Traditionnellement à pareille époque, on ne cogite que de la nouvelle loi de finances pour le prochain exercice administratif et des nouveautés qu’elle peut apporter pour les particuliers et les entreprises. Seulement, avec l’Etat d’exception qui prévaut dans le pays depuis le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, cet acte de gestion des finances publiques se discute en catimini, voire dans une chambre noire.
Abou SARRA
Ainsi, contrairement à la tradition qui veut que l’adoption du budget soit précédée d’un large débat sur la politique générale du gouvernement telle qu’elle a été suivie une année auparavant et telle qu’elle ressort de la structure du budget proposé, le gouvernement de Najla Bouden continuera à jouir de cet état de grâce que lui offre l’exceptionnalité de la situation et de ne faire l’objet d’aucune critique en publique.
La seule information publiée officiellement sur la loi de finances 2023 remonte au 1er septembre 2022. Dans un communiqué succinct, les médias annoncent qu’une séance de travail a été consacrée aux préparatifs en cours pour l’élaboration du nouveau budget de l’Etat.
Aucune info sur le nouveau budget
Signe du peu d’intérêt que ce gouvernement accorde à l’acte budgétaire, la réunion qui a groupé la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, et les ministres des Finances, du Commerce et de l’Agriculture, n’a fourni aucun éclairage ni sur les grandes orientations macroéconomiques ni sur les mesures fiscales qui seront introduites en 2023.
Pourtant, le budget de l’Etat est un mécanisme d’une extrême importance. Il reflète la capacité financière du pays à réaliser, pour ses administrés, programmes et projets de développement.
Malheureusement, il faut reconnaître qu’en l’absence de culture financière, ce mécanisme a été abusivement instrumentalisé, depuis l’accès du pays à l’indépendance, particulièrement durant la décennie de l’islam politique (2011-2020), par les gouvernants pour légaliser toutes formes d’abus, d’injustices et d’iniquités dans le pays.
Décryptage des astuces des budgétistes
Dans une communication d’excellente facture intitulée «Bilan du budget de l’Etat de 2011 à 2021 : lecture critique et proposition d’un budget productif et citoyen», l’expert en gestion financière, Salah Jennadi, a fait ressortir, chiffres à l’appui, «la responsabilité des budgétistes (gouvernements) qui se sont succédé, depuis une dizaine d’années, dans la déliquescence de l’Etat”.
L’expert, qui intervenait dans le cadre de la 29ème université d’été de la Fondation Mohamed Ali Hammi (2, 3, 4 septembre 2022), à Gammarth, a démontré comment le budget a été l’instrument privilégié utilisé par ces gouvernements pour atteindre ce sinistre objectif, en l’occurrence la dislocation de l’Etat.
Selon lui, l’outil budgétaire n’aurait été que le cadre légal pour justifier le maquillage des chiffres, le recours abusif à l’endettement et la promulgation d’un millier de lois et de mesures inapplicables.
L’expert a décrypté les astuces utilisées par les rédacteurs du document du budget, à savoir le Premier ministère et le ministère des Finances, pour gérer, en maitres absolus, le budget de l’Etat comme un butin, sans aucune concertation avec les autres ministères et les entreprises publiques.
Ces deux départements se sont employés, une décennie durant, à répartir le budget non pas en fonction des besoins réels du pays (investissement public, infrastructure, emploi…), mais en fonction des intérêts des bailleurs de fonds et des lobbys.
L’expert a mis particulièrement l’accent sur le rôle improductif qu’a joué particulièrement le ministère des Finances dans l’aggravation des déficits et le gonflement des dettes croisées des entreprises publiques.
Sur sa lancée, il a déploré la très mauvaise négociation par les responsables tunisiens de (certains) contrats internationaux. A titre indicatif, il a cité la fixation de la redevance prélevée sur le passage sur le territoire tunisien du gazoduc Transmed qui achemine le gaz algérien vers l’Italie. Estimée actuellement à 5,6% du gaz transporté, cette redevance aurait dû être bien supérieure au regard des enjeux en place, selon l’expert.
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Pour notre part, nous pensons que la question budgétaire est une question capitale et stratégique dans la mesure où tout ou presque se joue à ce niveau. D’où l’intérêt des partis et des think tanks du pays de lui accorder l’attention requise. L’ultime objectif étant de diffuser une culture budgétaire auprès de leurs adhérents et de les sensibiliser à leur droit de jouir d’une partie de ce budget en tant que contribuables.