La réduction du déséquilibre régional et son corollaire, la décentralisation, font partie des principales revendications des émeutes de décembre 2010 – janvier 2011. Une douzaine d’années après, la problématique demeure pratiquement intacte. Peu de progrès ont été réalisés en la matière.

Abou SARRA

La Constitution de 2014 a essayé d’y remédier en consacrant tout un chapitre au pouvoir local. Le premier article de ce chapitre (Art. 131) stipule que «le pouvoir local est fondé sur la décentralisation, concrétisée par des collectivités locales comprenant des communes, des régions et des districts».

Malheureusement, l’application de cette nouvelle législation du pouvoir local avec comme unique réalisation l’organisation, en 2018, des premières élections municipales, très vite des dérapages monstres se sont manifestés. Certains maires, grisés par le pouvoir, se sont comportés à la tête des municipalités comme s’ils géraient des bantoustans.

Le comportement du maire de la ville du Kram (banlieue nord de Tunis), élu avec 3 000 voix pour une population de 95 000 habitants, en est une parfaite illustration.

En effet, il a osé défier, au nom de l’autonomie administrative des municipalités, le président de la République en lui demandant de l’informer quand il vient prier dans une mosquée de sa ville. C’était le comble et le signal que le pouvoir local était mal interprété.

Assemblée des régions et des districts, de quoi s’agit-il ?

C’est ce qui a amené le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, à proposer et à faire adopter, par référendum, une nouvelle Constitution dans laquelle il a prévu un nouveau cadre institutionnel de la décentralisation, à savoir l’“Assemblée des régions et des districts“.

D’après l’article 84 de la Constitution de 2022, la nouvelle institution, composée de députés élus des régions et des districts, exerce une fonction de contrôle concernant la mise en œuvre des budgets et plans de développement régionaux.

Ce nouveau cadre réglementaire de la décentralisation a suscité une vive polémique entre opposants et partisans de cette nouvelle gouvernance des régions.

Du côté des opposants, la réaction du professeur de droit public à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, Sghaier Zakraoui, a été, du moins de notre point de vue, la plus virulente. Il a déclaré, le 20 août 2022 sur les ondes de la radio privée Mosaïque FM, que « la Chambre nationale des régions et des districts serait l’un des points de départ pour l’installation de la gouvernance par les bases s’inscrivant au cœur du projet de Kaïs Saïed ».

Le juriste semble attirer l’attention sur un des dossiers controversés défendus par Kaïs Saïed, celui de la gouvernance des bases, une gouvernance que beaucoup de Tunisiens craignent particulièrement, parce qu’elle leur rappelle le collectivisme des années 60 et des comités populaires du colonel Kadhafi.

Pour sa part, l’universitaire et sociologue Riadh Zghal estime que le levier utilisé dans la Constitution de 2022 pour donner un pouvoir aux régions, en l’occurrence la loi, a peu de chances de réussir. « Ainsi est entretenue, écrit-elle, l’illusion du juriste qui considère que l’on peut changer la société par décret. Or, cette illusion a la vie dure ! ».

Pour les partisans du projet de l’Assemblée des régions et des districts, que toutes les législations visant à promouvoir la décentralisation et à réduire le déséquilibre entre les régions est toujours une bonne législation à prendre.

Ultime objectif, améliorer la gouvernance des régions

Ils ajoutent que l’essentiel est d’atteindre l’objectif souhaité, depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956. Celui-là même qui vise à favoriser, au final et effectivement, la bonne gouvernance des régions, des délégations et des collectivités locales urbaines et rurales.

Au final, il s’agit d’identifier, sur la base d’un scoring voire de critères objectifs, une clef de répartition équitable des ressources entre régions économiques, gouvernorats, délégations, collectivités locales.

Pour garantir le bon fonctionnement d’un tel modèle alternatif, le sociologue Ridha Boukraa énumère plusieurs facteurs à réunir en amont. Au nombre de ceux-ci, il cite : une planification ascendante (du local vers le central), une représentativité des acteurs régionaux (institution de la commune rurale) et la mise en place de décideurs budgétaires régionaux et l’arbitrage de l’Etat entre les régions décideuses.

Moralité de l’histoire : la décentralisation que l’ère de Bourguiba avait enclenchée en créant six zones économiques ou districts gagnerait à être enrichie par des cadres institutionnels de réflexion et propositions, voire des contre-pouvoirs effectifs à même d’améliorer le vécu des régions marginalisées et de mettre constamment sous pression une administration centrale jusque-là inefficace et inéquitable.