Pour la Banque mondiale, l’accès aux services financiers est considéré comme un facteur de progrès pour sept des dix-sept (17) Objectifs de développement durable des Nations unies (ODD). C’est un facteur essentiel de réduction de la pauvreté et de promotion de la prospérité partagée.
En Tunisie, même si nombreux sont ceux qui recourent au digital pour réaliser leurs transactions financières, dont le règlement de leurs factures STEG, SONEDE, téléphonique, etc., l’inclusion financière reste faible, comme l’a signalé Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale, lors d’une grande manifestation consacrée à l’innovation et aux paiements digitaux, jeudi 17 novembre.
Les chiffres annoncés marquent un retard inacceptable de la Tunisie en matière d’inclusion financière aujourd’hui de – 40%, un recours exacerbé au cash de l’ordre de 18 milliards de dinars, la prolifération des risques cybernétiques, ceci face à une forte pénétration de la téléphonie mobile de l’ordre de 125%.
Pour la BCT, un seul objectif : faire du paiement digital un instrument de référence dans l’inclusion financière et une alternative efficace au cash.
Pour y réussir, explique le gouverneur de la BCT, il faut un cadre réglementaire propice, ce qui a été réalisé grâce à nombre de nouvelles procédures allant de la circulaire EdP 2018 à celle de gestion des réclamations éditée en 2022, en passant par celle du Mobile Payment et les incitations fiscales au paiement digital. Des circulaires sont aujourd’hui en cours de préparation dont celles de l’Open banking, de la surveillance des SP, d’E-Kyc et monétique.
Les infrastructures ont beaucoup avancé, assure M. Abassi, grâce entre autres au switch du paiement mobile, la modernisation de la SMT, la nouvelle plateforme d’E-Paiement et à la plateforme de bil Agregator PaySmart. Le but est de démocratiser les paiements et les transactions en ligne et de les généraliser à toute la population.
La pandémie de Covid-19, un accélérateur de la transformation numérique
L’expérience du paiement digital a bien réussi en 2020/2021 en pleine pandémie de Covid-19 pour l’octroi des aides sociales, les inscriptions scolaires en 2022, ainsi que le règlement des factures SONEDE et STEG qui ne date pas d’aujourd’hui mais de plusieurs années en amont sans être généralisée.
Aujourd’hui, les autorités planchent sur la mise en place d’un système de paiement digital pour les vignettes, les taxes et droits douaniers, et le paiement digital des subventions.
De nouveaux acteurs de paiement sont entrés dans l’arène du marché financier. La Banque centrale a accordé un agrément définitif à 4 EdP, provisoire à 2, et une autorisation à un intermédiaire de paiement. Trois dossiers de PayFac sont en cours d’étude.
A ce propos, le gouverneur de la BCT a déploré la lenteur que mettent les établissements de paiement dans la réalisation des objectifs escomptés et les a appelés à plus de célérité et d’efficience. « Certains EdP ont l’agrément définitif depuis une année. A ce jour, leur activité de prestation de services de paiement n’a pas encore décollé comme il se doit ».
Il a rappelé que le cash, qui nourrit l’informel, peut être aspiré aisément dès que les réseaux d’agents de paiement commenceront à fonctionner correctement.
Il a aussi appelé les banques, qui ne sont pas dotées de solutions mobiles, à se rattraper rapidement. « Elles sont en train de perdre des opportunités énormes offertes par le digital ».
Dix milliards de dinars à prendre sur le marché grâce à l’inclusion financière
Selon une étude réalisée par Martine Consulting et IFC (Société financière internationale, membre du groupe Banque mondiale) pour le compte de la Banque centrale de Tunisie, grâce à la digitalisation, au mobile payment et aux transactions numérique qui représentent 10 milliards de dinars de revenus brut pour les acteurs du marché, on peut réussir l’inclusion financière.
Les 7,5 millions de particuliers représentent à eux seuls un réservoir de 6,1 milliards de dinars. L’offre qui leur est destinée se compose de packages 100% digitaux avec des réseaux d’acceptation de cash étendus et fiables, des solutions digitales de micro-épargne avec un réseau in/out étendu qui se distingue par une grande adaptabilité et répond aux besoins de ceux dont les revenus sont modestes, des crédits d’entreprenariat et immobiliers, des solutions de micro-assurances à la carte et des produits complémentaires à la couverture CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie).
Les 4,9 milliards de dinars restant, se répartissent entre les TRE (1,9 milliard de dinars), les entreprises (1,3 milliard de dinars) et les agriculteurs (0,9 milliard de dinars). Presque la moitié des agriculteurs des trois (3) chaînes de valeur (huile, datte et tomate) n’ont pas de comptes chez une institution financière conventionnelle. Plus de 85 % des agriculteurs des 3 chaînes de valeur utilisent des moyens de paiement non digitaux.
Pour transformer les opportunités en une réalité, les auteurs de l’étude conseillent aux acteurs du marché financier d’adapter les offres aux attentes et aux besoins spécifiques des populations ciblées, d’optimiser les investissements dans la digitalisation pour réduire les coûts et les tarifs pour les usagers, de s’unir avec d’autres acteurs du marché et d’investir dans l’accompagnement, la communication et la sensibilisation.
Reste que pour réussir l’inclusion financière, il faut aplanir nombre de difficultés et écarter les obstacles « perçus par tous les segments de la population. L’étude Martine Consulting et IFC cite le coût, les barrières à l’accessibilité, les craintes par rapport à la sécurité et la fiabilité et la méconnaissance des services et complexité des procédures.
Les usagers des services financiers ont exprimé des attentes se rapportant à la transparence et la qualité de service, la rapidité des réponses aux demandes, la facilité d’accès pour la souscription et les services, une tarification adaptée aux capacités financières des segments ciblés et la fiabilité technique, principalement dans le domaine des paiements.
Des attentes qui traduisent un intérêt notable pour la transition vers la finance digitale. Les acteurs du marché financier doivent aujourd’hui plancher sur la mise en place d’un éventail de produits et services financiers dont l’accès est facilité par le numérique via Internet. Ces prestations devraient couvrir le paiement, le crédit, l’épargne, le transfert d’argent et l’assurance.
La réduction des coûts des services financiers en question permettrait aux personnes et aux entreprises exclues des services financiers traditionnels d’accéder à des produits et de services financiers utiles et les intégrerait dans une dynamique financière et économique vertueuse.
La Tunisie, via ses institutions financières et la Banque centrale en premier, s’investit et investit dans la révolution numérique financière ; il revient aujourd’hui aux opérateurs du marché financier d’être les acteurs du changement et non des figurants subissant par force les nouvelles lois et réglementations.
Amel Belhadj Ali