Depuis le rapport « La Révolution inachevée » publié en 2014 sous les directives d’Eileen Murray, alors représentante de la Banque mondiale en Tunisie (2010-2016), au dernier rapport 2022, « Tunisie – Diagnostic systématique Pays » portant de grands sous-titres “Réhabiliter la confiance et répondre aux aspirations des citoyens“ – “Pour une Tunisie plus prospère et inclusive“, il n’y a pas eu beaucoup de changements. Pire, aujourd’hui, il y a réellement péril en la demeure à en croire les auteurs du rapport.
En 2014, la Banque mondiale dénonçait diplomatiquement : «La protection de l’économie nationale qui a favorisé le manque de performance des entreprises et les incitations aux investissements qui n’ont pas réussi à attirer des secteurs employant une main-d’œuvre abondante et à valeur ajoutée élevée». Elle déplorait les réglementations absurdes subies par les exportateurs tunisiens pour vendre sur le marché intérieur et appelait à une refonte en profondeur des politiques d’investissement afin de simplifier le système et stimuler à la fois l’investissement et la création d’emplois.
Les rapports de la Banque mondiale et de la plupart des autres instances internationales ont-ils servi à quelque chose ? Bien sûr que non ! Entre temps, la Tunisie a eu droit à 4 chefs d’Etat, 9 chefs de gouvernement, plus de 300 ministres, la perte progressive des compétences de l’Administration publique et surtout celle de la confiance dans le système, les décideurs, les investisseurs et même entre citoyens eux-mêmes.
La Banque mondiale, qui reconnaît qu’avant la révolution (sic), « l’économie tunisienne semblait bien se porter et que la Tunisie était un “bon élève“ », l’avait invitée dans le rapport « La Révolution inachevée » à repenser son modèle de développement économique et entreprendre une réflexion ambitieuse sur les grandes réformes susceptibles d’accélérer la croissance et la prospérité partagée, de favoriser la création d’emplois de qualité et de promouvoir le développement régional.
Qu’est-il arrivé depuis 11 ans ? Presque rien !
Avant la « révolution », la Tunisie se portait mieux !
Le dernier rapport de la Banque mondiale parle d’une économie vacillante, la Tunisie serait « de moins en moins apte à répondre aux aspirations de ses citoyens et à leur offrir de meilleurs emplois, comparativement à la période antérieure à la Révolution. La création d’emplois a reculé sous l’effet de l’incapacité de l’économie à générer suffisamment d’opportunités à même de répondre aux pressions démographiques, notamment en ce qui concerne les diplômés universitaires et la population active dans la force de l’âge ».
Pour la Banque mondiale, il s’agit aujourd’hui « de créer les conditions favorables à la réalisation des deux autres voies prévues pour répondre aux aspirations des citoyens : faire évoluer l’économie vers une croissance tirée par la productivité et renforcer l’inclusion ».
Il est également important de remettre la valeur travail aux devants de la scène économique, car « le déclin de productivité et de croissance qui gangrène l’économie tunisienne est synonyme de perte de potentiel économique, en raison de nombreuses années de sous-investissement dans le capital productif et l’innovation, du manque d’ouverture et de concurrence sur les marchés et de la détérioration des capacités commerciales ».
Mais comment y parvenir, lorsque le leadership politique le plus écouté n’en parle presque jamais ? La valeur travail est ignorée, devancée qu’elle est par les invectives et les menaces en rapport avec la corruption, la spéculation et les malversations.
Comment convaincre les Tunisiens que leur seul salut ne peut venir que de la reprise sérieuse du travail, de plus de discipline et de plus de productivité ?
Comment convaincre la ministre des Finances que de nouvelles mesures coercitives ne peuvent fournir des conditions propices à la relance économique et à l’essor du secteur privé ?
La Banque mondiale appelle la Tunisie « à engager de profondes réformes structurelles capables de lever les nombreuses barrières qui entravent la concurrence, moderniser le secteur financier, attirer plus d’investissements étrangers directs, mobiliser les financements climatiques et promouvoir l’innovation et renforcer les capacités commerciales du pays par l’introduction de services commerciaux modernes et l’approfondissement de l’intégration commerciale tout au long de la chaîne de valeur mondiale ».
A cela répond Souad Dhaoui, dans une étude réalisée pour l’ITSEC : « l’application discriminatoire des politiques et des réglementations a un coût important pour les entreprises locales et impacte négativement leur compétitivité à l’exportation parce qu’elles souffrent de la multiplicité des droits de douane accompagnée de contrôle sur la nature des biens importés, des restrictions à la concurrence à cause du système des licences et autorisations peu incitantes pour la diversification des activités des entreprises locales ». Une situation accentuée par la concurrence déloyale et des pratiques anticoncurrentielles et un financement bancaire difficile, un cadre réglementaire peu engageant. L’inadéquation entre la formation de la main d’œuvre et le marché de l’emploi sont aussi considérés comme des contraintes sévères.
Pour toutes ces raisons, la Tunisie n’arrive pas à s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales.
Pour pallier cet état de chose, Souad Dhaoui appelle à déployer des efforts pour unifier et simplifier le Code fiscal et réviser le Code de la douane, aplanir les disparités entre les entreprises et maîtriser les coûts budgétaires élevés des incitations, citant le cas de l’Egypte et de la Chine. Elle estime les délais et les restrictions administratives et douanières trop longs et les barrières au commerce ainsi que les obstacles douaniers, réglementaires et logistiques sont un frein au renforcement de la place économique de la Tunisie à l’international.
Il est aujourd’hui impératif, appelle Mme Dhaoui, d’édicter de nouvelles mesures réglementaires pour lever le décloisonnement entre les entreprises des deux régimes et faciliter l’échange entre elles et de renforcer et améliorer les infrastructures et les services logistiques.
« Si la Tunisie souhaite attirer des investissements privés durables, étrangers et nationaux, améliorer son insertion dans le commerce international et hisser dans les CVM, elle doit plutôt se concentrer sur des réformes structurelles qui créent un climat d’investissement plus favorable, plus particulièrement aux entreprises locales. Ce qui nécessite, également, l’existence d’institutions publiques solides pour protéger les droits de propriété et les investisseurs, garantir l’application de la loi et lutter contre la corruption ».
Des vœux pieux ! A ce jour, nous ne voyons pas encore des mesures incitatives pour l’investissement ou encore des réformes structurelles permettant une relance économique à travers la levée de toutes les entraves légales. Le gouvernement promet, mais la réalité dément, et les premières informations distillées sur la loi des finances 2023 ne sont pas rassurantes.
Tant qu’en haut de la pyramide de l’Etat on tarde encore à oser réformes et mesures incitatives, ne nous attendons pas à un miracle. Le miracle serait qu’il y ait une prise de conscience générale qui commencerait à Carthage sur l’importance de la chose économique.
Le miracle serait que le président de la République rassure les investisseurs, appelle à travailler plus et à produire plus, invite les compétences tunisiennes à l’international et au national à participer à la réalisation du programme de réformes et faire profiter le pays de leurs expertises et leur savoir-faire.
Mais ce n’est pas demain la veille que cela se produira.
Amel Belhadj Ali