Depuis le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, et sa principale conséquence, la marginalisation du parti islamiste Ennahdha, chouchou du pays de l’Oncle Sam, les responsables américains sont, semblent-ils, convaincus que le président Kaïs Saïed ne servirait pas leurs intérêts. Mieux, après plusieurs tentatives visant à restaurer la situation ante-25 juillet 2021, certains d’entre eux se sont résignés à penser qu’ils ne peuvent rien faire pour le moment contre le chef de l’Etat tunisien.
Le point de vue d’un ancien diplomate américain, en l’occurrence Jacob Walles (2012-2015), qui a accompagné les débuts la transition en Tunisie, mérite qu’on s’y attarde.
Abou SARRA
Dans une récente déclaration, Jacob Wallace a mis en doute la capacité des États-Unis à influencer la situation intérieure en Tunisie et à mettre fin à ce qu’il a appelé «le monopole de Kaïs Saïed sur le pouvoir ».
Selon lui, cela est dû à la fragmentation de l’opposition interne et à l’absence de toute alternative sérieuse face à Kaïs Saïed et au système de gouvernement actuel.
« Il y a certainement un changement clair en Tunisie, de la démocratie à l’autocratie, les récentes déclarations américaines sur la situation en Tunisie sont devenues plus sévères, mais tout ce que Washington peut faire, c’est continuer à publier des déclarations et réduire l’aide américaine, surtout lorsque l’opposition tunisienne n’est pas unie et ne présente pas une seule alternative », a-t-il dit.
Jacob Walles, qui était en poste lorsque le siège de l’ambassade a été attaqué en septembre 2012 par des islamistes tunisiens, n’a pas été tendre avec le parti islamiste Ennahdha après son départ.
Embrigadement des djihadistes : Ennahdha épinglé
Intervenant au mois de décembre 2018, lors d’une conférence organisée par le Washington Institute sur les raisons qui poussent des milliers de jeunes tunisiens à partir pour le jihad en Irak et en Syrie, il a déclaré que la situation politique en Tunisie, en pleine transition démocratique, est derrière l’émergence de jihadistes étrangers en provenance de Tunisie mais aussi le phénomène de radicalisation constaté dans le pays. «L’amnistie de 2011 a permis de libérer plusieurs prisonniers politiques et, parmi eux, d’anciens djihadistes dangereux. En même temps, les importants changements qui ont touché les forces de sécurité après le départ de Ben Ali ont réduit la capacité de l’État à faire face à ces djihadistes», a-t-il noté.
Par ailleurs, « le gouvernement de la Troïka, qui a gouverné le pays entre 2012 et 2013, a initialement toléré les activités djihadistes […] Ennahdha a parlé de dialogue avec les djihadistes […] estimant qu’il fallait intégrer ces gens-là dans la société ».
« Ces facteurs ont créé une sorte de tempête qui a permis la formation de groupes extrémistes et au recrutement et à la facilitation de nouvelles recrues pour se rendre en Libye, en Syrie et en Irak, mais aussi d’organiser des attaques en Tunisie », a ajouté Jacob Walles.
Pour notre part, nous pensons que ces déclarations de Jacob Walles et son témoignage sur l’implication du parti Ennahdha dans l’embrigadement de jeunes djihadistes tunisiens constituent une évolution très positive –fût-elle informelle- de l’appréciation américaine de la situation en Tunisie.
Ils interviennent au moment où la justice tunisienne ouvre, justement, le dossier de l’embrigadement des jeunes tunisiens et l’interrogatoire de plus 120 personnalités politiques sécuritaires et hommes d’affaires présumés impliqués dans cette affaire.