Presque 17 milliards de dinars de déficit de la balance commerciale, dépassant celui de toute l’année 2021, un peu moins de 500 millions de dinars de déficit budgétaire à fin juin 2022, mais c’est en grande partie parce que l’Etat ne paye pas ses créanciers. Alors que les recettes enregistrent un niveau de réalisation de l’ordre de 50%, celui des dépenses ne dépasse pas les 35%.
Une masse salariale qui a augmenté de 5,1%, atteignant les 20,2 milliards de dinars ; le taux de croissance selon toutes les prévisions ne pourrait pas dépasser les 2,6% en 2022 ; le déficit budgétaire devrait atteindre les 9,1% contre 7,4% en 2021, sous le poids des subventions de l’énergie et des produits de base.
Une inflation qui devrait nettement dépasser les 8% en 2022, mais pourrait bien atteindre les 2 chiffres si l’Etat n’engage pas au plus tôt le plan d’une véritable relance économique créatrice de croissance comprenant des réformes structurelles, une amélioration du climat d’affaires et des mesures concrètes pour encourager les investissements.
La Tunisie doit répondre à des besoins de financement croissants dont la mobilisation serait presqu’impossible sans un accord avec le FMI. Le fait est que, au plus haut de la pyramide de l’Etat, on ne s’inquiète pas outre mesure de la situation catastrophique de l’économie nationale et des finances publiques. Le président de la République, soit la plus haute autorité de l’Etat détenant aujourd’hui tous les pouvoirs décisionnels, a une seule obsession : lutter contre la corruption. Le président, lui-même, symbole de l’Etat, se déplace à la BNA pour, face aux caméras, informer sur des dossiers de malversations nécessitant des enquêtes. Il aurait pu convoquer le DG de la BNA, la ministre des Finances et en débattre dans la discrétion du bureau présidentiel. Mais qu’à cela ne tienne, les visites impromptues servent aussi à montrer au peuple que l’Etat est soucieux de ses intérêts…
Le protecteur de l’Etat et de ses institutions a également pris soin de s’enquérir des prix des légumes et fruits auprès de vendeurs opérant dans l’informel ne s’acquittant ni de taxes ni de redevances, sans protection sociale, et ne participant pas au Fonds de développement de la compétitivité agricole et de pêche (FODECAP), ni aux autres commissions et redevances perçues dans les marchés de gros !
Populisme quand tu nous tiens !
Est-ce à dire monsieur le président que les opérateurs dans le marché formel légal doivent changer de direction ? Prendre la route qui mène vers le marché parallèle, faire semblant de baisser les prix et avoir l’honneur de votre visite et de votre approbation ?
En l’absence de stratégies et de vision économiques éclairées et pertinentes, il serait, apparemment, plus facile de penser et de faire croire à une population profane dans la chose économique que tout le mal vient de la spéculation, des circuits de distribution et des corrompus ! Ces suceurs de sang et de sueurs qui dévorent tout sur leur passage tels des ogres leur vie !
Après avoir récolté l’argent auprès des contrevenants, que faire pour alimenter les caisses de l’Etat ?
Lutter contre les corrompus, quoi de plus noble ! Si ce n’est que tant que si nous ne nous attaquons pas à la racine du mal, la corruption ne disparaîtra pas. Et la racine du mal réside dans une administration publique sclérosée, des milliers de lois se contredisant les unes les autres et l’incapacité de l’Etat à imposer une gestion plus transparente de ses ressources et à adopter un mode de gouvernance qui réduit les risques des malversations !
La Tunisie peut-elle devenir riche après avoir arrêté tous les corrompus du pays ? Et à supposer que l’Etat vide les comptes des présumés voleurs, y compris ceux victimes de campagnes FB ou de dénonciations intéressées, qu’il conclue des accords financiers dans le cadre de la loi sur la réconciliation pénale et amasse des sommes colossales, que ferait-il après les avoir dépensées ?
