Pour la deuxième fois, en l’espace de moins d’une année, Alger et Rome se disent préoccupés de la situation en Tunisie et discutent de solutions pour la faire sortir de la crise multiforme dans laquelle elle se débat.
La première fois, c’était à l’occasion de la visite d’Etat de trois jours qu’avait effectuée en Italie, fin mai 2022, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, à l’invitation de son homologue italien, Sergio Mattarella.
Alger et Tripoli se préoccupent de la situation en Tunisie
Lors de la conférence de presse qui avait sanctionné cette visite, le chef de l’Etat algérien avait déclaré : «Nous partageons (avec l’Italie, NDLR) les problèmes de la Tunisie et nous sommes prêts à l’aider à trouver une solution» (sic).
La deuxième fois, c’était à l’occasion de la visite de travail que vient d’effectuer, les 22 et 23 janvier 2023, en Algérie, la présidente du gouvernement italien, Giorgia Meloni. Lors d’une conférence de presse ayant couronné cette visite, elle a déclaré en substance avoir évoqué avec le chef de l’Etat algérien « des scénarios concernant les solutions à apporter à la crise qui sévit en Tunisie ».
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Face à cette préoccupation affichée au plus haut niveau par les deux pays “voisins“, la diplomatie tunisienne semble s’en accommoder. Elle n’a pas jugé indispensable de réagir, ni positivement ni négativement, aux déclarations des responsables algériens italiens, à l’exception de quelques commentaires de la presse locale qui y a perçu une ingérence dans les affaires intérieures du pays.
Les limites à ne pas dépasser
Selon des sources diplomatiques bien informées, il semble que l’Algérie pèse de tout son poids sur le pouvoir en Tunisie pour que l’instabilité qui règne dans le pays ne dépasse pas un certain seuil.
Un certain seuil signifie que le président Kaïs Saïed ne doit en aucune manière envisager d’instaurer en Tunisie un régime autoritaire similaire à celui d’Abdel Fattah al-Sissi en Egypte, tandis que ses adversaires sont tenus de ne pas recourir à la violence pour faire valoir leurs intérêts.
Lors d’une interview accordée, le 21 janvier 2023, à la chaîne (islamiste) Zitouna TV, Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, a indiqué que “le régime algérien ne soutient pas Kaïs Saïed mais il a peur de la chute de l’Etat tunisien”. Le chef islamiste a souligné que “l’Algérie craint le chaos et le terrorisme en Tunisie”. Et que « l’Algérie veille à la stabilité en Tunisie… ».
Dans une autre interview accordée ces derniers jours à la radio privée Jawahara FM, l’avocat Ridha Belhaj, connu pour être un islamiste radical (Hizb Ettahrir) proche du frère du président de la République, Nawfel Saïed qui aurait l’oreille du chef de l’Etat, a confirmé cette approche et indiqué qu’il détient des informations selon lesquelles l’Algérie s’emploie à respecter cet équilibre entre les belligérants et à les tenir à des distances certes précaires mais acceptables.
Des indices le prouvent sur le plan local
Cette thèse de la pression algérienne est étayée sur le plan local par des signes réels : la réticence du président Kaïs Saïed à frapper fort. Pour preuve, une grande partie des Tunisiens se sent, effectivement, frustrée de ne pas voir le chef de l’Etat aller jusqu’au bout de sa puissance légale. Celle-là même que lui confère la Constitution, à travers la concentration de tous les pouvoirs. L’objectif étant, entre autres, de poursuivre en justice, tant qu’il est temps, tous les responsables de la grave dégradation de la situation que connaît le pays, et de les amener à rendre compte de leur forfait.
Parmi ces responsables, figurent ceux des partis qui ont été au pouvoir, depuis dix ans (2011-2021), en l’occurrence Ennahdha avec ces dérivés et complices.
Une grande majorité des Tunisiens s’étonne également de la bienveillance dont bénéficient certains islamistes en dépit de la confirmation de leur responsabilité dans des actes terroristes et dans l’embrigadement de jeunes tunisiens et leur envoi dans les zones de conflit (Syrie, Irak, Libye).
Certains observateurs sont allés jusqu’à avancer que le Kaïs Saïed n’a opéré le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021 que pour protéger les responsables nahdhaouis. Tout le reste ne serait que du cinéma.
