Le second tour des élections législatives tunisiennes du 29 janvier a de nouveau échoué à mobiliser les électeurs, montrant le rejet par le peuple tunisien du processus politique initié par le président le 25 juillet 2021.
Le taux de participation historiquement bas, pour la deuxième fois en deux mois, confirme, pour toutes les parties prenantes tunisiennes, la nécessité de s’engager dans un dialogue national inclusif et transparent afin de relancer la transition démocratique du pays, aujourd’hui bloquée, et de parvenir à un consensus sur les solutions aux problèmes politiques, économiques et sociaux du pays.
La faible participation électorale en Tunisie – environ 11% pour les deux tours – marque une période difficile dans sa transition démocratique, qui a déraillé lorsque le président a pris le contrôle de tous les leviers du pouvoir en juillet 2021.
Les dirigeants politiques et les leaders de la société civile, ainsi que les parlementaires nouvellement élus, doivent rechercher un large consensus pour remettre le pays sur la voie de la démocratie.
Bien que le président ait déclaré qu’il répondait à l’incapacité du Parlement à résoudre les problèmes sociaux et économiques qui ont affecté le pays depuis la révolution de 2011, un processus non-inclusif a modifié la nouvelle Constitution du pays, adoptée en 2014.
Le président a diabolisé ceux qui s’opposaient à ces changements et a ciblé diverses institutions de l’État, affaiblissant ainsi les structures qui sont à la base d’un véritable État démocratique. Les amendements constitutionnels, promulgués en août 2022, ont renforcé les pouvoirs du Président et ont réduit ceux de la branche législative, et doivent être revus.
Le Centre est encouragé par la nouvelle initiative organisée par l’UGTT, le plus grand syndicat de Tunisie, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), l’Ordre national des avocats tunisiens et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) afin d’engager un dialogue national.
Il y a également des signes positifs de la part de plusieurs membres du parlement nouvellement élus pour former une coalition parlementaire focalisée sur un programme de réforme qui inclut l’amendement de la Constitution de 2022, et qui promeut l’établissement immédiat de la cour constitutionnelle, des réformes de la loi électorale et du système politique, et l’amendement du décret-loi 54 qui restreint la liberté d’expression.
Le Centre renouvelle ses recommandations formulées après le premier tour des élections et exhorte le Parlement nouvellement élu à s’engager avec les acteurs qui ont lancé l’initiative de dialogue national et à aborder de toute urgence les questions suivantes :
- La nécessité d’une nouvelle loi électorale qui ré-établira un organisme électoral indépendant ;
- L’examen et la révision du système électoral pour faciliter une élaboration efficace des politiques nationales ;
- La mise en place de politiques qui traitent des problèmes critiques telles que la corruption, la réforme du secteur de la sécurité et l’administration publique ;
- Le ré-établissement de l’équilibre des pouvoirs entre les branches exécutive, législative et judiciaire ;
- Le renforcement de l’éducation civique et des électeurs afin d’impliquer la population dans les consultations du dialogue national et des réformes qui impacteront leur vie quotidienne ; et
- Des mesures visant à renforcer les partis politiques et à accroître la démocratie interne des partis, ce qui donnera lieu à une véritable représentation des partis politiques, notamment par des femmes, des jeunes et des populations marginalisées.
Le peuple tunisien mérite un gouvernement transparent qui cherche à résoudre les problèmes politiques, économiques et sociaux urgents qui étaient à l’origine de la révolution. Les dirigeants tunisiens doivent répondre à ces aspirations et ramener la Tunisie sur la voie démocratique dans laquelle elle s’est engagée en 2011.
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A propos du Center Carter
Le Centre Carter est présent en Tunisie depuis 2011 et a été accrédité par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (connue sous son acronyme ISIE) pour observer les élections.
Le Centre a déployé une mission d’observation électorale en juin 2022 avec une équipe centrale d’experts limitée. L’équipe d’experts a évalué le référendum du 25 juillet, et pour les élections législatives du 17 décembre, le Centre a déployé 14 observateurs de longue durée, au mois d’octobre, et plus de 60 observateurs électoraux de courte durée, au mois de décembre, dans les 24 gouvernorats.
Pour le second tour, organisé au mois de janvier, le Centre a mené une observation restreinte sans l’appui d’observateurs de courte durée. Le Centre n’a pas noté d’irrégularités majeures le jour des élections lors du second tour.
Les objectifs de son observation en Tunisie sont de : fournir une évaluation impartiale de la qualité globale du processus électoral, promouvoir un processus inclusif pour tous les Tunisiens, et de démontrer son soutien à la transition démocratique.
Le Centre Carter évalue le processus électoral par rapport à la Constitution tunisienne, le cadre électoral national, les obligations et les normes découlant des traités régionaux et internationaux, des organismes d’interprétation et de la pratique des États. Sa mission d’observation est menée conformément à la Déclaration de principes pour l’observation internationale des élections de 2005.
Le Centre a observé les élections de l’Assemblée Nationale Constituante de 2011, les élections présidentielles et législatives de 2014 et 2019, ainsi que le processus d’élaboration de la constitution qui a abouti à l’adoption de la Constitution de 2014.