Dans un communiqué publié récemment, le Conseil de l’Union européenne – instance où les ministres de tous les pays de l’UE se réunissent pour adopter des lois et coordonner leurs politiques – a annoncé le retrait de la Tunisie de l’annexe II relative à la liste de l’UE des juridictions fiscales non coopératives.
Logiquement, en dépit de l’appellation rébarbative « Annexe II », c’est un pas positif sur la voie de la reconnaissance internationale de la transparence fiscale en Tunisie. Il demeure toutefois insuffisant, d’après certains experts.
Pour mémoire, cette liste dont la Tunisie vient d’être retirée regroupe les Etats coopératifs qui n’ont pas encore appliqué les normes fiscales internationales mais qui se sont engagés à mettre en place les réformes nécessaires, lit-on dans le communiqué du Conseil.
Ainsi, la Tunisie a été retirée de ce document car elle a « satisfait son engagement concernant la norme minimale relative aux déclarations pays par pays ».
A noter que la Tunisie avait été retirée de l’annexe I en 2019 (liste de l’UE des juridictions fiscales non coopératives) et déplacée à l’annexe II.
la Tunisie a été retirée de ce document car elle a satisfait son engagement concernant la norme minimale relative aux déclarations pays par pays
Établie en décembre 2017, la liste de l’UE des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales s’inscrit dans le cadre de la stratégie extérieure de l’UE en matière d’imposition et est destinée à contribuer à ses efforts visant à promouvoir la bonne gouvernance dans le domaine fiscal à l’échelle mondiale.
Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce retrait, il est indispensable de revenir sur les motifs qui ont conduit l’inscription de la Tunisie sur la liste des paradis fiscaux et sur les efforts fournis pour en sortir.
Retour sur un triste épisode, le blacklistage de la Tunisie
Au commencement, en novembre 2017, réuni à Buenos Aires, le Groupe d’action financière (GAFI), organisme intergouvernemental de lutte contre la blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a classé la Tunisie sur la liste « des pays sous surveillance » en matière de financement du terrorisme et de blanchiment de l’argent.
En cause : les dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en Tunisie présentent des déficiences stratégiques. Il s’agit particulièrement du manque de transparence dans une économie tunisienne où l’informel représente 50 %.
Au mois de décembre 2017, la Commission européenne, conformément à sa tradition de s’inspirer des conclusions du GAFI, décida alors d’appliquer la 4ème directive européenne anti-blanchiment, adoptée en 2015 et visant à évaluer les efforts entrepris par les pays tiers (non membres de l’UE) pour lutter contre ce phénomène, et d’inscrire la Tunisie sur la liste des paradis fiscaux.
En 2019, ces efforts lui ont valu d’être retirée de « l’annexe I » de la (liste de l’UE des juridictions fiscales non coopératives
Pour sortir de cette liste noire, Bruxelles a demandé à la Tunisie de se conformer aux standards de l’échange automatique de données de l’OCDE, de ne plus favoriser les sociétés off shore et de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales de l’OCDE.
Au mois février 2018, le Parlement européen ajouta la Tunisie à la « liste des pays tiers exposés aux risques de financement du terrorisme et de blanchiment d’argent ».
Depuis, la Tunisie a déployé, 17 mois durant, d’importants efforts pour mettre en place un arsenal juridique et une logistique administrative favorisant la transparence des affaires en Tunisie. La Commission tunisienne d’analyse financière (CTAF), structure interdépartementale en charge du dossier, dispose désormais des outils et des ressources humaines requis pour mener son job dans de bonnes conditions.
En 2019, ces efforts lui ont valu d’être retirée de « l’annexe I » de la (liste de l’UE des juridictions fiscales non coopératives. Elle a été déplacée à l’annexe II.
Au mois de juin 2020, la Tunisie a été définitivement retirée de la liste actualisée de l’Union européenne des pays tiers présentant des carences stratégiques dans leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette liste a été publiée le 19 juin 2020, dans le Journal officiel de l’Union suite à son approbation par le Conseil de l’UE et le Parlement européen.
La Tunisie mieux outillée pour lutter contre le blanchiment d’argent
Ce résultat n’a pu être obtenu que grâce à plusieurs réformes : gel des avoirs des personnes suspectes de crimes terroristes, extension de la peine maximale encourue pour une infraction terroriste à ceux auxquels la loi en a confié la constatation et la répression (agents des forces armées, agents des forces de sécurité intérieure, douaniers, gérants d’entreprises), adoption au mois de juillet 2018 de loi portant création du Registre national des entreprises (RNE).
Cette nouvelle loi vient conférer plus d’efficience à la lutte contre la création de sociétés écrans et contre l’économie informelle, en ce sens où son article 7 stipule l’inscription obligatoire au Registre des associations, des réseaux d’associations et des sociétés disposant d’un siège en Tunisie et jouissant de la personnalité civile, ainsi que de toute personne physique tunisienne ou étrangère ayant qualité de commerçant ou exerçant toute activité professionnelle ou autre.
mais la Tunisie n’a accompli qu’environ 30 à 32 des 40 recommandations du GAFI
Au mois d’octobre 2022, la Tunisie a été ainsi retirée de l’annexe II relative à la liste de l’UE des juridictions fiscales non coopératives.
Selon des experts, la Tunisie n’est cependant pas au bout de ses peines en ce sens où en dépit des avancées enregistrées, elle n’a accompli qu’environ 30 à 32 des 40 recommandations du GAFI en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Cela signifie qu’elle a encore du pain sur la planche. L’essentiel serait de rester vigilant et de ne pas baisser la garde.
Abou SARRA