Ces mêmes Tunisiens sont également surpris de l’absence de réaction des islamistes lesquels nous ont habitués à recourir à la violence chaque fois qu’ils se sentent menacés et chaque fois qu’une décision est prise à l’encontre de leurs intérêts. Les islamistes ripostent, le plus souvent, par des attaques terroristes visant notamment les forces de l’ordre.
La dernière attaque de ce type remonte au 6 septembre 2020. Une patrouille de la Garde nationale avait été victime d’une attaque au couteau, à Akouda (gouvernorat de Sousse). Un gendarme avait été tué et un autre blessé. Les trois assaillants furent abattus par les forces de l’ordre.
Cette attaque avait eu lieu au lendemain de la nomination d’un nouveau chef du gouvernement, en l’occurrence Hichem Mechichi qui figurait au moment de l’attaque parmi les proches alliés du chef de l’Etat, avant d’être noyauté par les partis sortis victorieux des élections de 2019, le parti Ennahdha et dérivés et Qalb Tounès.
L’aide algéro-italienne n’est pas fortuite
Abstraction faite de ces deux faits qui viennent confirmer, plus ou moins, l’existence d’une ingérence algérienne dans les affaires intérieures de la Tunisie, l’Algérie, confrontée à son flanc ouest d’une hostilité de la part du Maroc et son nouvel allié Israël, est naturellement préoccupée par la stabilité de son flanc est, la Tunisie.
C’est dans cet esprit qu’elle a, semble-t-il, décidé d’aider financièrement les Tunisiens à un moment où le FMI traîne la patte avant de lui accorder des facilités de paiements.
Est-il besoin de rappeler que depuis le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, l’Algérie a accordé à la Tunisie un financement total de 600 millions de dollars, dont deux prêts (300 millions de dollars en décembre 2021 et 200 millions de dollars en décembre 2022) et un don de 100 millions de dollars (décembre 2002). Cette aide serait conditionnée par le maintien d’un certain clame.
Du côté de l’Italie, premier partenaire de la Tunisie depuis 2022 –qui devance désormais la France-, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, soucieux également de la sécurité de son pays et du danger que présente particulièrement l’immigration clandestine, s’est empressée à voler au secours de la Tunisie, et ce depuis son accès au pouvoir en octobre 2022.
Ainsi, pour ménager la susceptibilité tunisienne, Giorgia Meloni, qui n’a pas inclus la Tunisie dans son périple au sud de la Méditerranée pour expliquer « sa politique méditerranéenne», a dépêché en Tunisie deux responsables régaliens, le vice-président du Conseil des ministres et ministre des Affaires étrangères et de la Coopération italien, Antonio Tajani, et le ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi.
Reçus par le président tunisien, les responsables italiens ont été rassurants quant à l’intensification de la coopération entre les deux pays. L’accent a été mis sur l’importance de mettre en place des mécanismes de soutien à l’économie tunisienne, de stimuler les investissements directs italiens en Tunisie et d’encourager la migration encadrée.
Depuis, les médias commencent à parler de relocalisation et d’implantation en Tunisie de grands groupes italiens, à l’instar de la société internationale Calzedonia, spécialisée dans le secteur du textile (mode vestimentaire). Ce groupe projetterait d’implanter des filiales à Zaghouan, Monastir, Tabarka et Nabeul.
Au rayon de l’émigration, le ministre italien de l’Intérieur a déclaré que l’Italie est « prête à augmenter le nombre de migrants réguliers, formés en Tunisie, qui peuvent travailler en Italie dans les domaines de l’agriculture et de l’industrie ». Il s’agit de « renforcer la migration régulière réduire la migration irrégulière », a-t-il dit. Les médias parlent déjà de la possibilité d’embaucher, dans l’immédiat, plus de 80 000 tunisiens en Italie.
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Morale de l’histoire : vue sous cet angle, l’aide que proposent Alger et Rome à la Tunisie serait du type partenariat win win (gagnant/gagnant). Tout le monde trouve son compte. Les Tunisiens y trouveront une bouffée d’oxygène pour soulager des finances publiques à sec et pour réduire, un tant soit peu, le chômage des jeunes. L’Algérie et l’Italie gagneront la sécurisation de leurs intérêts en Tunisie. Parmi ceux-ci, figurent en bonne place l’infrastructure gazière dont le gazoduc algéro-italien Transmed et quelque 700 entreprises offshore italiennes employant plus de 27 000 personnes.