, soit dit au passage.
Il s’agit de l’agroalimentaire, du BTP, de la santé et de l’industrie pharmaceutique, de l’IT et enfin de l’enseignement supérieur.
Concernant l’Afrique de l’Est, on trouve l’Ethiopie, le Rwanda et le Kenya. Last but not least, c’est l’Afrique du Sud qui ferme la marche.
Cinq secteurs d’activités ont été sélectionnés, là où l’expertise tunisienne est reconnue et validée. Il s’agit de l’agroalimentaire, du BTP, de la santé et de l’industrie pharmaceutique, de l’IT et enfin de l’enseignement supérieur.
Quant aux voies d’échanges, le portuaire et l’aérien seuls ont été retenus.
Naturellement, des pré-requis constitueraient un renfort nécessaire. La diplomatie économique serait d’un meilleur effet pour préparer le terrain. Et d’expérience, l’accompagnement bancaire, notamment pour l’octroi des garanties, outre les appoints en financement est indispensable.
Il reste entendu que nous aurons à capitaliser sur les réalisations phares accomplies par les pionniers, et notre historique en la matière est édifiant. Cependant, Aziz M’Barek appellera à plus de vigilance car le continent fait l’objet de la convoitise des puissances économique, tels les USA ou la Chine, lesquelles surveillent de près les grandes manœuvres, qu’elles soient commerciales ou industrielles. Et elles peuvent les torpiller. C’est techniquement complexe et cela nécessite une touche professionnelle avisée et conquérante.
on peut dire que les recommandations pour le change concernent des extensions de délais de déclaration ou d’origine des fonds qui appellent des modifications mineures
Dans la foulée des travaux de cette matinée exploratoire, si laborieuse, cinq ateliers de réflexion se sont immédiatement penchés sur les thèmes suivants : le cadre réglementaire et institutionnel, la réglementation des changes, le rôle des structures d’accompagnement, la diplomatie économique vis-à-vis de l’Afrique, enfin le rôle du secteur privé et des initiatives innovantes.
Les recommandations ont été exposées instantanément, et le ministre de l’Economie en a pris bonne note. A chaud, on peut dire que les recommandations pour le change concernent des extensions de délais de déclaration ou d’origine des fonds qui appellent des modifications mineures et dont on peut espérer qu’elles seront réajustées rapidement.
Concernant la diplomatie économique, nous pensons que dans l’attente de l’élaboration d’une stratégie publique, une extension du rôle de la FIPA peut y pallier de manière satisfaisante.
Portée et limite de l’approche Deloitte
L’étude présentée par Deloitte est certes réaliste et solidement structurée. Elle n’en est pas moins trop restrictive de notre point de vue. Les secteurs touristiques et manufacturiers auraient très bien pu figurer parmi les secteurs prometteurs. Alors pourquoi avoir sous-estimé leur potentiel ?
Le choix des canaux d’échanges écarte injustement le routier d’autant que beaucoup de transsahariennes sont en cours d’achèvement. Les experts de TABC qui ont une solide expérience sur le cantinent les évoquent comme les “corridors de la croissance“. La route Alger-Lagos, qui transite par la Tunisie mérite plus d’attention.
Le choix des canaux d’échanges écarte injustement le routier d’autant que beaucoup de transsahariennes sont en cours d’achèvement.
Et, par ailleurs, pour mieux réussir cette initiative de redéploiement sur le reste du continent, il convient de penser à un booster comme le rappelle Aziz M’Barek. Et existe-t-il meilleur vecteur que le secteur bancaire ? L’épopée de certains pays voisins vient le souligner avec pertinence. Il faudra se décider pour la question en soutien à pareil programme.
Ali Abdessalam