Par quels moyens la Tunisie pourrait couvrir le déficit courant de 8 milliards de dinars, trouver des ressources pour alimenter ses caisses et élaborer la loi de finances complémentaire ?
Pour honorer ses engagements et rembourser ses dettes, l’Etat est bien obligé de contracter de nouveaux emprunts. Si nous pouvons au national trouver des solutions, au risque d’accroître l’inflation, que faire pour rembourser les dettes de l’Etat en devises ? Comment éviter le défaut de paiement et le Club de Paris ?
Les négociations avec le FMI soumises plus à la politique politicienne qu’à une logique économique de crise n’aboutiront pas de sitôt. Que faire dans ce cas ? Si les montants à rembourser en 2022 sont nettement inférieurs à ceux attendus et pourraient éventuellement être couverts par les transferts des TRE et les recettes touristiques, les prêts à rembourser en 2023 sont nettement plus élevés, soit 10 milliards de dinars en principal, entre dettes intérieures et extérieures, le double avec intérêts.
L’année 2023 ne sera pas également celle de la manne fiscale de 2022 à laquelle a bénéficié l’amnistie, soit 1 milliard de dinars de plus.
Pour les experts économiques et financiers, il serait difficile de boucler le budget 2023. C’est un collège des plus grands économistes du pays qui doit plancher sur la table pour trouver les solutions idoines et de parer à l’urgence : sauver le pays d’une cessation de paiement, et encore.
Comment y parvenir en l’absence de mesures concrètes visant à juguler les dégâts de 10 ans de mauvaise gestion des affaires économiques du pays et les répercussions de la pandémie Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne ?
En France, outre la déclaration fracassante d’Emmanuel Macron appelant les Français à rationaliser leurs dépenses et parlant de la fin de « l’opulence », une armada de mesures a été prise depuis le mois de mars 2022, dont le bouclier énergétique, le bouclier financier consistant à appeler les banques à réduire leurs commissions et les agios pour soutenir le pouvoir d’achat, la promulgation d’une loi pour le soutien du pouvoir d’achat et une subvention ciblée visant à compenser les surcoûts de dépenses de gaz ou d’électricité des entreprises grandes consommatrices d’énergie.
Au Maroc, une mesure symbolique a été prise consistant à prier les stations-service de fonctionner un jour sur 2 pour limiter les répercussions de la sécheresse sur le pays.
En Algérie, on a interdit l’exportation des produits de première nécessité.
Mais en Tunisie, qu’avons-nous fait ? Quel plan avons-nous adopté pour stabiliser les marchés, neutraliser intelligemment la hausse des prix, limiter les effets de la spéculation et appeler la population à rationaliser la consommation aussi bien de l’énergie que des produits céréaliers et leurs dérivés ?
A ce jour, même si le gouvernement a mis en place une stratégie consistante pour juguler les effets de la guerre russo-ukrainienne et ceux d’un marasme économique structurel, le déficit de communication ne nous permet pas de savoir ce qu’il en est réellement et les agissements « révolutionnistes » de certains hauts responsables inquiètent plutôt qu’ils ne rassurent.
La Tunisie a aujourd’hui besoin plus que jamais d’un contrat de confiance ; un contrat de confiance avec l’Administration et entre l’Etat, l’Administration, les partenaires sociaux, les créateurs de richesses et le peuple ; un contrat de confiance pour que les Tunisiens reprennent leur foi en leur pays, sans crainte et sans contrainte.
Une lueur dans la nuit toutefois : la conclusion d’un accord avec la centrale syndicale pour une augmentation salariale de 3,5% qui s’étale sur 3 ans et touche environ 680 000 employés du secteur public et de la fonction publique. Un accord salvateur qui balise le terrain pour une stabilité sociale indispensable à la Tunisie et qui permettrait aux décideurs publics d’exercer leurs rôles de planificateurs et de stratèges au lieu de jouer tous les jours que Dieu fait aux sapeurs-pompiers afin d’éviter toute tension sociale.
Croisons les doigts
Amel Belhadj Ali