La situation d’extrême exceptionnalité qui prévaut, depuis plus d’une année et demie, en Tunisie, va peut-être favoriser une réforme profonde du système éducatif, voire la réforme la plus souhaitée par l’ensemble des Tunisiens.
Trois sérieux indices militent en faveur de ce scénario.
Le premier consiste en la création, dans le cadre de la Constitution du 25 juillet 2022, d’un Conseil supérieur de l’enseignement et de l’éducation. Cette structure, qui considère l’éducation comme un secteur souverain, sera probablement le cadre au sein duquel pourrait être concoctée cette réforme.
Enfin, un cadre pour débattre de la réforme
Cette institution aura pour mission de contourner l’improductif bras de fer à vocation sociale entre le ministère de l’Education et les syndicats des enseignants et à ouvrir le débat sur la réforme à d’autres compétences nationales.
Une avancée majeure : le projet de texte devant organiser ce Conseil a fait l’objet d’une réunion, le 6 février 2023, sous la présidence du chef de l’Etat, Kaïs Saïed. Au cours de cette réunion, l’accent a été mis sur la primauté de l’enseignement public et sur l’enjeu d’opter pour une vision globale de toutes les étapes de l’éducation. “Il n’est pas possible de réformer l’une indépendamment de l’autre”, a déclaré Saïed.
Le deuxième indice a trait au récent engagement politique du chef de l’Etat à réformer radicalement le système éducatif à tous les niveaux avec une vision globale qui met l’accent sur les enseignants.
Il a exprimé cet engagement lors de l’audience qu’il a accordée, le 3 mars 2023, au nouveau ministre de l’Éducation, Mohamed Ali Boughdiri.
Un engagement politique
A l’origine de cet engagement, l’exaspération générée auprès de la population tunisienne par la tendance fâcheuse et répétitive des syndicats des enseignants du secondaire et du primaire à refuser de transmettre à l’administration les notes d’examens et à les retenir, sous prétexte que leurs revendications salariales n’ont pas été satisfaites.
A ce sujet, Kaïs Saïed a été ferme. Il a affirmé que « cela ne devrait pas continuer et que les élèves ne devraient pas être pris en otage pour des enjeux politiques ». Entendre par là que la communauté des élèves est une ligne rouge qu’aucune partie ne devrait instrumentaliser et perturber la sérénité.
Néanmoins, le chef de l’Etat, qui était lui-même enseignant, a nuancé ses propos en laissant entendre que cette réforme devrait prévoir, également, des salaires plus élevés pour les enseignants qui fournissent, selon lui, un effort incommensurable.
En dépit de la dimension hautement stratégique de ce message, les syndicats, focalisés sur des revendications salariales, ne lui ont porté aucun intérêt.
Est-il besoin de rappeler ici que les réformes qui ont réussi dans le monde en matière d’éducation ont ciblé en priorité la qualité de la formation des enseignants. Le motif est simple : si ces derniers sont motivés et bien formés, ils ne peuvent que former d’excellents élèves quel que soit l’environnement dans lequel ils évoluent (urbain ou rural). Ces apprenants bien formés ne peuvent être dans le futur que de bons citoyens.
Il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’origine de la performance multiforme d’un tout pays comme Singapour, c’est l’excellent niveau de ses instituteurs. L’enseignement dans ce minuscule pays est connu pour être un des plus performants du monde.
Des syndicats improductifs hors sujet
Le troisième indice qui joue en faveur d’une réforme profonde du système éducatif a trait à la réaction négative des syndicats de l’enseignement à cette déclaration du président de la République.
Laassad Yakoubi, secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement secondaire, et Ikbel Azzabi, secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement de base, ont rejeté cette déclaration et déclaré poursuivre la rétention et le blocage des notes. Ils ont perçu, disent-ils, dans les propos du chef de l’Etat, «des menaces et accusations qu’ils ne peuvent pas accepter».
Pour nombre d’observateurs du secteur de l’éducation en Tunisie, cet entêtement des syndicats à continuer à bloquer les notes risque de leur coûter cher, et ce pour une simple raison.
La perception négative, voire l’aversion et la répulsion qu’éprouve l’écrasante majorité des Tunisiens vis-à-vis du banditisme de ces syndicats est tellement criante qu’elle risque de compromettre leur existence même. Plus simplement, il y a un besoin urgent de refonder le syndicalisme dans ce secteur et de regénérer de manière radicale ses responsables.
Les Tunisiens reprochent en général au système éducatif actuel, et particulièrement aux enseignants syndiqués, d’être les responsables de tous les maux que connaît la Tunisie.
Pour eux, si le pays compte aujourd’hui de gens corrompus et malveillants à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle et pratiquement dans tous les secteurs, la responsabilité revient en grande partie aux enseignants et au système éducatif. Le système, par l’effet des tricheries pratiquées à grande échelle (fausses copies, gonflage des notes, cours de rattrapage, formation à peu près…), n’a pas inculqué aux jeunes générations ni une formation dynamique ni les valeurs nécessaires à l’accomplissement d’une bonne citoyenneté future.
Pour les Tunisiens, le système a failli à sa noble mission, celle-là même qui consiste à résoudre en amont les maux de la société face auxquels les dirigeants se disent impuissants : braquage, indiscipline, incivisme, racisme, assistanat, qualité du travail, pollution…
Les Tunisiens attendent du système éducatif qu’il fournisse au pays et aux entreprises non pas des flemmards comme c’est le cas aujourd’hui, mais des salariés compétents conscients certes de leurs droits mais surtout de leurs obligations.
La question qui se pose dès lors est de savoir si nous sommes enfin au bout du tunnel. Parmi les scénarios avancés, figure la possibilité pour le président Saïed de promulguer des décrets dissuasifs devant interdire, en urgence, la rétention des notes et le boycott des examens.
Sous la pression de l’opinion publique et compte tenu de l’intérêt qu’accordent les Tunisiens à l’éducation, le chef de l’Etat, fort des pouvoirs exceptionnels que lui confère la nouvelle Constitution, peut effectivement atténuer les nuisances excessives des syndicats et accompagner les droits dont ils jouissent par des mécanismes de contrôle.
Le principe est simple. Il est en vigueur dans toutes les démocraties du monde. Quand tu crées un droit au profit d’une profession, il faut l’accompagner par un mécanisme disciplinaire dissuasif.
Dont acte.