L’expert auprès de l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), Karim Trabelsi, estime nécessaire de relever la tranche de revenu exonérée totalement de l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) de 5 000 dinars actuellement à 7 000 dinars.
Intervenant lors d’une table ronde sur “La justice fiscale, un enjeu de survie à la portée de la Tunisie”, organisée lundi 7 novembre 2022 par l’association Al Bawsala, Trabelsi a souligné qu’un revenu de 7 000 dinars par an représente le nouveau seuil de pauvreté en Tunisie, tel que “déterminé par le gouvernement et les organisations internationales”.
Réforme du barème de l’impôt..
Selon lui, “la réforme du barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, constitue la première des priorités pour l’UGTT, dans la liste des réformes fiscales, eu égard à la cherté de la vie”.
Il a assuré que “l’élargissement de la base de cette première tranche a fait l’objet d’un accord avec le gouvernement au cours de dernières négociations, tout en reportant les négociations techniques y afférentes à une date ultérieure, en raison du coût que devra supporter l’Etat”.
Présenter le projet de la loi de finances 2023 aux partenaires sociaux
Le représentant de l’UGTT a par ailleurs appelé le gouvernement à porter le projet de loi de finances pour l’exercice 2023 à la connaissance des partenaires sociaux, avant qu’il ne soit paraphé par le chef de l’Etat, pour leur permettre d’interagir avec les mesures fiscales qu’il contient et de présenter des propositions et/ou contre-propositions pour les améliorer.
“Il faut publier d’urgence le projet de réforme fiscale considéré comme faisant partie du projet de réforme que le gouvernement est en train de négocier avec le FMI. Il faut aussi, lancer un dialogue avec les organisations, notamment l’UGTT et l’UTICA”, a-t-il souligné.
Absence de transparence et de reddition de comptes
Il estime qu’il y a manque de transparence et de reddition de comptes au niveau des structures de l’Etat, en ce qui concerne les données et les procédures fiscales.
Trabelsi propose également de réviser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont l’application est inéquitable, considérant qu'”il faut que cette taxe indirecte soit progressive, selon les tranches de revenus, avec la possibilité d’exonérer les familles défavorisées sur présentation du carnet de soin gratuit”.
Un nouveau barème de l’IRPP de 16 tranches
De son côté, le fiscaliste, Amine Bouzaiene, a demandé l’adoption d’un nouveau barème de l’IRPP comprenant 16 tranches au lieu de 5 actuellement, expliquant que cela va permettre de redistribuer l’effort fiscal entre les différentes catégories sociales, sans en faire supporter la charge seulement à la classe moyenne. “Il s’agit aussi de pousser les catégories à revenu élevé à payer davantage d’impôts”.
25 milliards de dinars de pertes pour l’Etat
Bouzaiene appelle également à lutter contre l’évasion et la fraude fiscales en Tunisie qui coûtent à l’Etat 25 milliards de dinars (43,3% du budget 2022).
Il déconseille à la direction générale des impôts d’adopter une politique d’austérité, l’incitant à renforcer ses ressources humaines pour pallier au manque d’inspecteurs et investir dans la logistique et la technologie.
Il considère important de revoir la contribution des entreprises à l’effort fiscal surtout que les recettes provenant de l’impôt sur les sociétés ne dépassent pas 4,1 milliards de dinars, selon la loi de finances 2022, soit 11,7% des recettes fiscales. Ces recettes sont trois fois inférieures à l’IRPP.
Rétablir le taux d’imposition des entreprises de 25%
Selon lui, il serait nécessaire de rétablir le taux d’imposition sur les sociétés à 25% contre 15% actuellement (il a été réduit de 29 points depuis 2014), et ce pour mobiliser des ressources pour l’Etat et retrouver l’équilibre entre l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu.
Réviser le système des avantages fiscaux
Par ailleurs, il estime nécessaire de réviser le système des avantages fiscaux qui coûte à l’Etat plus de 5 milliards de dinars (soit environ la moitié du déficit budgétaire pour 2022), dépassant la contribution des entreprises à l’effort fiscal, sans que la contrepartie sur le plan social de ces avantages ne soit effectivement prouvée.
Quid de l’impôt sur la fortune?
Pour lui, la mise en place d’un impôt sur la fortune est un mécanisme efficace pour mobiliser des ressources pour l’Etat et réduire les écarts flagrants, étant donné que 1% des tunisiens les plus riches détiennent le quart des richesses du pays et que 10% des Tunisiens les plus riches possèdent 85,2% de ces richesses alors que le reste de la population n’en possède que 4,8%.
Il propose la création d’un impôt sur les grandes fortunes comme levier pour le renforcement des ressources propres de l’Etat. Lequel impôt devrait cibler les 10% de Tunisiens les plus riches d’une façon progressive et doit s’appliquer à un taux plus élevé à la tranche de 1% des Tunisiens les plus riches.
Faire attention au populisme
Réagissant à cette proposition, le représentant de l’UTICA, Chiheb Slama, a fait remarquer que l’instauration d’un impôt sur la fortune n’a pas fait preuve d’efficacité sous d’autres cieux, ce qui a contraint des pays comme la France et les Etats-Unis à l’abandonner. Il n’est pas certain de “la bonne application de ce genre de mesures”, appelant à rompre avec le populisme.
Des réformes fiscales qui encouragent l’investissement
Slama considère que la loi de finances 2023 doit comporter des réformes fiscales qui encouragent l’investissement national et étranger, et que l’objectif de cette loi ne doit pas être seulement de mobiliser des ressources pour l’Etat.
Il a indiqué que la justice fiscale tant attendue en Tunisie ne pourrait être atteinte qu’en intégrant le secteur informel qui représente plus de 50% de l’économie, aux circuits organisés et en repensant l’imposition des professions libérales dans le sens d’une meilleure adéquation entre les niveaux d’imposition du capital et du revenu.