Ils étaient tous là, à Djerba. Ils se sont vus mais, hélas!, ne se sont pas rencontrés. Une (vraie) perspective commune d’intégration économique en Francophonie n’a pas émergé.
A Djerba, la Francophonie a retrouvé un deuxième souffle. Deux événements majeurs ont émaillé ce rendez-vous international. Cependant, cette rencontre, qui est parvenue à connecter les francophones entre eux, n’a pas, en fin de parcours, touché le Sommet. Le résultat global reste mitigé.
Un dialogue pas encore uniforme
Il y a eu le “Sommet du numérique“. Et on repart avec le sentiment qu’un déclic de convergence a été initialisé et qu’une dynamique collective de numérisation pourrait lever.
Ensuite, il y a eu le “Sommet économique“ qui a soulevé d’énormes espoirs et beaucoup d’attente dans ce contexte mondial décevant et tendu. Suprême contrariété, durant le Sommet, le réflexe collectif n’a pas joué. Et on décèle que les intérêts nationaux ont pris le dessus. La touche solidaire a manqué. Pourtant, on pensait que l’occasion était belle pour prospecter les voies de la synergie et même de la recherche d’une masse critique entre Francophones.
Imaginez le potentiel de force de vente que l’on pourrait aligner. Dommage, les choses ne se sont pas déroulées comme l’on aurait aimé qu’elles coalisent. Alors l’on s’interroge si la Tunisie, laquelle aura la responsabilité de l’agenda francophone pour les deux années à venir jusqu’à la tenue de la 19ème édition du Sommet, en 2024, aura la patience et l’ascendant nécessaire pour rectifier le tir et faire en sorte qu’il soit groupé.
La tentation européenne du Re-Shoring
Le monde vit avec les stigmates pénibles de la crise du Covid-19. Cette maudite pandémie nous a éveillés au réflexe de la “souveraineté économique“ et de l’“indépendance commerciale“.
C’est terrible ce coup de massue qui s’est abattu sur nos têtes en agitant le spectre de la pénurie et de la difficulté d’approvisionnement en médicaments, en énergie et en nourriture.
En paraphrasant Winston Churchill, on peut affirmer que « jamais auparavant, le sort d’autant de gens n’a été en dépendance d’un si petit nombre » (Never was so much owed by so many to so few)*.
Le monde, sous l’euphorie de l’ouverture, a tablé sur la carte passagèrement bénéfique de la Chine comme usine du monde. Les industries, des plus courantes aux plus sensibles, furent délocalisées en Asie et principalement en Chine. Il est vrai qu’un vaste bassin de consommation était en pleine éclosion, cependant Européens et Américains s’y sont déportés à une échelle inconsidérée.
On cite à titre d’exemple la délocalisation de l’industrie des microprocesseurs. Au courant des années 2010, l’Europe, qui fabriquait 40% de ses besoins en microprocesseurs à domicile, se retrouve en 2020 avec une proportion résiduelle de seulement 10%. Taiwan régente cette industrie quasi exclusivement. Et cela compromet le redémarrage de l’industrie automobile car l’offre de microprocesseurs est à la peine.
L’Europe envisage un plan de Re-Shoring, mais l’ennui est qu’elle ne veut pas que ce repli soit massif. Elle voudrait garder un pied en Asie, du fait que c’est un marché conséquent. Et ne pouvant contenir dans son espace géographique tout le reflux d’investissement, elle souhaite qu’il y ait co-développement de proximité. L’Afrique du Nord se présente comme la zone idéale d’accueil. L’espace francophone s’égosille à se défendre sa cause et à appeler à une répartition équitable, mais l’Europe ne se décide toujours pas.
L’offensive canadienne
Dans ce tumulte et cette course à l’investissement, le Québec, avec ses mensurations physiques, économiques et financières impressionnantes, souhaite rafler la mise à son avantage.
La province francophone canadienne étant en libre-échange avec les trois principaux du monde, à savoir l’Amérique du Nord (ALENA), l’Union européenne (UE) et l’ASEAN, soit trois espaces de 500 millions de consommateurs chacun, se voit comme la zone élue pour recueillir le flux du Re-Shoring européen et également américain.
A n’en pas douter, l’offre canadienne si bien drapée de rationalité économique n’en est pas moins une offre individualiste.
L’esprit de Djerba a été mal assimilé par les partenaires canadiens, trop enclins à user de l’esprit d’aubaine alors qu”il s’agit de construire un radeau de la méduse où chacun pourrait y trouver sa part. Une juste récompense en somme.
Réanimer l’esprit du “Vivre ensemble“
L’enclave francophone est encore tétanisée par le stress de la compétition mondiale d’ouverture où chacun est appelé à courir pour soi. L’esprit de Djerba consiste à éveiller les esprits à la perspective du vivre ensemble. Ce n’est pas un challenge aisé. Constituer des chaînes de valeurs à partir d’une préférence pour une langue partagée et d’affinités diverses demande une approche collective qui a besoin d’être encore affinée.
Une dynamique d’ensemble doit être trouvée. La formule existe pourtant et c’est “gagnant-gagnant“. Souvenons-nous de l’impulsion communautaire des pères fondateurs. La Francophonie est dans l’attente d’un renouveau unioniste. Cela nous semble être le défi d’avenir pour la Francophonie.
Ali Driss, notre envoyé spécial à Djerba
*En juillet 1940, lors de la Bataille de Londres, quand le IIIème Reich avait tenté d’envahir l’Angleterre en lançant la bataille du ciel, Winston Churchill rendait hommage, avec cette phrase devenue célèbre, aux aviateurs anglais, en si petit nombre mais si aguerris qu’ils ont pu contenir l’aviation du Führer.