L’Institut tunisiens des experts-comptables (ITEC) appelle le gouvernement à renoncer aux nouvelles mesures comportant des augmentations des impôts et taxes, à commencer par l’impôt de solidarité sur les biens immobiliers, et à abandonner tout impôt sur la cession des actions.
Déplorant la non-publication d’un projet de loi de finances jusqu’à ce jour (10 jours avant son entrée en vigueur), il considère que l’absence d’un débat franc et fructueux autour des orientations de cette loi, portent atteinte au champ de la démocratie délibérative et entravent l’adhésion des parties concernées aux mesures proposées.
L’Institut recommande d’associer, à travers un vrai débat public, toutes les parties prenantes à la préparation et la mise en application des projets de lois.
C’est ce qui ressort notamment, parmi onze recommandations phares, d’une table ronde organisée jeudi 15 décembre 2022 à Tunis sous le thème de « Le projet de loi de finance 2023 – Entre conjoncture, relance et équilibre du budget : des pistes de réflexions & de propositions ».
Il s’agit notamment de renforcer les liens avec l’Algérie et la Libye, lever les obstacles qui entravent l’exportation, revoir le code des investissements, la mise en œuvre de la réforme fiscale, selon des modalités, des délais et des moyens précis, l’accélération du traitement des demandes de remboursement de la TVA, et le maintien du taux réduit de TVA de 13% pour les prestations rendues par les avocats et les huissiers notaires au profit des particuliers.
Introduisant les travaux, le président de l’ITEC, Moncef Boussannouga Zammouri, a souligné le contexte tout particulier de l’économie tunisienne dans une conjoncture des plus difficiles, invitant toutes les parties prenantes à formuler les recommandations les plus appropriées et de contribuer à leur mise en œuvre…
Après les discours d’ouverture et les présentations des trois panélistes, à savoir Mongi Safra, Mohamed Derbel et Anissa Dachraoui, un débat vif et passionnant est engagé avec la participation de plusieurs personnalités représentant des organisations nationales et des partis politiques, ainsi que des chefs d’entreprises, des professionnels libéraux et autres.
Les onze recommandations phares émises aussi bien à travers les présentations qu’à travers les débats, s’articulent autour des points suivants :
1- Renforcer davantage les relations de bon voisinage et de coopération politique et économique avec nos deux voisins (Algérie et Libye).
2- Œuvrer pour faire passer le maximum de personnes du secteur informel vers le secteur formel et organisé, ce qui permettrait d’améliorer les conditions de vie des couches sociales vulnérables et une meilleure formalisation de l’emploi ; ainsi que l’élargissement de l’assiette fiscale.
Dans un premier temps, la mise en œuvre des mesures prévues par les deux lois régissant l’autoentrepreneur et l’économie sociale et solidaire, permettra d’amorcer le processus de la transition. Elle doit être suivie par des interventions politiques spécifiques et des stratégies novatrices pour booster la formalisation de l’activité informelle.
3- Le déficit record de la balance commerciale (-23,2 milliard de DT à fin novembre 2022) est dû aussi bien à un faible volume des exportations, qu’à l’augmentation des importations (augmentation importante des prix du carburant et des céréales).
Il convient alors :
- Lever tous les obstacles (procédures administratives, sit-in, blocage d’usines …) qui paralysent les opérations d’exportations,
- Encourager davantage les opérations d’exportation de biens et surtout de services par des incitations autres que fiscales,
- Aider, assister et accompagner les entreprises à s’implanter sur de nouveaux marchés à l’étranger notamment dans les secteurs innovants.
4- Le niveau d’investissement qui représentait 24% du PIB en 2012 est aujourd’hui à peine de 16%.
Pour faire face à cette dégringolade, il convient de revoir tout le dispositif régissant l’investissement :
- La loi d’investissement,
- Les incitations fiscales et financières au profit de l’investissement,
- Les différents organismes et instances assurant le suivi et la politique d’investissement.
Selon l’un des intervenants, nous n’avons pas une loi d’investissement, mais plutôt une loi de « désinvestissement ». La refonte de l’ensemble de ce dispositif est aujourd’hui urgente et impérative.
5- La non-publication d’un projet de loi de finances jusqu’à ce jour (10 jours avant son entrée en vigueur) et l’absence d’un débat franc et fructueux autour des orientations de cette loi, portent atteinte au champ de la démocratie délibérative et entravent l’adhésion des parties concernées aux mesures proposées.
Il serait alors recommandé d’associer, à travers un vrai débat public, toutes les parties prenantes à la préparation et la mise en application des projets de lois. Engager un débat sur la base d’une version de projet de loi « fuité » est à la fois regrettable et déplorable.
6- La réforme fiscale entamée en 2014 dans le cadre des « assises de la fiscalité » n’est pas encore achevée jusqu’à ce jour. Seule la moitié des préconisations prévue par cette réforme a été instituée à travers les lois de finances des années 2015 à 2022. Il est recommandé de définir une stratégie fixant les modalités, les délais et les moyens pour la finalisation de cette réforme.
