La production de l’hydrogène vert est un vrai enjeu pour la Tunisie, dont la transition énergétique peine encore à se traduire dans les faits. Cet enjeu n’est pas, en effet, sans risques, sur les plans social et écologique et ces risques devraient être bien étudiés avant de s’engager sur cette voie, ont laissé entendre les intervenants à une rencontre, tenue, mercredi, à Tunis, autour de la thématique :”Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène vert en Tunisie, à qui les bénéfices?”.
Cette rencontre est tenue par la fondation Heinrich-Böll-Stiftung en collaboration avec le groupe de réflexion “Initiative de réforme arabe” (Arab Reform Initiative-ARI), dans le cadre de l’exposition intitulée “Energy in transition-Powering Tomorrow”, organisée par l’ambassade d’Allemagne à Tunis.
La journaliste et chercheuse, Aïda Delpuèche, auteure d’un rapport intitulé “Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène vert en Tunisie, à qui les bénéfices”, publié mercredi 12 octobre 2022, estime que “la production de l’hydrogène vert en Tunisie impliquerait la construction de mégaprojets d’énergies renouvelables à la fois solaires et éoliennes. Ces projets ne sont pas sans risques environnementaux, sociaux et économiques sur les populations qui les accueilleront.
Les intérêts financiers et économiques risquent de cacher les répercussions de ces projets sur la qualité des sols et les ressources en eau. En effet, pour produire un kilo d’hydrogène vert, il faut entre 18 et 24 litres d’eau pure. Cette eau va être issue du dessalement avec les impacts que cela pourrait avoir sur la biodiversité marine et la concurrence que cela impliquerait avec des besoins plus importants tels que l’irrigation”.
Impact des mégaprojets sur les populations
“Des études menées par de chercheurs du Golfe évoquent par ailleurs la possibilité que les rejets des saumures contribueraient au réchauffement des eaux de la Méditerranée. S’ajoute à cela les conséquences très néfastes que pourraient avoir les mégaprojets sur les populations locales (accaparement des terres, nuisances sur la qualité des sols, nuisances sur la santé, incidences sur les ressources en eau..) et les injustices sociales qu’ils pourraient aggraver”.
Et d’ajouter “il est très probable, même presque sûr, qu’une très grande partie de l’hydrogène produit sera voué à l’exportation. Cette question de l’exportation n’est pas sans soulever des questions en relation notamment avec la perpétuation de certains modèles extractivistes”.
Toujours selon elle, des zones d’ombre persistent sur ce que la Tunisie veut faire avec l’hydrogène vert et encore sur le mémorandum d’entente signé entre la Tunisie et l’Allemagne et qui n’a pas été rendu public.
Un mémorandum d’entente portant sur la mise en place d’une alliance tuniso-allemande de l’hydrogène vert (Power-to-X) a été signé en décembre 2020 entre la Tunisie et l’Allemagne, en vertu duquel un don allemand de 30 millions d’euros sera accordé à la Tunisie pour favoriser l’émergence d’une industrie tunisienne de l’hydrogène vert.
Il faut oser
De son côté, Nidhal Attia, coordinateur de programme (HBS Tunis), a évoqué l’engouement mondial pour l’hydrogène vert, souvent présenté comme un vecteur qui peut permettre d’accélérer la décarbonisation de certains secteurs comme l’industriel, ou ceux de production chimique et des transports lourds.
“La Tunisie a jusque-là échoué à traduire sur le terrain ses stratégies en matière de transition énergétique et de développement durable. Il y a des enseignements à tirer de ces deux échecs, qui coûtent énormément sur le plan économique mais aussi en termes de qualité de vie”.
Attia considère que le premier risque serait de ne pas s’intéresser aux risques. “Jusque-là les débats sur l’hydrogène vert se focalisent sur l’éloge de cette technologie sans traiter les risques qui y sont liés”.
Pour lui “il serait important dans le cadre d’une Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène vert en Tunisie de bien étudier les risques environnementaux, sociaux et économiques, de prioriser la production pour les besoins nationaux et de permettre aux populations locales de prospérer”.
“La question n’est pas d’être pour ou contre la production de l’hydrogène vert, mais de bien étudier les risques et les opportunités que cela implique”.
Interrogations
Le chercheur associé à l’Arab Reform Initiative “ARI”, Zied Boussen, estime, lui, que “la question de l’hydrogène vert est particulièrement problématique en Tunisie. Nous sommes face à un Etat qui conclut un accord sur l’introduction d’une nouvelle industrie sans avoir conduit aucune étude d’impact environnemental ou social, et sans réponse aucune aux enjeux techniques que cela impliquerait en termes de production, de transport et de stockage, de mobilisation du foncier. On ne sait pas non plus si une partie de l’hydrogène vert produit va être destinée ou marché local ou si cela va être totalement exporté et si notre industrie et notre agriculture sont suffisamment mises à niveau pour être en mesure d’utiliser l’hydrogène vert et ses dérivés”.
“Il s’agit également d’une voie qui engage l’avenir du pays, mais qui a été empruntée sans consultation publique et sans consultation avec la société et en l’absence du ministère de l’Environnement. On n’a non plus d’idées sur les liens possibles entre la stratégie sur l’hydrogène vert et celle sur les énergies renouvelables”.
Et de conclure: “Il ne s’agit pas là d’un enjeu technique ou énergétique seulement mais d’un enjeu démocratique et de gouvernance”.
Et si le risque était de ne pas prendre de risque?
Tanja Faller, cheffe Cluster Energie et climat à la GIZ, estime, quant à elle, que le principal risque qu’encourt la Tunisie c’est de ne pas prendre de risque, de stagner en terme de transition énergétique et de rester dépendante en termes de sécurité énergétique.
Elle a souligné à cet effet que “la coopération tuniso-allemande se fait dans la transparence la plus totale, tout en étudiant les risques et les opportunités qui se présentent pour chacune des parties”.