La rencontre-débat, organisée jeudi 12 janvier 2023 par l’Ordre des experts-comptables portant sur l’analyse de la loi de finances 2023 et baptisée : «Apports de la loi de finances 2023 et impératifs de relance», a procédé à une lecture critique de ladite loi fort controversée, le jour même de la célébration du 40ème anniversaire de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT).
Elle a permis, grâce à l’intervention pertinente du grand économiste Hachmi Alaya, de mettre les points sur les i, rappelant l’importance du politique dans l’économique.
Les différentes interventions des panelistes experts-comptables ont éclairé l’assistance sur les faiblesses et les carences d’une loi de finances patchwork sans fil conducteur, sans cohérence et sans vision.
«Connaissance, conscience, indépendance». C’est la devise que s’est donné l’Ordre des experts-comptables il y a quatre décennies, insiste Walid Ben Salah, président de l’OECT, dans son allocution d’ouverture. Les experts-comptables, qui bénéficient de la confiance des investisseurs, des opérateurs économiques, des acteurs financiers et d’autres intervenants, sont les plus édifiés quant aux problématiques qui se posent dans le domaine fiscal.
«L’année 2022 a été marquée par la poursuite des difficultés économiques et financières, voire leur exacerbation, souligne Ben Salah, en raison de la succession des crises depuis la pandémie de Covid-19 et le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, mais aussi à cause de l’absence d’une vision stratégique claire et affirmée pour la relance de l’économie nationale et au retard pris dans l’engagement sérieux des réformes structurelles». C’est ce qui explique, aujourd’hui, l’absence de financements extérieurs conséquents comme établi dans la loi de finances initial.
Conséquence : la crise des finances publiques, l’aggravation du déficit, la hausse de l’endettement et la détérioration de la situation financière des institutions publiques devenue une lourde charge pour l’État, l’économie et le secteur bancaire et financier.
L’année 2023 ne sera pas celle de la relance, annonce tout de go Hachmi Alaya, grand économiste et président du think tank TEMA. «Je ne peux vous annoncer une relance, je n’ai que des larmes»
L’année 2022 a été marquée par la poursuite du ralentissement économique avec un taux de croissance de seulement 2,2%, un climat d’affaires morose et malsain, une baisse du taux de couverture des importations par les exportations à hauteur de 69%, une diminution du stock des devises (fortes) et une hausse folle du taux d’inflation, qui a atteint 10,2% à la fin de l’année.
L’année 2023 ne sera pas celle de la relance, annonce tout de go Hachmi Alaya, grand économiste et président du think tank TEMA. «Je ne peux vous annoncer une relance, je n’ai que des larmes», et d’attirer l’attention de l’assistance qu’on ne peut parler d’économie sans parler de politique.
C’est une économie qui n’avance pas mais régresse, plongée dans une crise structurelle, caractérisée par l’inadéquation du modèle économique aux exigences des Tunisiens et aux besoins du pays
Quelles sont alors les actions de l’Etat visant à influencer l’évolution de l’économie ? Aucune mesure que nous pouvons citer ni dans le cadre des politiques conjoncturelles, ni au niveau des politiques structurelles. «On ne peut évoluer qu’en étant conscient de ce qui se passe autour de nous, explique Hachmi Alaya. La Tunisie ne s’est pas relevée de deux chocs successifs : l’économie n’est pas parvenue à rattraper la chute de croissance de 2020, ce qu’on appelle la croissance de rattrapage. En dinars constants, les Tunisiens se sont appauvris. C’est une économie qui n’avance pas mais régresse, plongée dans une crise structurelle, caractérisée par l’inadéquation du modèle économique aux exigences des Tunisiens et aux besoins du pays».
La pression fiscale très élevée est équivalente à celle des pays riches de l’OCDE. C’est une matraque qui aggrave la crise
La Tunisie a besoin d’une profonde transformation distributive importante assure M. Alaya, la pression fiscale très élevée est équivalente à celle des pays riches de l’OCDE. C’est une matraque qui aggrave la crise. La dépense publique à hauteur de plus de 40% dans la Loi de Finances 2023 est la parfaite illustration d’un État lourd qui occupe une place importante, d’une bureaucratie paralysante et d’une fiscalité dissuasive que supporte la petite entreprise tunisienne, déplore Hachmi Alya.
La loi de finances 2023 n’a pas répondu aux aspirations des Tunisiens pour une sortie de crise rapide, estime Walid Ben Salah.
