Trois épaves inédites ont été identifiées lors de la première mission internationale archéologique subaquatique organisée à bord du navire Alfred Merlin du Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines relevant du ministère de la Culture français), sous les auspices de l’Unesco sur le banc des Esquerquis ou Skerki, qui se trouve à plus de 200 mètres de profondeur et s’étend sur plus de 700 km2, en pleine mer Méditerranée, dans les eaux territoriales entre la Tunisie, la Sicile et la Sardaigne (Italie).
En expédition scientifique sur le plateau continental tunisien, du 27 août au 2 septembre 2022, cette mission de prospection géophysique sous-marine de l’emplacement des navires échoués au Banc Skerki, la première en son genre en matière de coopération multilatérale ayant réuni huit pays (Espagne, Italie, Algérie, France, Croatie, Egypte, Maroc et la Tunisie, pays coordinateur) se conclut par des avancées significatives sur la documentation en haute résolution d’épaves de l’époque romaine au 19ème siècle.
Menée dans une action internationale sans précédent en Méditerranée où la Tunisie a été l’Etat coordinateur, la mission a été clôturée samedi 3 septembre 2022 en fin d’après-midi dans la ville côtière de Bizerte (Nord de la Tunisie) exactement à la Marina où le navire français Alfred Merlin d’une longueur de 46 mètres a accosté après près d’une semaine de recherches subaquatiques.
Les premiers résultats scientifiques ont été annoncés lors d’une cérémonie ayant pris les couleurs des huit pays partenaires.
Etaient présentes du côté tunisien, les ministres des Affaires culturelles et de l’Environnement, respectivement Hayet Guermazi Guettat et Leila Chikhaoui, en compagnie de hauts responsables de l’Institut national du patrimoine (INP), de l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de la promotion culturelle (AMVPPC), des autorités locales, ainsi que des représentants du ministère de la Défense nationale -qui a apporté son concours logistique.
La cérémonie s’est déroulée également en présence des représentants de l’Unesco, de plusieurs ambassadeurs et représentants des pays, notamment de la France, de l’Egypte, de l’Italie, de l’Espagne et d’Egypte, qui ont, lors de la visite du navire, pris connaissance de visu des différents équipements de pointe et robotique qui ont permis d’aboutir à ces premières découvertes confirmant que le banc des Esquersis est du plus haut intérêt pour le patrimoine culturel subaquatique dans le monde.
Les résultats seront présentés au siège de l’Unesco à Paris
Elue en 2021 membre du Conseil consultatif scientifique et technique de la convention de l’Unesco de 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, la chercheuse tunisienne Wafa Ben Slimane, spécialiste dans le patrimoine subaquatique à l’INP et responsable de la mission scientifique sur le Banc Skerki dans le plateau continental tunisien, a indiqué que cette opération de repérage effectuée dans des profondeurs, allant de 50 à 100 mètres, ont permis pendant près d’une semaine sur une zone de 10 kilomètres carrées d’identifier trois épaves vérifiées par un robot (sonar multifaisceaux) équipé de caméra acoustique, après le premier passage de reconnaissance.
La première est une épave d’un grand navire d’époque moderne dont la date remonterait au 19ème/20ème siècles. Selon les données préliminaires, il s’agit d’un navire à vapeur qui se serait éventuellement heurté aux rochers effleurant au Banc Skerki qui est considéré comme un récif composé de crêtes rocheuses dangereuses pour la navigation.
Selon les images acoustiques de ce premier inventaire réalisé en l’absence d’une cartographie des sites immergés dans cette zone, d’où l’inédit dans cette mission, la deuxième épave est celle d’un navire de pêche en bois qui remonterait selon les premières analyses à la fin du 19ème siècle début du 20ème.
La troisième épave qu’elle a décrite comme ” une capsule dans le temps ” est antique datant du 1er siècle av. J.-C. transportant une amphore vinaire en bon état de conservation, ce qui laisse prévoir que le navire était en provenance de l’Italie à destination probablement de la Tunisie en empruntant cette voie maritime par excellence depuis la nuit des temps entre les deux rives de la Méditerranée.
Les données recueillies dans le cadre de la mission inédite de l’Unesco – les deux prospections menées sur la zone des épaves découvertes lors des expéditions américaines et du banc des Esquerquis – a ajouté Krista Pikkat, directrice de la culture et des situations d’urgence à l’Unesco, vont maintenant être analysées avec soin et exploitées scientifiquement et collectivement.
Le fruit de ce travail sera présenté en exclusivité courant novembre-décembre au siège de l’Unesco au cours d’un événement exceptionnel qui va clôturer officiellement cette mission.
Ce projet ambitieux mené dans le cadre du projet de coopération internationale pour la protection du patrimoine culturel subaquatique, ayant fait rêver la communauté scientifique depuis 2018 (année où la découverte du site du Banc Skerki a été notifiée auprès de l’Unesco par l’Italie) et qui vient d’être mis en œuvre, ambitionne, a-t-elle ajouté, d’inciter d’autres Etats à s’unir et à s’engager dans de nouvelles missions multilatérales dans le cadre de la convention 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique (premier texte internationale dans le cadre des Nations Unies à traiter le patrimoine submergé) et par la même en accroître les ratifications afin de rendre cet instrument universel.
