Eradiquer l’économie informelle devrait être le premier pas sur la voie de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. A défaut, toute démarche dans ce sens sera vaine, a affirmé, mardi à Tunis, Sami Slama, expert en conformité et lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA/FTP) en Tunisie et en Afrique.
Dans une déclaration à l’agence TAP, lors d’une rencontre de sensibilisation sur le thème ” Prévenir les risques de non-conformité pour les établissements financiers : De la contrainte à l’opportunité “, l’expert a expliqué que ” la forte dépendance au cash et l’ampleur prise par l’économie informelle dans les pays africains, entravent la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme “.
“En Tunisie, l’économie informelle représente plus de 40% de l’économie nationale et échappe ainsi, à tout contrôle, ce qui favorise fortement le blanchiment d’argent et le financement de terrorisme “.
A l’échelle du continent africain, l’expert a estimé que l’absence de base de données ou de statistiques sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, affaiblissent les politiques de lutte dans ce sens.
Il a également épinglé, une quasi-absence d’un cadre réglementaire traitant des actifs virtuels (crypto-monnaie). L’Afrique a reçu entre juillet 2020 et juin 2021 un montant total d’actifs virtuels s’élevant à 106 milliards de dollars américains, dont 2 et 3% sont de l’argent blanchi (escroquerie, fonds volés, dark net, fraude, ransomwares, abus sur mineurs…).
Il recommande, ainsi, aux pays africains dont la Tunisie de mettre en place un cadre législatif et réglementaire relatif aux actifs virtuels, pour un meilleur suivi de ces actifs sur les territoires nationaux.
Il évoque l’absence de liste de sanctions nationales dans certaines juridictions, la lenteur et l’inefficacité de la mise en œuvre de registres de bénéficiaires effectifs qui continuent de fournir des refuges sûrs pour l’argent blanchi, le manque de qualification des entreprises et professions non financières désignées (EPNFD) (avocats, comptables, notaires, agents immobiliers et autres entreprises et professions non financières) en matière de LBA/FTP…
Slama considère par ailleurs que l’absence de formations universitaires en la matière et la difficulté pour les institutions financières de mettre en œuvre les politiques et les procédures en matière de LBA/FTP en raison d’un manque de sensibilisation sur la transversalité de ce processus, fragilisent davantage les dispositifs de gestion et de traitement des transactions suspectes.
Tunisie : Un plan de réformes assez structurel mais…
Slama a souligné que la Tunisie a mis en place un plan de réformes assez structurel en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ce qui lui a valu la sortie de la liste grise du GAFI en 2019.
Ce plan s’est articulé essentiellement, autour de la refonte de la réglementation applicable au secteur bancaire et financier les plus exposés aux risques de blanchiment d’argent et de financement de terrorisme, la création d’un Registre national des entreprises (RNE) qui identifie les bénéficiaires effectifs et permet d’éviter les sociétés écrans.
Ce plan englobe aussi, l’instauration de la Commission nationale de lutte contre la corruption qui est responsable de l’identification, la mise à jour et le partage d’une liste de sanctions nationales qui constitue une exigence du GAFI.
A ce titre, Slama fait savoir que ” la CTAF se penche actuellement sur l’élaboration d’une évaluation nationale des risques avec une déclinaison sectorielle et par produit. Le rapport de cette évaluation sera bientôt publié, ce qui permettra aux institutions financières de mieux calibrer la gestion de leurs risques “.
Parallèlement à cette démarche entreprise par l’Etat, les institutions financières tunisiennes sont appelées, selon Slama, à renforcer leurs dispositifs LBA/FTP et être en ligne avec les exigences des questionnaires internationaux et notamment le Wolfsberg Group et à définir une approche proactive pour l’identification et l’évaluation des risques.
Elles doivent aussi, procéder à l’adoption d’un audit périodique annuel du dispositif LBA/FTP qu’il soit interne ou externe, lequel doit être réalisé par des ressources hautement qualifiées et couvrir tous les éléments obligatoires.
Il a en outre, recommandé la mise à jour régulière des solutions SI (système d’information) et le renforcement de la couverture des risques, tout en veillant à minimiser les alertes non pertinentes.
Cette rencontre est organisée par le Conseil Bancaire et Financier en collaboration avec le cabinet d’avocats international spécialisé, ASHURST LLP.