Prudent, conscient d’avancer sur un terrain miné et surtout soucieux de ne commettre aucun impair : « Entendons-nous bien, dit-il, s’adressant aux médias, je ne répondrai qu’aux questions se rapportant à la politique monétaire et aux prérogatives de la Banque centrale », Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT, a paru plus préoccupé sans être alarmiste cette fois-ci dans sa rencontre avec les représentants de la presse nationale et internationale.
Il a insisté : la seule voie de salut pour notre pays est la reprise du travail, la relance de la machine productive du pays, l’amélioration du climat d’affaires, la relance des investissements et l’engagement des réformes.
C’était mercredi 4 janvier 2023 lors d’une conférence de presse organisée au siège de la BCT. Le gouverneur parlait de préalables impératifs pour que la Tunisie rétablisse la confiance autant avec les bailleurs de fonds internationaux que ceux nationaux, et réalise la relance économique tant attendue et souhaitée.
Parlant du contexte économique du pays, le gouverneur en a brossé un tableau peu reluisant.
Après la Covid-19 et à peine remise de ses peines, voilà que la Tunisie se retrouve de nouveau en difficultés parce que la guerre russo-ukrainienne, qui a mis à mal les économies les plus puissantes du monde, ne pouvait l’épargner. Une situation macroéconomique difficile caractérisée par une stagflation face à une croissance atone et des déficits jumeaux : déficit budgétaire et déficit courant. Des taux d’investissement et des taux d’épargne en baisse et des réformes qui tardent à venir.
Des réformes qui n’ont pas été engagées au milieu des années 2000 et que les gouvernements successifs post-janvier 2014, pour la plupart incompétents, frileux et opportunistes, n’ont pas engagées.
L’économie nationale a été mise à mal aussi bien par l’incapacité des décideurs à décider (sic) que par un contexte international peu propice à la croissance et des conditions climatiques peu clémentes pour l’agriculture.
Si le secteur des services, notamment le tourisme, a repris sans pour autant atteindre ses niveaux pré-Covid-19, les difficultés dans les industries manufacturières, en premier lieu dans les hydrocarbures et les phosphates, persistent.
Le banditisme de certains activistes syndicaux et l’incapacité des pouvoirs publics à y mettre un terme privent le pays de ressources financières dont il a ardemment besoin.
Un déficit budgétaire de 8% en 2023, mais la Tunisie paiera ses dettes !
La maîtrise relative du déficit budgétaire en dépit de l’impact de la crise russo-ukrainienne en 2022 (7,7% du PIB) : hausse des dépenses de compensation (4,737 milliards de dinars) pondérée par des recettes supplémentaires et une compression des dépenses dans l’investissement public, ce qui n’est pas rassurant. La loi de finances 2023 ambitionne de maîtriser le déficit au niveau de 5,5% du PIB par la hausse des recettes fiscales (+12,5%) et non fiscales (+39,2%) et l’absence de mesures pro-growth.
Marouane El Abassi ne dit pas que la loi de finances est pénalisante et coercitive, car elle ne facilite pas la vie des investisseurs potentiels
Les besoins de financement en 2023 dus principalement à la hausse des remboursements au titre du principal de la dette (15,8 milliards de dinars contre 9,8 milliards en 2022) conjugués aux difficultés de mobilisation des ressources extérieures et à celles de mobiliser des financements internes au même rythme que ceux de l’année 2022, ne donneront pas beaucoup de latitude aux décideurs publics d’assurer la relance aujourd’hui devenue un rêve.
Ce que ne dit pas Marouane El Abassi est que la loi de finances est pénalisante et coercitive, car en haussant les impôts, elle n’a pas prévu de faciliter la vie des investisseurs potentiels et des porteurs de projets et que les entreprises nationales qui souffrent de difficultés grandissantes ne pourront pas dans les années à venir s’acquitter d’autant d’impôts que les années précédentes. Mais ceci, la ministre des Finances refuse de le comprendre.
