S’il y a une réforme où la crédibilité du gouvernement sera mise à rude épreuve, ce sera bien sa capacité à honorer l’engagement pris auprès du FMI pour améliorer la concurrence en Tunisie. D’après les experts, le programme présenté, à cet effet, ne serait pas solide.
Dans son programme de réformes présenté au FMI dont une copie fuitée est parvenue à webmnagercenter.com, le gouvernement tunisien s’est engagé à exécuter une stratégie en 4 points pour améliorer la concurrence entre producteurs et commerçants.
Il s’agit de réduire les barrières à l’accès aux secteurs de production en assouplissant les critères d’entrée restrictifs, de réaliser des investigations et des enquêtes de pratiques anticoncurrentielles, de sensibiliser les opérateurs économiques aux bienfaits de la concurrence loyale et de renforcer le fonctionnement et les moyens des autorités de la concurrence.
Les propositions du gouvernement ne seraient pas solides
On l’aura compris, il est plus question de promesses vagues que d’actions concrètes tendant à mettre fin au non accès de larges pans du monde des affaires à certains secteurs verrouillés par l’effet de l’existence d’oligopoles et de monopoles publics et privés surprotégés par des lois sur mesure.
La stratégie gouvernementale présentée au FMI reprend à la lettre les conclusions d’un rapport sur les réformes pro-concurrentielles élaboré en avril 2022, à la demande des autorités tunisiennes, en partenariat avec l’Union européenne et l’OCDE.
Les recommandations publiées officiellement suggèrent le renforcement des ressources des structures en charge de la concurrence (le ministère du Commerce et le Conseil de la concurrence), la nécessité de clarifier les attributions de chaque structure, l’élaboration d’études pour identifier les barrières érigées pour dissuader la libre concurrence, la diffusion de la culture de la concurrence auprès des acteurs économiques et la promotion des qualifications des cadres et agents chargés d’appliquer la politique et la réglementation sur la concurrence.
En somme, il s’agit d’actions en amont que la Tunisie aurait pu entreprendre et promouvoir avec ses propres moyens et structures de formation sans recourir à cette assistance technique tapageuse de l’OCDE et de l’UE.
Autre indice du peu d’intérêt que le gouvernement accorde à la concurrence : le Conseil supérieur de la concurrence est sans directeur général depuis des mois alors que la spéculation et autres dérapages battent leur plein dans le pays.
Le gouvernement cacherait la vérité
La principale conclusion qu’on peut tirer de ces manœuvres du gouvernement, c’est qu’il n’est pas convaincu de la libre concurrence et même de la concurrence dans son acception la plus basique. Au même moment, les analystes et experts considèrent que s’il y a une réforme prioritaire et urgente pour la relance de l’économie tunisienne, c’est bien l’ouverture des secteurs productifs à la concurrence.
Pour mémoire, Jalloul Ayed, ministre des Finances du gouvernement Béji en 2011, estime que le mal de l’industrie tunisienne réside dans la persistance de lois scélérates adoptées au temps des anciens régimes des beys, de Bourguiba et de Ben Ali, à la mesure des intérêts de castes proches du pouvoir. « Ces législations empêchent, aujourd’hui, l’accès des investisseurs privés à pas moins de 25 secteurs ». C’est énorme.
Le relayant récemment, l’économiste Sami Aouadi assure que « la concurrence n’existe pas dans le secteur privé national ». Selon lui, « les entreprises locales évoluent dans un système protectionniste excessif où l’argent est facile, la protection est facile, et où la concurrence n’existe pas».
Le droit de la concurrence n’est pas appliqué en Tunisie
Pour sa part, de passage à Tunis pour présenter le rapport précité sur la concurrence en Tunisie (avril 2022), Fredric Jenny, président du comité de la concurrence à l’OCDE, a révélé dans une interview accordée à un magazine de la place les insuffisances que le gouvernement tunisien n’a pas divulguées en public.
Premièrement, le droit de la concurrence en Tunisie ne respecte pas trois éléments basiques : il ne combat pas l’économie de rente qui perdure, tolère l’exclusion d’agents économiques et le verrouillage des secteurs, et enfin ne favorise pas l’attraction d’investissements étrangers.
Autres tares signalées par le haut responsable de l’OCDE :
– une faible conscience de l’intérêt de la concurrence et de l’objet du droit de la concurrence dans la société tunisienne, qu’il s’agisse de la communauté des affaires ou de l’administration ;
– la non-indépendance du Conseil de la concurrence qui relève du ministère du Commerce – ce conseil étant chargé de l’application du droit de la concurrence ;
– l’absence de sanctions par l’effet d’une réglementation molle – même quand elles sont décidées, ces sanctions mettent du temps à être exécutées en raison des recours qui peuvent prendre plusieurs années.
Au regard de ces non-dits sur lesquels le gouvernement Najla Bouden n’a pas voulu communiquer, on peut avancer qu’en matière d’application du droit de la concurrence, l’équipe gouvernementale (une équipe de technocrates) est sous-informée et sous-outillée pour mettre en œuvre cette réforme. Il faut une forte volonté politique pour faire bouger les lignes.
Abou Sarra