7- « Top d’impôt – tue l’impôt » c’est le maitre mot qui s’est dégagé à l’unanimité des participants. Le projet de la loi de finances 2023 comporte une quinzaine de mesures prévoyant des augmentations des impôts et taxes.
Lorsque l’on sait que la Tunisie a les taux les plus élevés en Afrique en matière de pression fiscale et lorsque l’on sait également que d’éminents économistes ne cessent de rappeler, depuis Ibn Khaldoun jusqu’à aujourd’hui, qu’une pression fiscale très élevée et une augmentation continue des impôts et taxes sont de véritables ennemis à l’investissement, à la création de l’emploi et à la croissance, nous ne pouvons qu’appeler à renoncer aux nouvelles mesures comportant des augmentations des impôts et taxes, à commencer par l’impôt de solidarité sur les biens immobiliers, qui est un impôt injuste et inéquitable, qu’il convient d’abandonner à l’instar de ce qui a été fait dans plusieurs pays.
Cet impôt va être source de grandes polémiques et contestations pour les motifs suivants :
- La valorisation d’un bien foncier, à cause du système foncier tunisien est difficile et peu objective,
- Le recours éventuel aux indices de réévaluation d’actifs des entreprises n’est pas approprié,
Il est tout simplement inapplicable aux biens fonciers familiaux,
- L’établissement d’une grille de valeurs par type de bien est injuste, floue et incongrue,
- Les rehaussements par l’Administration fiscale de toute acquisition immobilière fait l’objet de marchandage, de contestations et d’affaires portées devant les tribunaux en quantité impressionnante car, il est difficile de procéder à des rehaussements de prix en se basant sur la valeur de biens « similaires »,
- La valorisation des propriétés agricoles est encore plus problématique voire impossible tant la valeur de marché d’une propriété agricole varie d’une propriété à une autre (c’est déjà le cas dans une même localité).
Ceci s’explique par une multitude de facteurs physiques et climatiques, la nature de la production, la destination du bien etc.).
- Enfin, point important : l’habitation principale et les biens reçus par voie d’héritage rentrent-ils dans le périmètre des biens fonciers visé par la nouvelle disposition.
8- Abandonner tout impôt sur la plus-value de cession des actions pour plusieurs raisons : Les seules actions non imposables à ce jour sont les actions cotées en bourse et les actions de SICAV. Imposer leur cession en plus de l’imposition des dividendes qui leur sont attachés va créer des dysfonctionnements tels que :
- Casser le timide trend de remontée de la bourse observée ces derniers mois,
- Casser cette dynamique relevée dans la collecte de l’épargne via les SICAV malgré le contexte économique actuel et le faible rendement de ces actions,
- Être à l’origine d’un risque d’implosion des SICAV par rachats massifs de leurs actions,
- Être à l’origine d’un grave risque d’assèchement d’une source de financement appréciable pour les banques, via la bourse et les SICAV,
- Être à l’origine d’une baisse importante du taux de l’épargne nationale qui, rappelons-le, était de 12% du PIB en 2011 et ne représente plus que 2% en 2021.
Cette disposition, si elle était retenue dans la LF pour 2023, serait à l’origine d’une grave baisse de l’épargne nationale et aggraverait dangereusement le taux de pression fiscale.
9- Prendre des dispositions en vue d’accélérer et/ou d’améliorer le traitement des demandes de remboursement de la TVA, principalement en modifiant les pratiques administratives, plutôt qu’en intervenant sur les règles de droit, pour raccourcir des délais qui sont déjà courts, et ce, notamment par :
- La réorganisation interne des activités afin d’accélérer le traitement des demandes de remboursement par des notes internes (à l’instar de ce qui a été fait en 2022 pour les sociétés de commerce international), notamment en réorientant le potentiel administratif disponible dans ce but ;
- Le recours aux processus électroniques (demandes en ligne) plutôt que manuels afin de garder la traçabilité du respect des délais et permettre au contribuable de suivre sa demande à distance ;
- L’allégement des contrôles de risques normalement effectués avant les remboursements pour les entreprises ayant de bons antécédents en matière de discipline fiscale.
10- Digitaliser la procédure de demande d’attestation de régularisation fiscale préalable à un transfert de règlement des prestations de services et ce, afin d’unifier la procédure de traitement de ces dossiers entre les bureaux et centres des impôts, de raccourcir le délai de leur traitement par l’administration et de permettre au contribuable de suivre sa demande à distance (Dans certains centres, la demande passe par le bureau de contrôle des impôts pour visa de 2 fonctionnaires puis est transférée au centre des impôts pour visa de 5 fonctionnaires et la procédure est bien entendu interrompue en cas d’absence de l’un d’eux).
11- Maintenir le taux réduit de TVA de 13% pour les prestations rendues par les avocats et les huissiers notaires au profit des particuliers (à l’instar du taux réduit maintenu pour les prestations internet rendues au profit des particuliers par l’article 64 de la LF pour 2019.