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Il ne faut donc pas s’étonner de voir les anticipations pour un taux de croissance de l’économie tunisienne de l’ordre de 1,8% en 2023 (FMI).
Inflation : nous ne sommes pas sortis de l’auberge !
« A ceux qui dénoncent notre décision d’augmenter le taux directeur, pour juguler le phénomène inflationniste, expliquant leur posture par le fait que l’inflation continue à progresser, nous répondons que l’une des premières leçons que nous apprenons en économie est qu’il faut au moins 5 trimestres pour en percevoir les effets », le gouverneur de la BCT.
Il rappelle que la crise russo-ukrainienne a bouleversé tous les équilibres internationaux et qu’il faut actuellement s’attendre à une inflation à deux chiffres. Les pressions sur les prix sont d’origine externe et interne. «Ce que doit savoir tout Tunisien est que pour chaque 100 dinars de consommé, 50 dinars servent à couvrir des importations. Alors produisons national, consommons national pour dynamiser notre économie», appelle-t-il.
En 2018-2019, le stock des réserves en devises a baissé à 69 jours pour reprendre à 160 jours lors de la pandémie de Covid-19
Les années 2024 et 2025 verront progressivement le recul des taux d’inflation, rappelle le gouverneur de la BCT, sachant que les bonnes performances de l’économie nationale ont été associées, depuis plusieurs années, à des taux d’inflation faibles et relativement stables, alors qu’aux années 90, les taux d’intérêt relativement élevés n’ont pas affecté la croissance économique, qui a évolué à des taux avoisinant les 5% en moyenne.
L’orientation de la politique monétaire, à cette époque, a permis de maîtriser l’évolution de l’inflation. La hausse du taux d’intérêt directeur effectuée au cours des années 2018 et 2019 a, elle aussi, contribué à assurer une meilleure stabilité du dinar. Sa dépréciation face au dollar en 2022 est due à la forte appréciation de cette devise contre toutes les monnaies du monde en rapport avec la guerre en Ukraine. En 2017/2018, le dinar a été déprécié de 20%. En 2018-2019, le stock des réserves en devises a baissé à 69 jours pour reprendre à 160 jours lors de la pandémie Covid-19. Les transferts des TRE et une légère reprise du tourisme y ont été pour beaucoup.
Le service de la dette extérieure à MLT (moyen et long terme), prévu pour 2023 est lourd. Il s’élève à 11,2 milliards de dinars contre 8,9 milliards de dinars en 2022. L’Etat est tenu de rembourser près de 8,3 milliards de dinars, dont 22,4 milliards de JPY (août 2023) au titre d’un emprunt obligataire garanti par la JBIC 2013, et 500 MEUR (octobre 2023) au titre de l’émission EUR 2018. Le ratio du service de la dette s’établit à 11,9% des recettes courantes.
Le service de la dette extérieure à moyen et long terme de 2023 s’élève à 11,2 milliards de dinars contre 8,9 milliards de dinars en 2022.
S’agissant du budget 2023, il y a un gap de 1,5 milliard de dollars. La Tunisie est en discussion avec ses partenaires internationaux pour identifier les moyens de le combler.
Aujourd’hui, la BCT, tout en espérant que les réformes auront lieu car impératives pour finaliser un accord nécessaire avec le FMI, s’est engagée dans des réformes profondes.
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Nous pouvons citer la refonte des créances classées pour permettre aux banques concernées de gérer les dossiers de manière plus efficiente à travers, entre autres, des solutions d’automatisation pour rationaliser leurs opérations de gestion du recouvrement, la création de tribunaux de commerce pour accélérer les procédures et les jugements dans les contestations relatives aux engagements entre commerçants, artisans, établissements de crédit, sociétés de financement, etc., ainsi que les paiements digitaux. Les opérateurs téléphoniques vont désormais créer leurs propres établissements de paiement.
Dans un contexte économique extrêmement difficile, la BCT ambitionne aujourd’hui à harmoniser les politiques monétaires et les politiques économiques pour rétablir les équilibres macroéconomiques et favoriser une croissance saine et durable.
Amel Belhadj Ali
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