La scène politique tunisienne est pourrie par les confusions de rôles et les mélanges de genres : les partis politiques jouent aux larbins de la centrale syndicale ; les journalistes se prennent pour des politiciens, et les dirigeants syndicaux se croient des faiseurs de roi. Il est temps que cette gabegie cesse une fois pour toute.
Par Khaled Férid Bensoltane*
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) n’est pas un parti politique pour s’immiscer dans les décisions du président de la République. C’est une organisation syndicale dont la mission est de défendre les intérêts de ses adhérents. Point à la ligne. Et puis, cette organisation ne semble plus bénéficier de la même considération politique parmi les citoyens.
L’initiative de Noureddine TABOUBI et de ses camarades, lancée depuis novembre 2020, pour un dialogue national n’a pas été retenue, et le président Kaïs SAIED a continué de faire cavalier seul, sans concertation et sans négociation avec l’UGTT et les partis politiques.
Le «rôle historique» de l’UGTT ne l’habilite pas à dominer la scène politique
Qu’on arrête de dire que l’UGTT a joué un «rôle historique» dans la libération de la Tunisie du joug du colonialisme français. En France, la CGT, organisation syndicale des ouvriers, majoritaire en 1940, et le Parti communiste français ont perdu des centaines de patriotes dans leur lutte contre l’occupant allemand (300 cégétistes ont été fusillés dans la seule ville de Nantes) et 900 disparus.
Après la libération, la CGT a retrouvé sa vocation première de syndicat des travailleurs et le Parti communiste sa fonction de parti politique. Dans leurs actions, ces deux institutions n’ont jamais évoqué le rôle qu’elles ont joué pendant l’occupation, à la différence de l’UGTT qui nous sort toujours la même chanson pour justifier sa volonté de domination de la scène politique. Ses dirigeants ont certes été des nationalistes, mais ils ont accompli leur devoir envers la nation, mais cela ne leur donne pas le droit de s’immiscer dans les choix et les décisions politiques du chef de l’État.
L’État doit cesser d’être un agent de recouvrement au profit de l’UGTT
L’UGTT est un partenaire dans les négociations salariales, un point final. Et l’État doit cesser d’être un agent de recouvrement des cotisations des adhérents de l’UGTT pour les verser ensuite à l’organisation. Il appartient à cette dernière, à travers ses délégués syndicaux et ses bureaux locaux et régionaux -elle en a partout dans le pays- de recouvrer les cotisations syndicales.
En France, l’un des berceaux du syndicalisme, les grandes centrales syndicales (CFDT, CFDT-FO, CGT et CFTC) procèdent elles-mêmes au recouvrement des cotisations de leurs adhérents, sans aucune intervention étatique.
Il faut bien que cesse un jour ce détestable mélange des genres qui fait que les différents acteurs de la scène confondent leurs rôles respectifs : les partis politiques jouent aux larbins de la centrale syndicale ; les journalistes se prennent pour des politiciens, et les dirigeants syndicaux se croient des faiseurs de roi.
* Universitaire, spécialiste de droit public et international, écrivain-journaliste d’investigation.