Chez Hazem Ben-Gacem, la philanthropie est une foi, le travail un culte, le temps une religion. Pour lui, à chaque seconde, à chaque minute, il faut penser une réalisation « Je ne conçois pas que l’on puisse perdre du temps à ne rien faire ou qu’on n’utilise pas son temps à bon escient». Hazem Ben-Gacem, co-CEO d’investcorp, primé en 2021 par « Tounsi du monde-Ensemble pour la Tunisie » pour son patriotisme économique vient d’entreprendre une nouvelle initiative : un fonds de 5 millions de $ à la Harvard Medical School (HMS) pour soutenir la formation de professeurs, de cliniciens qualifiés et des chercheurs universitaires tunisiens aux pratiques médicales et en faire des leaders dans leur domaines respectifs.
Entretien avec l’un des rares investisseurs dans la matière grise nationale :
Hazem Ben-Gacem, vous n’êtes pas au premier fonds consacré à renforcer les capacités de formation et d’expertises des Tunisiens, pourquoi cet engouement ?
J’ai eu de la chance de pouvoir mener à bien mes études à Harvard. Investir dans l’homme, est pour nous tout à fait naturel, c’est le meilleur investissement que nous pouvons faire.
C’est ainsi que tout pays peut avancer. Il faut voir ce qui se passe dans le secteur des investissements à l’international. Il n’y a pas de bâton magique, il faut des efforts, des capacités d’analyse, de recoupement, et d’anticipation, il faut accorder une grande importance à l’usage efficient du temps, pour moi, chaque jour doit porter en lui des réalisations et il faut plus que tout être modeste. Dans le secteur des investissements, il y a des risques, les risques sont plus importants que dans d’autres domaines, notre mérite à nous est de bien calculer les risques en profondeur, dans la sérénité et sans précipitation pour avancer sur des projets porteurs et fructueux.
Comment avez-vous eu l’idée des fondations et des Bourses ?
Ce qui m’a le plus marqué lors de mes études à Harvard aux Etats-Unis, est la générosité des Américains. Au sein de la famille très moyenne de mon épouse américaine, on réserve, chaque mois, un montant à offrir à une œuvre de bienfaisance. C’est une culture bien installée dans les familles US, et j’ai pensé : pourquoi ne pas encourager cette culture en Tunisie ?
La Tunisie n’a pas la chance d’avoir de grandes richesses énergétiques, mais nous pouvons investir dans le savoir et dans l’enseignement. Je pense que c’est le meilleur investissement qu’on peut se permettre, et j’espère que les générations futures feront plus que nous.
Vos premières bourses d’études accordées dans le cadre des fondations ?
Le programme a débuté Il y a dix ans. Il s’agit de bourses pour poursuivre le deuxième cycle à Harvard. Parmi ceux qui ont touché ces bourses, il y en a qui ont fini leurs études à Harvard, d’autres continuent. La meilleure réalisation est de voir les Tunisiens représenter aujourd’hui, à l’échelle arabe, la nationalité la plus importante en deuxième cycle à Harvard. C’est une fierté pour nous. Il y a quelque mois j’ai été à Harvard et quelqu’un m’a demandé à combien s’élève la population tunisienne, j’ai répondu : 12 millions, il n’en revenait pas !
Pour lui, voir un nombre aussi important d’étudiants tunisiens à Harvard, rimait impérativement avec un grand pays et une population plus nombreuse.
Donc voilà, ce programme qui est en self-funding va continuer et nous allons essayer de faire au mieux puisqu’il va s’autofinancer.
Comment faites-vous pour pérenniser les financements ?
Nos fonds sont des fonds personnels que j’ai donnés à Harvard. Ils sont réservés aux études de deuxième cycle des jeunes Tunisiens choisis par le programme. Ce sont les intérêts du fonds qui permettent la pérennisation du financement de la mission et lui assurent un refinancement permanent.
Est-ce que ces étudiants rentrent en Tunisie ?
Je l’espère, notre objectif est de servir la Tunisie mais nous ne pouvons rien garantir, nous ne pouvons que le vouloir et l’ambitionner. J’ai relevé toutefois que la majorité de ceux qui ont profité de ces bourses sont rentrés. Ceux qui ne sont pas rentrés sont les meilleurs ambassadeurs de la Tunisie à l’étranger. Ils occupent des postes très importants. Il y en a un qui est vraiment un exemple. Il est dans Goldman Sachs à New York et c’est l’un des meilleurs experts dans l’intelligence artificielle. Le deputy chairman de Christies’s MENA est un jeune Tunisien qui a suivi le programme. Les Tunisiens qui ont participé à ce programme font des merveilles. J’espère que les choses changeront pour le mieux en Tunisie, je crois dans le potentiel de notre pays et dans la capacité d’adaptation des Tunisiens partout où ils vont.
Une bourse pour les professeurs en médecine, pourquoi ?
Le programme a débuté depuis trois ans avec un investissement de 1 million de $. Il s’adresse aux étudiants des quatre facultés de médecine en Tunisie : Tunis, Sousse, Monastir et Sfax. Chaque année on choisit les 40 meilleurs pour suivre un programme de médecine en ligne. La première promotion sortira cet été, c’est la première étape. Pour la deuxième étape l’investissement est de 5 millions de $ dédié aux professeurs et enseignants en médecine pour renforcer leurs capacités et leurs cursus scientifiques. Les bourses sont programmées pour une période de 10 ans. Nous allons donc chaque année sélectionner deux professeurs ou assistants de médecine pour suivre des masters de 2 ans à Harvard Medical School avec une prise en charge totale depuis le billet d’avion jusqu’à l’arrivée sur place, le séjour et tous les frais de la formation.
C’est le doyen de la Harvard Medical School qui a procédé à la sélection des candidats avec les doyens des facultés de médecine qui choisissent les personnes les plus engagés et les plus compétentes dans leur discipline.
Vous faites de belles réalisations pour la Tunisie à travers vos fondations, le secteur de la culture vous interpelle-t-il ?
Il y a des cursus dans les sciences humaines, nous accordons une bourse d’une année à un doctorant tunisien qui dispensent des cours à Harvard et en même temps poursuivent leurs recherches. La partie arts est importante mais je pense que la Tunisie a actuellement d’autres priorités, et j’espère que nous réussirons à mettre en place des programmes dans ce secteur.
Les prochains projets, ou le rêve de Hazem Ben-Gacem ?
J’ai la chance d’avoir les moyens de réaliser beaucoup de choses et je compte bien réaliser de nouveaux projets. Nous ne devons pas courir, mais réfléchir et avancer prudemment et sûrement. Tout projet, toute entreprise doivent être bien étudiés. Dès évaluation des résultats, nous pouvons avancer. Il est facile de dire que nous avons une bourse pour suivre des études aux Etats-Unis mais ceux qui partent doivent en saisir les enjeux, réussir et doivent être édifiés sur l’importance de la mission avant de s’engager. J’ai pour l’instant un financement pour le Centre Harvard en Tunisie. Un groupe d’universitaires viendront de Harvard USA. J’espère qu’ils aimeront la Tunisie. Dans les deux dernières années, il y a eu une soixantaine de professeurs américains, qui sont venus enseigner à Harvard Tunis, ils ont aimé. Heureusement que l’impression que Harvard a sur la Tunisie est excellente. Il faut capitaliser sur ça.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
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