Gérer la crise est une piste périlleuse. Les maîtres du système entendent la récupérer à leur avantage. Mais ça ne passe pas. Une voix s’élève appelant à en faire un levier pour un nouvel ordre économique et financier équitable et qui ne s’oppose pas à la liberté d’entreprendre. Au niveau actuel du débat mondial, on peut y voir une idée neuve ou une utopie ultime.

Le trait de paradoxe de la crise qui secoue le monde à l’heure actuelle est qu’elle affame les masses mais nourrit le débat. Ainsi qu’elle alimente la réflexion autour des scénarios de sortie de crise.

Dans ce sillage, un webinaire sur le thème de « la nouvelle gouvernance des finances publiques » a eu lieu récemment à l’initiative de la Business School de l’université américaine du Caire avec la participation entre autres de Jihed Azour, directeur du FMI pour la région MENA, ainsi que Nizar Yaïche, ancien ministre tunisien des Finances et associé et membre de PWC.

Crise plurielle et changement de décor

Voici une voix tunisienne au carrefour des courants de pensée les plus effervescents. La pertinence de son propos est un véritable acte de prospective. Sera-t-il pris en compte par les réformateurs du système mondial, dont le FMI ? En tout cas, nous espérons que les thèses avancées feront école et s’imposeront comme référentiels de politique économiques à même d’infléchir les thèses des maîtres du système.

Le juste diagnostic de la crise

C’est par là que tout commence. Et que tout finit. Nizar Yaïche prévient que le diagnostic téléguide les solutions. Par conséquent, si l’on manipule le constat des faits, les solutions préconisées seront inopérantes. Et les tenants du système ont vite bouclé la question désignant des thérapies inefficaces.

Leur finalité consiste à faire perdurer le système, car en le maintenant en service, ils reconduisent leurs intérêts et la mainmise qu’ils ont sur l’ensemble de l’économie mondiale.

Un simple diagnostic usuel conduirait à répertorier les seuls aspects visibles, de la crise. Manifestement, ils ne sont pas, en apparence, très alarmants.

En effet, quelques produits ont vu leur cours mondial bondir d’un coup, alimentant un rebond de l’inflation. Des mains invisibles ont vite appelé aux médications usuelles, tel le resserrement de la politique monétaire. Et le relèvement des taux directeurs sur les principales devises internationales.

L’ennui, fait observer Nizar Yaïche, est que cela n’a fait que rajouter de la crise à la crise. Il s’interpose à ce stade et fait un constat de carence. Sa déduction est qu’il faut reprendre le travail à l’origine car la méthodologie appliquée est tout aussi biaisée qu’obsolète. Et dévastatrice pour beaucoup de pays, ce qui représente une bonne partie de l’humanité.

On refait le match, mais cette fois, Nizar Yaïche invite à réfléchir “out of the box“.

Une nouvelle économétrie du diagnostic

Le descriptif événementiel et apparent de la crise est insuffisant. soutient l’ancien ministre. Les mesures d’impacts cachés doivent entrer en ligne de compte. Comme disent les assureurs, il faut bien évaluer le sinistre. Il y a les dommages collatéraux de la crise et des mesures de riposte dont il faut tenir compte.

D’abord, l’onde de choc de la crise, tout en n’affectant que quelques produits, celle-ci a atteint les produits de souveraineté alimentaire et énergétique. Les céréales, les fourrages pour bétail et le pétrole brut ont de quoi menacer l’humanité dans sa nutrition et l’économie dans sa continuité. Ils ont perturbé les économies en développement en affectant leur croissance. Et, en compromettant leur devenir.

L’impact social pour ces pays, nombreux, est un gâchis qu’on peut évaluer. Les hausses de taux des principales monnaies vont surenchérir le service de la dette pour ces pays, tous surendettés. Et cela se calcule et ne doit pas être mis sous silence. Car le surcoût du cafouillage introduit par la crise et sa médication impropre pèsera sur les générations actuelles et celles à venir.

Imaginez des générations à naître qui retrouveront dans leur berceau de la dette et de la souffrance. Nizar Yaïche crie au Dol. Il aurait pu dire de la malveillance. En réalité, il n’entend pas se défaire de son objectivité pour éviter toute polémique. Il affirme donc haut et fort que le sinistre peut être évalué avec précision.

S’agissant d’un gâchis systémique, il convient de le traiter au plan planétaire avec droit au débat pour les pays concernés.

Jamais les connaissances n’ont été aussi développées et les défis aussi systémiques

Voir grand, penser global et calculer juste. Voilà comment nous pourrions résumer le message de Nizar Yaïche concernant la dimension à conférer à la sortie de crise. Il s’agirait, selon nous, d’une large concertation qui ressemblerait à un exercice de planification planétaire. On abandonne les mesures de saupoudrage classique et on passe directement au réaménagement du système dans son ensemble, quitte à le refonder au besoin. Et l’expertise mondiale actuelle s’y prête bien.

Nizar Yaïche appelle à modifier les règles de base et faire jouer la solidarité et la responsabilité. Il nous faudra restituer une planète vivable et viable pour les prochaines générations. Un appel objectif à adhérer à la croissance verte celle-là même qui suppose que l’on prenne le virage de la double transition énergétique et climatique. Et l’autre appel à ce qui pourrait être une responsabilité civile entre nations.

Les casseurs sont les payeurs. Laisser les pays dans le besoin trinquer seuls des dégâts de la crise n’est pas chose recevable. Une solution peut être trouvée avec partage à grande échelle du risque et une juste mutualisation de l’indemnisation des populations sinistrées. Tout en empêchant une volatilité instrumentalisée des marchés. Il s’agit de reproduire un système équitable, assure Nizar Yaïche qui ne s’oppose pas à la liberté d’entreprendre.

Dieu quelle gageure ! Moraliser le système sans l’ébranler est une belle construction technique et scientifique. Maintenant, est-elle plausible en l’état actuel des choses, où l’asymétrie régente les relations entre nations ? Est-ce que l’appel à une discipline mondiale sur des bases scientifiques établies et moralement justifiées est recevable en l’état actuel de déséquilibre des forces ? Le savoir et la raison peuvent-ils triompher de l’hégémonie matérialiste ? Le seul élément de réponse dont nous disposons est que l’alternative à cela ne peut être qu’un état de chaos économique avec son lot de périls dont l’éventualité de l’effondrement.

Un arbitrage rationnel déboucherait sur la conclusion que nous connaissons. Cependant, Nizar Yaïche, conscient du poids d’une sortie par le haut, rappelle que jamais auparavant la connaissance humaine n’a été aussi développée et les défis aussi extrêmes. L’intelligence collective triompherait-elle de l’avidité de quelques uns ? C’est ce qu’on appelle un défi extrême.

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