Un regard d’ensemble sur l’évolution de l’économie tunisienne, parallèlement aux négociations en cours entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention de nouvelles facilités de paiement, montre que les conditionnalités du Fonds ont été en grande partie satisfaites avant même l’octroi du prêt.
Pour mémoire, les exigences du Fonds portent sur 5 principaux dossiers : réduction du déficit budgétaire à travers une fiscalité équitable, maîtrise de la masse salariale, meilleur ciblage des subventions, réforme des entreprises publiques, renforcement de la concurrence et amélioration du climat des affaires.
Plusieurs indices attestent que le gouvernement tunisien est en train d’honorer les engagements pris pour entreprendre plusieurs réformes –qui peuvent s’avérer douloureuses- comme le souhaite le Fonds.
Ces réformes concernent principalement la réduction des subventions dédiées à l’énergie, la lutte contre l’inflation à travers l’augmentation des taux directeurs de la Banque centrale, la réduction des effectifs de la fonction publique et l’adaptation à la flambée des prix.
Des réformes qui ne servent pas l’économie du pays
Malheureusement, les conditionnalités auxquelles le gouvernement tunisien est en train de répondre favorablement ne serviraient pas -en l’absence des conditionnalités de l’amélioration de l’environnement des affaires et de la prise d’initiatives encourageant la concurrence- l’économie du pays.
Elles pèchent par le fait qu’elles augmentent le coût du loyer de l’argent, le coût de l’énergie et, partant, le coût de la vie. Entendre par là que la satisfaction des exigences du FMI pénaliserait, pour le moment, deux moteurs de la croissance, l’investissement et la consommation.
Le premier indice de la satisfaction des conditionnalités du Fonds n’est autre que la réduction des subventions des carburants. En l’espace de 10 mois de l’année 2022, le gouvernement tunisien a procédé à quatre augmentations du prix du carburant : le 1er février, le 1er mars, le 14 avril et le 17 septembre 2022. Selon nos informations, une autre augmentation est prévue d’ici la fin de l’année.
Pour mémoire, le prix du litre d’essence et de gasoil a augmenté 16 fois depuis 2010. A titre indicatif, le prix du litre d’essence est passé de 1 370 millimes en 2010 à 2 730 millimes en 2022.
L’augmentation du prix du carburant n’est pas une simple majoration. Elle a pour spécificité d’être transversale dans la mesure où elle touche tous les secteurs d’activité avec l’effet d’entraînement perceptible à travers l’augmentation des prix de tous les produits non encadrés. C’est ce qui explique que l’inflation générée par ces produits avoisine les 20% contre 9,1% pour les produits encadrés.
Le deuxième indice a trait à l’augmentation du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) à deux reprises cette année : une première fois le 17 mai 2022 à hauteur de 75 points de base, le portant ainsi de 6,25% à 7%, et une deuxième fois le 5 octobre 2022, à hauteur de 25 points de base. Et d’après nos sources, compte du trend haussier de l’inflation, dans un mois au plus tard, la Banque centrale procèdera à une nouvelle augmentation.
Pour mémoire, la BCT a augmenté 14 fois le taux d’intérêt directeur depuis 2011. Là aussi l’augmentation du loyer de l’argent a une dimension horizontale. Elle touche le pouvoir d’achat des contribuables et rend difficile l’accès aux financements dédiés à l’investissement.
Pourtant, l’inflation, qui a justifié cette augmentation du taux directeur, est en grande partie importée par l’effet de la flambée à l’étranger des cours des hydrocarbures, des denrées alimentaires, des matières premières et autres biens d’équipement. Les biens de consommation ne représentent qu’environ 5% des importations.
L’Etat aurait fait l’économie de 200 000 emplois depuis 2017
S’agissant de la conditionnalité relative à la réduction du poids de la masse des salaires dans le PIB et sa conséquence, la réduction des effectifs pléthoriques dans la fonction publique, la Tunisie a entamé cette réforme et continue à le faire, depuis le gouvernement de Youssef Chahed (2016-2020). On l’oublie souvent malheureusement.
Cette réforme a été articulée, depuis 2017, autour de quatre axes : suspension des recrutements dans la fonction publique, non remplacement des départs à la retraite et incitation à la retraite anticipée. La conséquence de cette décision est perceptible, cette année, à travers les 400 000 élèves –bien 400 mille- qui n’ont pas encore d’instituteurs ou de professeurs parce que l’Etat refuse de recruter dans la fonction publique.
Avant 2011, le gouvernement recrutait dans la fonction publique en moyenne quelque 18 000 fonctionnaires par an, et remplaçait, régulièrement, ceux qui partaient à la retraite. Si on s’amuse à faire le calcul des emplois non créés depuis 2017 jusqu’en 2022, et ceux supprimés par l’effet des décès (20 000 par an) et des départs à la retraite et non remplacés, on peut les estimer à plus de 200 000.
Il va de soi que ce chiffre approximatif est confectionné par recoupement dans la mesure où ni le gouvernement ni le FMI n’ont jamais communiqué sur le sujet.
La dernière conditionnalité, qui serait en train d’être satisfaite, porte sur la réduction de la compensation. Ainsi, d’après l’INS (Institut national de la statistique), tous les prix des produits ont connu, cette année, un trend haussier inégalé. L’inflation est estimée en ce mois d’octobre 2022 à 9,1% pour les produits encadrés et à plus de 15% pour les produits non encadrés. Selon les experts, elle connaîtrait de nouvelles hausses dans les semaines à venir. Cette situation a généré des flambées des prix et le non payement des secteurs subventionnés. C’est le cas de l’agroalimentaire auquel l’Etat devrait un montant 600 millions de dinars (MDT) au titre des subventions.
Tout se passe comme si on entraînait la population tunisienne à s’acclimater à la hausse des prix et à oublier les subventions.
Cela pour dire qu’en l’absence des réformes à même de booster l’investissement et la croissance (réforme fiscale, amélioration du climat d’affaires, suppression des monopoles et accroissement de la croissance), la situation est peu reluisante. C’est une situation inflation/récession similaire à la stagflation. Selon l’économiste Ridha Ckoundali, «cette situation économique d’un pays, caractérisée par la stagnation de la production et par l’inflation des prix, serait la pire des choses qui puisse arriver à une économie».