La lourdeur et la complexité de l’administration tunisienne coûtent trop cher à l’Etat. C’est une vérité de La Palisse ! Rien que sur les marchés publics, c’est 25% de perte par projet, selon une étude réalisée par la Banque mondiale. Prenons ce chiffre et évaluons le coût du nombre incommensurable de procédures administratives sur le budget de l’Etat. Il ne peut qu’être faramineux !
Une étude de la Banque mondiale parue avant 2008 parlait déjà du nœud des difficultés budgétaires qui se posent à la Tunisie et qui réside dans la vision du rôle de l’Etat en tant que pourvoyeur d’emplois, ainsi que dans le caractère subventionné des prix des biens et services dans une économie à faibles valeur ajoutée et salaires, où le secteur privé est particulièrement contraint. « Soit un modèle de développement et un contrat social maintenus en l’état, alors même que la capacité, la productivité et la performance de l’administration et des entreprises publiques —principales locomotives du modèle en question— se sont significativement fragilisées.
Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Il n’était pas besoin de voir les résultats du classement mondial paru au mois de mars 2023 dans le journal britannique The Economist pour découvrir que la Tunisie supporte l’une des administrations les plus handicapantes du monde arabe, héritage colonial français oblige, mais aussi incapacité des gouvernements successifs depuis l’indépendance à donner un coup de pied dans la fourmilière d’une Administration qui plie sous le poids des lois, des réglementations, des interventions et, depuis 2011, trop frileuse pour décider.
The Economist, repris par les médias nationaux, nous rappelle une triste vérité : un secteur public qui dévore 60% du budget de l’Etat. Contre 40% pour le Maroc, pareil en Algérie, et un nombre de fonctionnaires qui représente 27% du total de la population active occupée, contre 20% en Égypte et 17% au Maroc.
Max Weber, économiste et sociologue allemand du 19ème siècle, décrivait la bureaucratie comme un « type idéal » et une forme de pouvoir, avant tout étatique, supposant une organisation professionnelle spécifique, dont les actions sont soumises à une règle stricte dans le respect des lois.
Il a aussi prévenu, quant aux risques, sur l’exercice administratif de l’application mécanique des instructions dispensées par les supérieurs hiérarchiques ou encore de leur mauvaise application car souvent mal comprises. « La sollicitation intellectuelle des salariés étant inexistante, l’implication dans les tâches effectuées est souvent absente et réduit du même coup la productivité du travail ».
C’est un peu le cas de notre administration publique victime depuis 2011 d’une démocratisation (sic) de nombre de mauvaises pratiques où corruption, allégeance et népotisme sont devenues des pratiques courantes et où le nombre d’agents et de fonctionnaires d’Etat ne rime pas nécessairement avec efficacité et productivité !
Des centaines de milliers d’agents, la compétence en moins !
Une étude réalisée par l’IACE* montre une baisse du taux d’encadrement et une « surreprésentation » des ouvriers dans l’effectif de l’administration. En moyenne la fonction publique est assurée par 80% de fonctionnaires (dont 35% cadres supérieurs), 18% d’ouvriers 2% de contractuels. Le taux d’encadrement mesuré par la proportion des agents publics catégorie A1 et A2 par rapport au total des fonctionnaires est en moyenne de 35%.
Nous sommes donc devant une administration surpeuplée, en mal de hautes compétences qui ne peut répondre aux impératifs de croissance et de développement dont a besoin le pays.
Que faire pour y remédier ?
Les réponses les plus évidentes sont bien entendu une meilleure gouvernance, une meilleure gestion des performances, le recrutement de hautes compétences qui doivent être payées en conséquence et l’allègement de l’administration et des établissements publics du surplus d’agents qui produisent peu, consomment beaucoup et coûtent trop cher.
Un exemple éloquent, à ce propos, est celui du ministère de la culture qui, en 2010 employait moins de 3 000 agents et qui aujourd’hui fonctionne avec plus de 9 000 agents. Les activités culturelles se sont-elles développées pour autant ?
C’est d’ailleurs pareil dans presque tous les ministères et les entreprises publiques, ce qui explique les 22,771 milliards de dinars de salaires, soit 14,2% du PIB, prévus pour l’année 2023.
« Un grand nombre de fonctionnaires rémunérés a même le budget de l’Etat sont absentéistes, ne se pointant sur les lieux de travail que quelques heures par semaine. Moins de 7 heures de travail effectif réalisé au bureau ou sur les lieux du travail. Souvent, ces fonctionnaires ont un deuxième emploi », relève Moktar Lamari*. N’est-ce pas une forme de corruption et de vol que d’être payés pour ce qu’on ne fait pas ?
Qui pourrait attaquer le chantier, oh combien important, de la restructuration profonde de l’administration et des entreprises publiques ?
Pour une administration efficiente, il faut donc des réformes profondes. Mais qui en aurait le courage devant la férocité des syndicats qui marquent des lignes rouges à tout va ?
Qui pourrait attaquer le chantier, oh combien important, de la restructuration profonde de l’administration et des entreprises publiques ?
Qui pourrait convaincre le président de la République que ce serait servir le peuple que de se débarrasser d’entreprises publiques inutiles qui grèvent les finances de l’Etat le privant de budgets qui pourraient servir à améliorer les infrastructures hospitalières et la qualité de l’enseignement public ?
Qui pourrait persuader le président de la République que le meilleur moyen de lutter contre la corruption est la révision de la législation et la digitalisation de l’Administration, car on peut changer les lois mais pas la nature humain.
Qui pourrait expliquer au président, détenant de grands pouvoirs, que les discours menaçants et la coercition peuvent être efficaces sur un tout petit laps de temps mais ne pourront changer les mentalités ou les comportements ?
Qui pourrait convaincre le premier décideur du pays que s’agissant d’enjeux socioéconomiques vitaux, tolérer l’incompétence, pour des raisons sociales, porte atteinte au pays et nuit à l’intérêt des électeurs ?
Qui pourrait expliquer au premier décideur du pays que l’ère de l’achat de la paix sociale à crédit est révolue et ne peut plus se poursuivre à l’avenir ?
Qui pourrait expliquer au premier décideur du pays que l’ère de l’achat de la paix sociale à crédit est révolue ?
Le gouvernement tunisien doit repenser l’Etat, réformer ses politiques, se frayer un chemin vers une masse salariale publique plus faible. Et vers des services publics de qualité, avec des fonctionnaires mieux payés, mieux formés et plus efficaces observe, M. Lamari.
Pour y parvenir, il faut faire le bon diagnostic, éviter le populisme et utiliser les grands moyens.
Qui en aurait le courage ?
Amel Belhadj Ali
- https://www.iace.tn/wp-content/uploads/2017/04/pour_une-_meilleure_performance_publique.pdf
- Economics for Tunisia, E4T : Mokhtar Lamari 12 mars 2023