Elle précise par ailleurs que, dans le cadre du Banc des Esquerquis, la mission qui a eu la chance de se dérouler dans des conditions météorologiques clémentes, a donné corps à la première mise en œuvre pratique du mécanisme inédit de coopération établi par la convention réunissant huit pays dans un objectif commun : travailler ensemble pour la protection du patrimoine immergé à fortiori en Mer Méditerranée.
La Tunisie aura bientôt un Centre interrégional sur le patrimoine culturel subaquatique
Mettant l’accent sur le rôle de la Tunisie en tant que pays coordinateur, la ministre des affaires culturelles a tenu à insister que l’engagement de la Tunisie dans cette mission est révélateur d’une réelle et profonde volonté de travailler en coopération avec les pays partenaires en Méditerranée et d’accroître la coopération multilatérale dans l’intérêt scientifique et pour une meilleure protection du patrimoine subaquatique dans les mers et les autres sites subaquatiques.
Elle a, à cette occasion annoncé que la Tunisie, l’un des premiers pays arabes et africains à ratifier la convention de 2001 de l’Unesco, sera dotée prochainement d’un centre interrégional sur le patrimoine culturel subaquatique, sous les auspices de l’Alecso, en vue de contribuer aux efforts internationaux engagés en vue de protéger ce bien commun à l’Humanité et de le valoriser.
De son côté, la cheffe de la mission de l’Unesco à bord d’Alfred Merlin, Franca Cibecchini, (Drass-MC France) a tenu à préciser que le but de cette mission ayant réuni 18 archéologues des 8 pays est de rechercher, identifier et documenter les divers sites archéologiques sous les eaux ainsi que de promouvoir la connaissance scientifique du patrimoine culturel immergé et sensibiliser le public à sa protection et à celle du monde marin.
Cette sensibilisation se base sur la documentation obtenue grâce aux outils de haute technologie à bord du navire Alfred Merlin et surtout à ceux qui guident ces outils et les interprètent, les archéologues à bord. D’emblée, la réalisation d’une cartographie du patrimoine culturel immergé permet désormais de réaliser un état des lieux des sites qui auraient potentiellement subi des pillages par les chasseurs de trésors, un fléau majeur qui porte atteinte à l’intégrité du patrimoine subaquatique.
Appel à classer le Banc Skerki … “zone protégée”
En attendant la phase de traitement scientifique plus approfondi des premiers résultats de cette mission et éventuellement celle des fouilles subaquatiques dans le but de valoriser cette aire maritime hors du commun et d’intérêt aussi bien pour les archéologues que pour les biologistes marins et de lui assurer la meilleure protection non seulement en raison des témoignages historiques et archéologiques qu’ils renferment mais aussi du point de vue des richesses exceptionnels de ses fonds marins, un appel a été lancé en vue de classer le Banc Skerki “zone protégée”.
En vue de partager avec les différentes composantes de la communautés internationale les différentes péripéties de cette aventure de protection du patrimoine culturel subaquatique méditerranéen, un documentaire de 70 minutes sera fin prêt prochainement. Il a été réalisé avec la contribution notamment du photographe Angel Fitor, présent à bord dès le premier jour de la mission, en vue de porter à jour des vestiges marins immergés au Banc Skerki appelé “le Cimetière des épaves” vu le nombre important de ces dernières datant d’époques historiques très variées dans cette zone, théâtre de plusieurs batailles navales lors de la 2ème guerre mondiale.
Le Banc Skerki, situé en face de la côte nord tunisienne (la plus grande partie s’étend sur le récif continental tunisien) et du nord-ouest du Canal de Sicile, occupe une position stratégique à l’intérieur de la mer méditerranée ; ce qu’il en a fait un lieu de passage des navires et un centre d’échanges commerciaux depuis des milliers d’années.
Cette région est de ce fait riche d’épaves datant de l’Antiquité à la Seconde Guerre mondiale. Selon les données fournies par les experts, les chercheurs et les historiens , le Banc Skerki recèle de nombreuses découvertes archéologiques d’une valeur historique et culturelle inestimable, notamment cinq épaves romaines – datant du 1er siècle avant J.-C. au 4e siècle après J.-C. et mesurant jusqu’à 30 mètres de long -, des amphores, des vases, des ustensiles en verre et en bronze.
En ce qui concerne son fonds marin, le Banc Skerki où l’activité maritime dans cette région est réputée très dangereuses depuis les époques anciennes, est considéré aujourd’hui l’un des endroits les plus préservés de la Méditerranée. Cette région se compose notamment de récifs de corail qui s’étendent sur plusieurs kilomètres.
Les incroyables fonds marins, autrefois pillés par les chercheurs de coraux, abritent de nombreuses grottes et parois tapissées de gorgones et peuplées de colonies de langoustes. On peut y observer des bancs de barracudas, de sérioles, de vivaneaux et de gros mérous, ainsi que des dauphins, des globicéphales, des thons et des tortues ; c’est également un milieu idéal pour la reproduction du requin.
Ces lieux sont considérés comme les principaux points chauds de la biodiversité en Méditerranée, représentant également de véritables ” points de rencontre ” en haute mer pour de nombreuses espèces. D’où la nécessité, selon Wafa Ben Slimane, de réfléchir à l’introduire, prochainement, dans un circuit culturel et touristique subaquatique à l’instar des modèles existants dans le monde.