“Les pas jusque-là franchis par la Tunisie en matière d’énergies renouvelables s’apparentent plus à une expansion énergétique qu’à une transition énergétique. Les orientations retenues dans ce domaine risquent de creuser davantage les inégalités existantes, s’éloignant ainsi du modèle de transition juste”, estime l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE), dans une analyse intitulée “Les énergies renouvelables en Tunisie : une transition injuste”, rendue publique récemment.
Tous les secteurs concernés
Le concept “transition juste” a été introduit dans les discussions mondiales sur la transition énergétique. Ce concept préconise une transition équitable vers une économie écologiquement durable, équitable et juste pour tous ses membres. Il soutient l’approche de transformer la façon dont l’énergie est utilisée et pensée et exige des transformations profondes dans chaque secteur.
La transition énergétique doit être mise en œuvre avec précaution afin de ne pas reproduire ni creuser les inégalités existantes. L’idée d’une transition juste met donc l’accent sur la question de la démocratie, ainsi que sur les questions de souveraineté sur les biens publics et l’environnement (entre autres), lit-on dans cette analyse.
Ainsi, “se concentrer sur les intérêts des communautés dans la mise en place d’une transition énergétique implique de s’éloigner du système financier actuel, basé sur le profit, afin de prendre en compte d’autres dimensions. Selon le cadre de la transition juste, une véritable solution ne peut se contenter de s’attaquer à un seul aspect du changement climatique comme les sources d’énergie et négliger les secteurs sociaux et environnementaux qui peuvent dépendre de ces sources de diverses manières. Il est impératif de s’éloigner des visions et objectifs étroits et d’envisager la manière dont les énergies renouvelables doivent être développées”.
Des politiques climatiques trop ancrées dans un cadre capitaliste
L’OTE estime, par ailleurs, que les politiques climatiques conçues par la Tunisie au cours des dernières décennies n’ont pas réussi à apporter les changements nécessaires, car elles restent ancrées dans un cadre capitaliste qui impose la recherche d’une croissance illimitée et qui donne priorité au profit privé.
Il épingle ainsi “des limites en termes de prise de décision démocratique, en raison de l’influence d’acteurs non nationaux et d’un manque de consultation des autres parties prenantes (comme l’UGTT ou les communautés locales). Cela a conduit à l’adoption de la loi de 2015, qui encourage la privatisation, y compris sous forme de partenariat public-privé (PPP), inscrivant fermement la Tunisie dans le schéma néolibéral mondial en matière de développement des énergies renouvelables”.
“Cela signifie que la stratégie à court terme adoptée par les gouvernements successifs au cours de la dernière décennie, en choisissant d’investir dans les PPP plutôt que dans les services publics, vise davantage à attirer les investisseurs privés (et surtout étrangers) et à garantir leurs profits – malgré la charge financière à long terme que cela pourrait induire – qu’à favoriser le développement local”.
Les auteurs de cette analyse vont jusqu’à dire que “les droits des communautés sont négligés, avec des effets allant d’un accès insuffisant à l’électricité à la dépossession des terres, en particulier pour les personnes vivant dans des régions déjà marginalisées. Ce cadre continue de favoriser les acteurs des régions relativement privilégiées, tandis que les zones appauvries sont encore plus marginalisées et dépossédées de leurs ressources”.
Cette accent mis, la plupart du temps, sur le profit et le court terme, explique, selon eux, pourquoi les dispositions relatives à la protection de l’environnement naturel sont insuffisantes. La priorité étant accordée à la réalisation de grands projets à tout prix, les besoins des populations locales et de l’environnement sont insuffisamment pris en compte, et les conditions requises pour leur intégration économique dans l’économie nationale ne sont pas garanties, s’alertent encore les auteurs de l’analyse.
Pour une appropriation sociétale de la transition énergétique
L’OTE a laissé entendre, dans son analyse, qu’une alternative aux modèles jusqu’ici développés est indispensable. Elle devrait intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans les politiques climatiques. Cela pourrait se faire par une approche axée sur les biens publics et la propriété publique, si elle était portée par des institutions responsables précisément dans le cadre de la démocratie énergétique et dans le cadre ” d’une participation et d’un contrôle populaires authentiques”.
“Une transition juste donnerait aux ménages et aux communautés les moyens de produire leur propre électricité grâce à des projets photovoltaïques à petite échelle, ce qui réduirait les besoins en capital et en connaissances et favoriserait le développement d’acteurs locaux générateurs d’emplois. Les gouvernements locaux pourraient promouvoir l’installation de systèmes photovoltaïques à petite échelle par des entreprises locales afin de rompre avec le renforcement actuel des inégalités régionales”, concluent les auteurs de l’analyse.