La loi de finances pour l’année 2023 a été préparée dans des conditions économiques et nationales très complexes et difficiles, mais selon de nombreux acteurs économiques et sociaux, elle n’a pas répondu aux aspirations des Tunisiens pour une sortie de crise rapide. Elle a suscité plusieurs réactions négatives car les mesures fiscales prises pourraient affecter la rentabilité et la compétitivité d’établissements en difficulté depuis plusieurs années ainsi que le pouvoir d’achat des citoyens, précise le président de l’OECT. «Le budget 2023 atteindra le niveau record de 70 milliards de dinars ; c’est un budget énorme et inflationniste ; il représente 43,5% du produit intérieur brut, dépassant les taux de référence en vigueur à l’international, qui se situent dans la limite des 30%. Ceci prouve que les dépenses de l’Etat sont devenues une lourde charge pour l’économie nationale et entravent son développement et sa croissance, sachant que 86% de ces dépenses sont orientées vers les dépenses courantes, la consommation et les mesures sociales, alors que le volume des investissements publics directs ne représente que 4,7 milliards de dinars, soit seulement 6,7% du budget total ». Ce taux est inférieur aux 8,2% de 2021 et 9,8% de 2019.
La pression fiscale ou les prélèvements obligatoires dépasseront, selon certaines estimations, les 33% en 2023, en raison de l’adoption de plusieurs mesures fiscales qui grèvent les institutions, les professionnels et les citoyens telles l’augmentation des cotisations sociales ou la TVA. La LF 2023, explique, Walid Ben Salah, a prévu certaines mesures prorogées pour pallier les difficultés financières des petites et moyennes entreprises ou pour financer certains investisseurs dans certains secteurs, mais n’a pas décidé des dispositions pour stimuler l’investissement, la création d’emplois et l’exportation ».
Dans la publication économique Eco-Week, on parle d’une croissance chétive qui devrait s’établir à un rythme inférieur au croît démographique (1,2%), le taux du travail devrait continuer à se détériorer en 2023 (47,0% après 47,4% en 2022 et 48,6% en 2021). Un chômage qui devrait frapper encore plus durement les jeunes dont le taux de chômage a atteint, selon l’INS, 40%.
La croissance anémique ne pourra pas assurer une sortie de crise d’autant plus que ses moteurs, à savoir la consommation, l’investissement et l’exportation sont en panne, explique Hachmi Alaya.
Une croissance atone
Le budget 2023, bien qu’il comporte des mesures visant principalement à collecter des ressources supplémentaires pour l’État et à réduire les dépenses de soutien, reste basé sur des équilibres fragiles, son financement étant lié à la conclusion de l’accord avec le Fonds monétaire international selon les hypothèses de base, ce qui représente une condition d’obtention d’autres financements extérieurs qui seront de l’ordre de 15%.
La croissance anémique ne pourra pas assurer une sortie de crise d’autant plus que ses moteurs, à savoir la consommation, l’investissement et l’exportation sont en panne, explique Hachmi Alaya. La consommation publique s’est refroidie depuis 2022 durant laquelle les effort de l’Etat sont allés vers les salaires, les dettes et les produits de première nécessité. «Le reste a été sabré, l’école a été mal servie, la santé aussi, les dépenses d’investissement sont minables – c’est le ratio le plus faible depuis 2010». L’investissement est une véritable catastrophe, le tissu industriel est en train de rétrécir, les Tunisiens n’investissent plus – seul investissement, celui des sociétés communautaires avec l’argent de l’Etat et aussi des contribuables. Ceci sans oublier la chute des exportations du phosphate et dérivés et la chute de la production des hydrocarbures.
L’année 2023 ne sera pas celle de la croissance, prévient Hachmi Alaya, partant de trois certitudes :
– La détérioration de l’environnement international avec une zone euro -principal partenaire économique de la Tunisie – qui va entrer en récession et elle en tombera malade ;
– La guerre en Ukraine pourrait continuer sur l’année et il n’y aura pas de négociations de paix dans les mois qui viennent, cela mettra en difficultés l’approvisionnement de la Tunisie en pétrole et céréales ;
– Le retour de la pandémie Covid-19, ce qui pourrait compromettre la reprise touristique en Tunisie.
L’environnement sera pire
Quant au contexte politique et social, il est clair que, assure Hachmi Alaya, « nous sommes dans une situation fantasque incertaine, fantasmagorique. Aucune réforme n’a été faite pour convaincre le FMI d’accorder le prêt à la Tunisie et une inflation à 2 chiffres risque d’aggraver la situation sociale, laquelle sera conjuguée aux pénuries et au chômage ».
La guerre déclarée à la corruption, les mesures peu incitatives et la guerre livrée aux hommes d’affaires ont eu pour conséquence le départ de plusieurs entreprises. Qui parmi les hommes d’affaires, mal aimés, investira ?, s’interroge Hachmi Alaya.
Des constats qui ne peuvent amener que des larmes dans l’espoir que la lumière rejaillisse sur un pays assombri depuis trop longtemps par les vents de l’obscurantisme, de l’ignorance, de l’incompétence et de l’indifférence.
Amel Belhadj Ali