C’est incroyable, le dinar s’apprécie contre les principales monnaies étrangères, c’est-à-dire contre toutes les monnaies.
Comment expliquer ce phénomène surréaliste? Dans quel but la Banque centrale de Tunisie (BCT) apprécie-t-elle le dinar au moment où tous les indicateurs du pays se détériorent gravement? Pourquoi la BCT apprécie-t-elle le dinar alors que le pays s’enfonce dans une montagne de dette publique et de dette extérieure, alors que le pays connaît la pire inflation accompagnée d’une stagnation économique?
Le dinar s’apprécie au moment où le pays fait face aux déficits jumeaux qui ont atteint des niveaux sans précédent: le déficit du budget de l’État et le déficit de la balance des paiements courants, du fait notamment d’un déficit abyssal de la balance commerciale de 23,1 milliards de dinars à fin novembre 2022 et un déficit de plus de 25 milliards de dinars attendu pour la fin de l’année.
Pourquoi la BCT apprécie-t-elle le dinar alors que nos réserves de change sont en train de fondre à un rythme inquiétant (97 jours d’importation au 22 décembre)?
Une série de questions, mais point de réponses.
Dans tous les pays du monde, la monnaie nationale est supposée fonctionner comme un miroir qui reflète la situation économique, financière, sociale et politique dans le pays. En plus de tous les indicateurs qui sont au rouge, le FMI vient de nous refuser l’examen de notre dossier supposé être soumis au comité exécutif du FMI en vue de transformer l’accord provisoire en accord définitif avec un déblocage de la première tranche du crédit de 1,9 milliard de dollars.
L’Administration tunisienne n’arrive pas à clore le budget de l’État de 2021. Elle n’arrive pas à couvrir les dépenses du budget de 2022. En effet, une loi de finances complémentaire vient d’être publiée avec un gap (dépenses publiques non couvertes par des ressources) de 10 milliards de dinars. Oui, vous avez bien lu “10 milliards de dinars.
L’Administration n’arrive pas à élaborer un budget de l’État pour 2023 et à le faire promulguer par le président de la République.
Le pays vient de vivre dés élections législatives avec un taux d’abstention sans précédent en Tunisie, et probablement dans le monde.
La monnaie nationale, le dinar dans notre cas, est supposée aussi être une variable d’ajustement. C’est-à-ire que lorsque les indicateurs économiques et financiers se détériorent, l’ajustement doit se faire par une dépréciation de la monnaie afin de protéger l’économie et ses grands équilibres. Chez nous, c’est l’inverse qui se passe. J’ai lu au début de cette semaine une déclaration du gouverneur de la BCT qui dit que l’appréciation du dinar dans les conditions actuelles est bonne pour les finances publiques (remboursement de la dette extérieure) et pour les importateurs. Ah bon! Et qu’en est-il des exportateurs? Qu’en est-il du reste de l’économie qui souffre déjà de tous les maux possibles et imaginables? La politique monétaire n’est-elle pas supposée être au service de l’économie? Pourquoi cherche-t-on à protéger les intérêts des importateurs dans les conditions actuelles, en ignorant les intérêts des autres opérateurs économiques et de l’économie tout entière?
Sans vous encombrer de beaucoup de chiffres, en voici quelques uns suffisamment illustratifs des propos ci-dessus. Je me limiterai aux deux principales monnaies, l’euro et le dollar, qui représentent ensemble environ 80% des paiements extérieurs de la Tunisie.
Cours de l’euro le 21 décembre 2022: 3,3119, soit une appréciation du dinar contre euro de 1,17% en un seul mois.
Cours du dollar le 22 novembre 2022: 3,2502
Cours du dollar le 21 décembre 2022: 3,1212 soit une appréciation du Dinar contre Dollar de 4,13% en un seul mois.
Afin d’éliminer l’effet des fluctuations euro/dollar, nous suivons aussi le couple 1 euro + 1 dollar
1 euro + 1 dollar le 22 novembre 2022: 6,6009
1 euro + 1 dollar le 21 décembre 2022: 6,4331, soit une appréciation du dinar contre le couple euro/dollar de 2,60% en un seul mois.
Il est important de savoir qu’une telle appréciation du dinar dans les conditions actuelles de la Tunisie pénalise sévèrement les exportations, et contribue donc à élargir le déficit de la balance commerciale et à augmenter dangereusement le niveau de la dette extérieure.
Une telle appréciation du dinar dans les conditions actuelles de la Tunisie contribue à aggraver la stagnation de l’économie qui devient incapable de générer de la croissance, de créer de la richesse et de créer des emplois.